Le Québec a maintenant des croustilles artisanales « de la ferme au sac » sous le nom des chips Miett. De la récolte des pommes de terre jusqu’à leur transformation en croustilles et même à leur livraison, notre journaliste a suivi Jennifer Charland et Jean-Philippe Matteau dans leur projet qui entremêle agriculture en entrepreneuriat.

« Mais pourquoi personne n’en fait ? »

C’est la question qui habite Jennifer Charland et Jean-Philippe Matteau depuis que leur idée de produire des chips artisanales a commencé à germer en janvier dernier.

Alors que les chips Miett connaissent déjà du succès sur les comptoirs des différents commerces – même si elles sont en vente depuis moins de 15 jours –, les deux personnes derrière leur création voient enfin leurs craintes se dissiper.

Si seul Yum Yum ne produisait des croustilles au Québec, c’est peut-être tout simplement parce qu’il fallait se lancer.

Quand l’entrepreneuriat mène à l’agriculture

Jean-Philippe Matteau et Jennifer Charland sont amis depuis 14 ans, soit depuis que lui est en couple avec une bonne amie à elle.

Jean-Philippe est ingénieur mécanique de formation, mais pas de cœur. Il travaillait depuis 12 ans en gestion dans une multinationale quand le père de deux enfants de 2 et 4 ans a décidé récemment de prendre une année sabbatique. « C’était stressant… Et là, je fais des chips », lance celui qui n’aurait jamais pensé se retrouver un jour dans un champ de pommes de terre.

Pour sa part, Jennifer a étudié en nutrition avant de faire l’école de cuisine de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec. Elle a travaillé pour une chaîne de supermarchés et elle a enseigné la science des aliments.

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Nés à Mirabel, Jennifer Charland et son amoureux ont ressenti le besoin de retourner s’installer dans leur patelin natal.

Nés à Mirabel, son amoureux et elle ont accueilli leur premier enfant à Montréal, mais ils ont vite ressenti le besoin de retourner s’installer dans leur patelin natal, d’autant plus que le père de Frédéric avait un droit de construction sur une partie de sa terre agricole acquise quelques années plus tôt.

Ici, ce sont des terres expropriées pour l’aéroport de Mirabel qui ont été redonnées. C’est pourquoi on a choisi le nom de la ferme Aviateur.

Jennifer Charland

« Il n’y avait rien sur la terre sauf une cabane à sucre. Mon chum et moi trouvions plate de ne rien faire, mais avec les enfants, c’était du temps [qui nous manquait] et on ne connaissait pas ça… »

Sans avoir déjà goûté à l’agriculture, le couple avait néanmoins un grand intérêt pour tout ce qui touche à la nourriture. Le conjoint de Jennifer a une entreprise de distribution alimentaire, qui fournit de petites épiceries fines et des commerces indépendants.

« Il se faisait souvent demander s’il y avait des chips du Québec », raconte Jean-Philippe Matteau.

Pas des marques plus industrielles comme Yum Yum – néanmoins faites à 100 % de pommes de terre du Québec depuis 1959 –, mais des croustilles plus raffinées faites à la main ou cuites à la marmite comme on en retrouve dans plusieurs fruiteries ou boucheries de quartier, comme les Tyrrells (Angleterre), les Inessence (Espagne) ou les Covered Bridge (les plus « locales », du Nouveau-Brunswick).

C’est ainsi que pendant un souper d’amis, l’idée « de chips québécoises artisanales » est née… Un projet idéal pour Jennifer, qui n’avait pas le « guts de partir quelque chose toute seule », et Jean-Philippe, en année de transition.

Trouver les semences

Ce n’est qu’en janvier dernier que les deux amis ont décidé de lancer officiellement leur projet de chips laurentiennes. Par souci de rentabilité, ils ont vite constaté qu’ils devaient faire pousser leurs propres pommes de terre.

Premier constat : les « patates à chips » qui poussent au Québec sont essentiellement toutes achetées par Yum Yum ou Lay’s.

Deuxième constat : trouver des semences en janvier est un peu trop tard. Les commandes se font habituellement à l’automne.

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Par souci de rentabilité, Jennifer Charland et Jean-Philippe Matteau ont vite constaté qu’ils devaient faire pousser leurs propres pommes de terre.

« On aurait pu attendre, mais pour nous, c’était comme une année de test. On voulait savoir si ça marchait et si on aimait ça », raconte Jennifer.

Par chance, on lui a fait comprendre qu’il restait exceptionnellement un surplus de semences, car on assistait à un retour à la normale de la consommation de chips après une hausse marquée pendant la pandémie. Entre-temps, Jennifer a également suivi un cours au Centre de formation agricole de Mirabel (CFAM).

On a constaté qu’il y avait beaucoup de services pour les gens qui se lancent en agriculture.

Jennifer Charland

Les semaines ont passé jusqu’au printemps puis est venu le temps de passer la charrue dans le champ. Mais où planter ? Comment ? À quelle distance ? Tout était à apprendre. « J’ai été suivie par une agronome pour le suivi des insectes et la prévention des maladies et je suis allée voir les voisins », indique Jennifer.

L’un lui a prêté une machine pour semer, l’autre lui a refilé une récolteuse. « Nous avons de la terre noire, donc nous avions beaucoup de mauvaises herbes. C’était un défi, car nous faisons tout à la main », souligne Jennifer, qui fera éventuellement les démarches pour obtenir une certification biologique.

Les récoltes

  • Les récoltes, c’était beaucoup d’inconnu pour Jean-Philippe Matteau et Jennifer Charland.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Les récoltes, c’était beaucoup d’inconnu pour Jean-Philippe Matteau et Jennifer Charland.

  • Ils ont eu de l’aide d’une dizaine de proches.

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    Ils ont eu de l’aide d’une dizaine de proches.

  • Tous travaillaient à la main…

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    Tous travaillaient à la main…

  • … ou presque.

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    … ou presque.

  • Des pommes de terre ont été cultivées sur un hectare de terre. On en vise trois l’an prochain.

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    Des pommes de terre ont été cultivées sur un hectare de terre. On en vise trois l’an prochain.

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Nous sommes allés à la ferme Aviateur en septembre dernier au terme des trois jours de récoltes. Tel un trésor, les pommes de terre étaient dans des conteneurs aérés.

« Nos patates n’ont pas de maladie, ni rien. Le plus gros du défi est relevé ! », se réjouissait Jennifer.

De partir de cette idée-là sur un coup de tête en janvier et de voir que cela a poussé… J’ai presque versé une larme à la fin.

Jean-Philippe Matteau

Prochaine étape : la transformation. « On attend les sacs et on a hâte d’en avoir un dans nos mains. »

Il fallait alors prévoir six semaines avant de recevoir les sacs de l’étranger avec un design et une image de marque signés par l’agence montréalaise Deux Huit Huit. Jennifer et Jean-Philippe auraient voulu avoir des sacs faits au Québec, mais l’investissement était trop grand pour une première année de test.

La transformation

Notre prochain rendez-vous devait avoir lieu à la mi-novembre, à Berthierville, où les entrepreneurs comptaient louer une cuisine commerciale pour transformer les pommes de terre en chips avec de l’huile de tournesol biologique du Québec de Ferme Le Pré Rieur.

Quelques jours avant notre deuxième rencontre, ce n’est pas une adresse de Berthierville que nous refilent Jennifer et Jean-Philippe, mais celle de la ferme Aviateur.

Nous nous y rendons sans poser de question et, à peine sortis de la voiture, nous entendons une hotte fonctionner à plein régime. « Il y a eu un revirement de situation et on a transformé notre garage en usine de production ! », annonce Jennifer.

« J’ai les mains prises », lance Jean-Philippe à notre arrivée. Ce dernier est à la friteuse et le sera pendant toute la durée de notre visite. Quant à Frédéric Daoust, le copain de Jennifer, il est préposé aux sacs.

« Le transport à Berthierville nous faisait peur. Nous avons décidé d’investir et d’acheter de l’équipement, raconte son amoureuse. Le plus compliqué a été de brancher le propane sur la friteuse. »

C’est là que nous avons enfin pu goûter aux chips des trois saveurs soigneusement choisies, soit Nature, BBQ Érable, puis Sel et Sumac. « Nous avons fait les tests de goût l’été dernier, mais c’est encore meilleur avec nos patates », souligne Jean-Philippe.

  • Le garage de la maison a été aménagé en mini-cuisine de transformation.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

    Le garage de la maison a été aménagé en mini-cuisine de transformation.

  • Première étape ? On coupe certains bouts indésirables des pommes de terre.

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    Première étape ? On coupe certains bouts indésirables des pommes de terre.

  • Ensuite, on les coupe en rondelles.

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    Ensuite, on les coupe en rondelles.

  • Puis, dans la friteuse.

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    Puis, dans la friteuse.

  • L’assaisonnement

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    L’assaisonnement

  • Le sumac donne un goût acidulé.

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    Le sumac donne un goût acidulé.

  • Le gros du travail se fait à la main.

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    Le gros du travail se fait à la main.

  • Après un contrôle de qualité, on remplit les sacs et on les scelle grâce à une machine.

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    Après un contrôle de qualité, on remplit les sacs et on les scelle grâce à une machine.

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Jennifer montre la machine qui lui permet de faire le sucre d’érable après avoir fait bouillir le sirop qui vient de la cabane de la ferme. Quant au sumac, c’est Jean-Philippe qui l’a récolté. Beaucoup de gens pensent que cette épice vient du Moyen-Orient alors qu’il pousse des vinaigriers sur les bords d’autoroute du Québec…

Il faut toutefois trouver « le bon sumac », si bien que Jean-Philippe et Jennifer ont demandé au boucher Pascal Hudon d’où venait le sumac de ses délicieuses brochettes au poulet. Ils sont ainsi entrés en contact avec Robert Bouchard, des produits ChezNousEnHaut, à Drummondville.

« Il est venu ici pour nous montrer comment bien choisir les cocottes, les récolter et bien les défaire. Au lieu de nous fournir du saumon, il nous a montré comment le pêcher », illustre Jean-Philippe.

La livraison

  • Même la livraison est à la bonne franquette.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Même la livraison est à la bonne franquette.

  • L’un des points de vente est chez Pascal le boucher, dans Villeray.

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    L’un des points de vente est chez Pascal le boucher, dans Villeray.

  • Il ne restait plus de sacs à saveur de sumac sur les tablettes.

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    Il ne restait plus de sacs à saveur de sumac sur les tablettes.

  • Croisé par hasard, Marc-Olivier Frappier, copropriétaire de Vin mon lapin.

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    Croisé par hasard, Marc-Olivier Frappier, copropriétaire de Vin mon lapin.

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Il y a deux semaines, nous avons suivi Jean-Philippe dans une tournée de livraison. Le premier arrêt était chez Pascal le boucher, dans le quartier Villeray, suivi de Vinorama et Veux-tu une bière ?

Pour l’instant, les chips Miett sont en vente dans une douzaine de points de vente, dont Olive et Gourmando, Super Condiments, Toutes les choses parfaites, ainsi que Café Louisa et Les Minettes dans la banlieue nord. Mais déjà, le bouche-à-oreille a fait son œuvre sur les réseaux sociaux… « Chaque jour, des commerces nous approchent et on doit dire non, se désole Jean-Philippe. C’est difficile, mais on veut être en mesure de fournir tous nos clients. »

La production des chips se fait à un rythme de 600 sacs par jour et il y en aura 30 000 au total.

Quand je ne produis pas de chips, je fais des livraisons ! On produit six jours sur sept non-stopJe me réveille et j’ai mal aux mains.

Jean-Philippe Matteau

Qui croise-t-on par hasard chez Pascal le boucher ? Marc-Olivier Frappier, copropriétaire de Vin mon lapin, qui a fait des vidéos promotionnelles pour les chips Miett, il y a deux semaines. « As-tu acheté une deuxième friteuse ? », demande-t-il à Jean-Philippe à la blague.

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À la ferme Aviateur, la production des chips se fait à un rythme de 600 sacs par jour et il y en aura 30 000 au total.

Deux autres chefs ont accepté de faire des vidéos : Anita Feng (J’ai Feng) et Derek Dammann (Maison publique). « Je n’accepte jamais ce genre de collaboration, mais quel beau projet avec une démarche de la ferme au sac », explique Marc-Olivier Frappier.

« Les chips sont vraiment bonnes, insiste le chef. En fait, qui n’aime pas les chips ? »

La réponse : personne !