Des légumes cultivés dans une ferme urbaine de Montréal sont servis le jour même à 750 m de là, dans un restaurant et une boulangerie du quartier Ahunstic. Visite d’une ferme de rue au circuit court.

À côté du Sanctuaire Saint-Jude, dans l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville, les laitues, tomates, concombres, aubergines, fines herbes, autres plantes comestibles et fleurs mellifères ont remplacé le gazon et les herbes folles. Environ 6000 pi⁠2 de potager, en terre, en serres, en pots et en bacs, sont cultivés par La Ferme de rue de Montréal.

« On n’est pas loin de tripler notre capacité de production par rapport à l’an passé [la première année de production sur ce terrain], en matière de qualité aussi », se réjouit Réal Migneault, agriculteur urbain et fondateur de l’organisme.

Deux fois par semaine, Réal Migneault charge sa minifourgonnette de glacières remplies de légumes fraîchement récoltés – « on est encore un peu en mode rudimentaire, on n’a pas de frigo », justifie-t-il. Mais, il n’a que cinq pâtés de maisons à parcourir pour se rendre au restaurant Le St-Urbain et à la boulangerie La Bête à pain, deux établissements très courus de la rue Fleury qui sont ses plus fidèles clients. Et à qui il n’a pas eu trop de mal à vendre ses salades.

« C’est hyper rare, une affaire comme ça. C’est fou raide ! », s’exclame le chef Marc-André Royal, copropriétaire du St-Urbain et de La Bête à pain. « C’est du gros luxe pour un chef. L’été ne dure pas longtemps au Québec et on aime ça avoir de beaux légumes. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Réal Migneault livre sa plus récente récolte à Marc-André Royal, copropriétaire du St-Urbain et de La Bête à pain.

Ce jour-là, Réal Migneault lui apportait des concombres, des courgettes, des tomates cerises, des oignons verts, des laitues Little Gem, du chou frisé (kale) et de jolis pâtissons. « Ça sent le fraîchement coupé, même dans la cuisine ! », s’enthousiasme l’agriculteur. Quelques semaines plus tôt, à la mi-juin, c’est 30 kilos de fleurs d’ail qui ont été livrés aux deux établissements.

Alors que d’autres restaurateurs font des achats sporadiques auprès de La Ferme de rue, Marc-André Royal a placé une précommande au printemps, assurant ainsi à la ferme des revenus pour démarrer la saison. Les deux hommes ont aussi pu discuter ensemble des variétés à mettre au potager. « On est les seuls à Montréal à avoir cette proximité avec un restaurateur et à sortir des légumes qui sont utilisables pour lui, souligne M. Migneault. L’autre jour, Nicholas [Marchand, le chef de La Bête à pain Ahuntsic], est venu dans le jardin pour voir ses salades. C’est rare qu’on puisse faire ça ! »

Des Little Gem, une variété ancienne de laitue romaine cultivée par La Ferme de rue, le chef tire de mignonnes salades où la pomme de laitue, qu’il agrémente de tomates cerises, de noix de Grenoble, de parmesan, de croûtons, de sauge frite et de vinaigrette, est reine. Et il se fait une fierté de mentionner à ses clients qu’ils s’apprêtent à déguster « les légumes de Réal ».

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Le chef de La Bête à pain Ahuntsic, Nicholas Marchand, transforme en salade les légumes apportés par Réal Migneault.

De l’architecture à l’agriculture

Les « légumes de Réal » ont une certaine réputation dans ce coin d’Ahuntsic. Avant même de quitter, en 2017, son poste d’expert en développement durable dans une grande firme d’architecture pour aller suivre une formation en agriculture biologique, Réal Migneault cultivait son potager à l’avant de sa résidence. Après que ses quatre enfants eurent quitté le nid, les surplus ont commencé à s’accumuler. Il a donc décidé de vendre une partie de ses récoltes aux passants.

  • Les légumes fraîchement récoltés sont mis dans une glacière, faute d’un réfrigérateur.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Les légumes fraîchement récoltés sont mis dans une glacière, faute d’un réfrigérateur.

  • Enthousiaste, Réal Migneault présente ses légumes à Nicholas Marchand, chef de La Bête à pain Ahunstic.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Enthousiaste, Réal Migneault présente ses légumes à Nicholas Marchand, chef de La Bête à pain Ahunstic.

  • La salade du jardin (laitue Little Gem, tomates cerises, noix de Grenoble, sauge frite, croûtons, parmesan et vinaigrette) servie à La Bête à pain Ahuntsic.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    La salade du jardin (laitue Little Gem, tomates cerises, noix de Grenoble, sauge frite, croûtons, parmesan et vinaigrette) servie à La Bête à pain Ahuntsic.

  • Les premières tomates cerises étaient prêtes à être récoltées au début de juillet.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Les premières tomates cerises étaient prêtes à être récoltées au début de juillet.

  • Les légumes sont cueillis tout juste avant d’être livrés.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Les légumes sont cueillis tout juste avant d’être livrés.

  • Pour protéger les plants des ravageurs, les concombres et les courges sont cultivés sous des serres commercialisées par l’entreprise Tempo.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Pour protéger les plants des ravageurs, les concombres et les courges sont cultivés sous des serres commercialisées par l’entreprise Tempo.

  • Tomates cerises, oignons verts et courgettes ont notamment été livrés au St-Urbain et à La Bête à pain.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Tomates cerises, oignons verts et courgettes ont notamment été livrés au St-Urbain et à La Bête à pain.

1/7
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

La forte demande, combinée à un manque d’espace, l’a incité à aller frapper à la porte du curé de la paroisse. « Un soir, j’étais dans l’entrée de garage et j’étais bien frustré encore de voir que tout mon stock était parti, raconte-t-il. J’avais encore ma pelle dans les mains. Je suis monté au presbytère. J’ai cogné à la porte et j’ai dit au prêtre : “Ça vous tente-tu d’avoir un jardin ?” »

Un an plus tard, la paroisse lui accordait un bail sans frais. Aidé de quelques bénévoles, il mettra un été à préparer le sol. « Nous sommes sur un sol très argileux. Il a fallu creuser chaque allée, sortir les roches, pour être capable de faire les planches de culture. Le terrain n’avait pas été travaillé depuis presque 50 ans. Quand on a fait les tests de contamination, on est arrivé avec des résultats tellement faibles, voire négligeables. On pouvait aller en pleine terre. »

Un rayon de 10 km

Bien qu’elle ne soit pas certifiée, la ferme applique les règles de l’agriculture biologique. De plus, les semences proviennent d’un rayon de 10 km du terrain, de même que les serres qui les accueillent avant leur mise en terre. Pour maximiser l’espace, l’agriculteur mise sur la contre-plantation. Ainsi, des oignons verts poussent parmi le chou frisé et des laitues et du basilic, parmi les aubergines. « C’est un peu ça notre secret », confie-t-il. Mais pas de secret commercial ici. L’agriculteur est généreux de ses conseils. C’est d’ailleurs l’une des missions qu’il a données à son organisme.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Réal Migneault, fondateur de La Ferme de rue de Montréal

On a une pratique culturale professionnelle pas seulement pour sortir de beaux légumes, mais aussi pour montrer aux gens ce qu’ils peuvent faire dans leur cour, leur propre jardin et être capable de les conseiller. Ce que j’aime beaucoup, c’est quand les gens partent avec un plant. Là, je pense qu’on avance beaucoup.

Réal Migneault, agriculteur urbain et fondateur de La Ferme de rue de Montréal

D’où l’idée d’une ferme qui donne sur la rue et non perchée sur un toit comme le sont la plupart des projets d’agriculture urbaine de Montréal. En plus de pouvoir visiter le potager et s’informer, les citoyens peuvent y acheter directement des légumes, socialiser, mettre la main à la terre et amuser leur palais.

« Ça vous dit quelque chose ? demande Réal Migneault en nous tendant une feuille, amusé. C’est de la sauge ananas, ou de la sauge fruitée. Il y en a qui s’en servent dans les salades, ou même ciselée sur la crème glacée. »

Un projet d’ateliers gourmands organisés en collaboration avec Le St-Urbain est d’ailleurs dans l’air. De plus, une partie des récoltes est remise à des organismes en sécurité alimentaire.

« L’agriculture du futur »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

L’équipe de La Ferme de rue de Montréal

Pour Réal Migneault, c’est « l’agriculture du futur », la devise de son organisme.

« C’est une agriculture où les gens sont conscients qu’ils sont capables de prendre une partie de leur alimentation en main et que ça a une portée plus large que simplement se nourrir. C’est de remettre aux gens une partie de leur pouvoir décisionnel sur leur alimentation, notamment par le choix d’encourager un agriculteur bio local. On ne produit pas assez pour s’insérer dans une chaîne alimentaire, même commerciale, très importante. Mais ce qu’on fait, c’est qu’on donne le goût aux gens de se nourrir sainement. »

Devant l’accélération des changements climatiques, « c’est une agriculture qui amène de l’espoir » et qui montre que les solutions ne sont pas toutes synonymes de restriction. « Tu n’en feras jamais assez, puis ça goûte bon, il n’y a pas beaucoup de solutions comme ça ! », dit Réal Migneault.

Consultez le site de La Ferme de rue de Montréal