Les flambées connaissent un renouveau. La Presse est allée à la rencontre de spécialistes de l’ITHQ afin de tout savoir sur cette technique spectaculaire, avec comme cobaye une délicieuse bombe Alaska, dont nous vous dévoilons la recette.

Coup de théâtre en cuisine

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Les flambées ne passent jamais inaperçues !

La tension monte avec ravissement tandis que l’hôte exécute sa mise en scène : quelques gestes minutieusement préparés sous une lumière tamisée. Puis il sort son lapin du chapeau – une allumette –, et le spectateur de retenir son souffle. Le plat s’embrase, les flammes dansent. L’hypnose est éphémère – quelques secondes avant que les vapeurs d’alcool ne se consument –, mais le spectacle sera inoubliable.

Les flambées ne passent jamais inaperçues. « En salle, on le voit. Les clients se taisent et sortent leur téléphone pour immortaliser le moment, raconte Thierry Pelven, professeur à la Formation internationale en service et sommellerie de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ). On leur fait vivre une expérience et c’est ce que les clients veulent : être éblouis au-delà de l’alimentaire. »

La technique n’est pas un feu de paille. Les Anglais flambent leur plum-pudding depuis des siècles ; les Allemands, leur vin chaud épicé. Le mérite du flambage, tel qu’on le connaît aujourd’hui, reviendrait toutefois au chef Auguste Escoffier qui, en 1895, aurait fait flamber des crêpes pour la venue à Monte-Carlo du futur souverain d’Angleterre Édouard VII, alors accompagné d’une certaine Suzette.

Depuis, le flambage a connu ses hauts et ses bas. Populaire au début du XXsiècle, il s’est fait plus discret par la suite, avant de revenir en force dans les années 1970 et de retomber dans l’oubli deux décennies plus tard avec la montée d’une cuisine nouveau genre, plus épurée. « Il y avait aussi une question de coûts. Le flambage en salle exige un équipement et un savoir-faire », dit Julie Faucher, experte en découverte alimentaire. L’enseignement du flambage, longtemps perçu comme une technique de base, dit-elle, a été graduellement délaissé.

Les flambées connaissent toutefois un renouveau. « Depuis quelques années déjà, on sent un engouement pour la cuisine et les bons alcools. On s’intéresse aux boissons locales, on prend du temps pour bien manger, on aime recevoir et on en fait un évènement. La COVID-19, avec son aspect cocooning, a accentué cet intérêt », estime l’enseignante à l’ITHQ. Le mouvement attise, dans la foulée, l’attrait pour les flambées.

Le flambage n’est pas un phénomène de mode. C’est un style. Et les styles reviennent toujours à la mode.

Thierry Pelven, professeur à la Formation internationale en service et sommellerie de l’ITHQ

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Thierry Pelven, professeur à la Formation internationale en service et sommellerie de l’ITHQ

Au-delà du spectacle

Aucun procédé ne permet d’obtenir les mêmes amalgames gustatifs que le flambage, selon Julie Faucher. « On dit que l’alcool, quand il est flambé, va donner le même goût au mets que pourrait le faire une épice. Les aliments deviennent alors comme un tofu qui absorbe les saveurs. Si on servait un steak au poivre flambé et un qui ne l’est pas à un client moins avisé, il remarquerait la différence. »

Le flambage permet d’avoisiner les 240 oC, soit une température en deçà de la carbonisation. On obtient ainsi une caramélisation complémentaire à la cuisson, qui permet de sceller toutes les saveurs comprises dans l’aliment et d’y ajouter les arômes de l’alcool. En effet, les sucres contenus dans l’aliment – ou les sucs, dans le cas des viandes – sont comme de petites pinces qui emprisonnent ces parfums.

On utilise généralement deux cuillères à table d’alcool par personne. On a intérêt à faire flamber une à deux portions individuelles à la fois pour éviter qu’il y ait trop de liquides dans le plat. L’alcool brûle à 78 oC et l’eau bout à 100 oC, signale Julie Faucher, ce qui constitue une différence chimique très importante. « Si je dilue trop l’alcool, je n’arriverai pas à faire flamber quoi que ce soit », dit-elle.

Bien choisir son alcool

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L’amaretto compte parmi les alcools classiques associés au flambage.

Les vapeurs d’alcool brûlent, mais son goût reste. D’où l’intérêt de faire une bonne association mets-alcool. Une flambée exige une boisson contenant au moins 40 % d’alcool. Plus elle est sucrée, plus les flammes dureront.

Les classiques sont les liqueurs : eaux-de-vie, Cointreau, Prunelle de Bourgogne, Grand Marnier ou rhum seront souvent utilisés avec les fruits, tandis que cognacs et brandys accompagnent aussi la viande. Les Français travaillent également avec le pastis pour les fruits de mer et les bisques.

Dans le cas d’une viande, on utilise toujours le flambage en début de cuisson, après l’avoir saisie. La chair des poissons étant délicate et friable, elle va brûler et se défaire si elle est exposée trop longtemps à l’alcool. On applique alors la technique du flambage à la sauce d’accompagnement, qu’on fait d’abord réduire afin d’en concentrer les saveurs. Les crustacés et les poissons ronds (merlin, esturgeon, thon, saumon), plus robustes, peuvent être flambés en finale. C’est le cas aussi pour les fruits, les bombes Alaska et les crêpes Suzette.

Une question de savoir-faire

Pour une flambée en salle, on amène le guéridon – une petite desserte sur laquelle on met un brûleur, l’alcool et les accessoires – à la table du client. La saucière en cuivre est chauffée sur les flammes avant d’y mettre l’alcool. Comme la portion d’alcool utilisée est minime, elle se réchauffera ensuite en quelques secondes au contact du métal chaud. À la maison, la façon la plus sécuritaire de procéder est cependant sur la cuisinière, précise Thierry Pelven.

On flambe généralement des aliments chauds avec un alcool chaud. La bombe Alaska, dont nous vous dévoilons la recette dans l’onglet suivant, fait partie des exceptions. Son centre est glacé, mais la meringue qui l’enveloppe est froide. L’alcool, versé bien chaud sur la meringue, brûle tout de même, mais les flammes seront de plus courte durée.

L’alcool est chauffé dans une casserole pour accélérer et amplifier le processus du flambage, puis on l’enflamme avec une longue allumette ou un briquet à longue portée avant de le verser sur les aliments. On privilégie les instruments en cuivre et en étain, ou alors en fonte : des matériaux qui conduisent particulièrement bien la chaleur. On oublie les revêtements antiadhésifs qui ne résistent pas à des chaleurs aussi élevées.

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Une fois l’alcool enflammé, il faut agir rapidement !

Le feu est un élément capricieux qu’on ne veut pas traiter à la légère. Une fois l’alcool enflammé, il faut agir rapidement et avec minutie : le spectacle ne dure que de 7 à 12 secondes. « Il faut pouvoir verser de façon juste et précise, insiste Thierry Pelven. On prépare un torchon humide ou un couvercle pour étouffer le feu au besoin. » Les surfaces environnantes devraient être dégagées et les spectateurs, gardés à distance. Jamais on n’allume la hotte, ce qui ferait monter les flammes. On s’assure également de n’avoir rien d’inflammable à portée de feu – y compris des cheveux !

« Il n’y a toutefois pas trop d’inquiétude à avoir puisque ce ne sont que les vapeurs d’alcool qui flambent et que l’effet ne dure que quelques secondes », rassure Julie Faucher. Les flammes s’estomperont d’elles-mêmes. Une fois toutes les précautions prises (et idéalement en s’étant exercé un peu avant), on peut inviter les convives à se rassembler autour de l’îlot et lancer le spectacle sans risquer de mettre le feu aux rideaux !

L’Alaska, un dessert spectaculaire

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Une bombe Alaska par le chef pâtissier Éric Champagne

« Je dis toujours à mes élèves de créer à partir de ce qui génère chez eux des émotions », indique le nouveau chef pâtissier du restaurant de l’ITHQ, Éric Champagne, qui met en pratique cette approche avec une bombe Alaska moderne, empreinte de douce nostalgie. « Ce dessert est un condensé de souvenirs associés à mes Noëls d’enfant à Val-David. Ma grand-mère nous préparait un assortiment de desserts, tandis que mon grand-père dégustait son cognac. » À ces parfums s’ajoutent les odeurs de sapin qui accompagnaient les marches en forêt.

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Éric Champagne, chef pâtissier au restaurant de l’ITHQ

« Si vous n’avez pas de sapin, mettez-y du mélèze ou du romarin. Pas d’Avril, un amaretto québécois de Louiseville ? Prenez du cognac ou un autre amaretto. Appropriez-vous la recette ! », lance-t-il.

Gourmande, élégante et fraîche avec ses notes de sapin auxquelles s’entremêle le côté acidulé de la canneberge, la bombe Alaska à la canneberge est un dessert flamboyant et rassembleur qui ne manquera pas d’alimenter les conversations. « À servir avec un café alcoolisé à l’amaretto ou au cognac, suggère Éric Champagne, pour ajouter au plaisir ! »

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Bombe Alaska à la canneberge et au sapin baumier du chef pâtissier Éric Champagne

Bombe Alaska à la canneberge et au sapin baumier

Rendement : 12 portions individuelles, selon la grosseur des moules ou ramequins utilisés

Ingrédients

Bombe à la canneberge

350 g de crème 35 % froide fouettée
150 g de noix de cajou
300 g de purée de canneberge (voir recette)
90 g de miel
60 g de sucre blanc
50 g d’eau
90 g de blancs d’œufs
150 g de yaourt délié (le chef utilise un yaourt de bufflonne)
Une pincée de fleur de sel

Purée de canneberges

300g de canneberges congelées
40 g de miel
80 g de sucre blanc
40 g d’eau

Biscuit

454 g d’œufs
454 g de beurre non salé
454 g de cassonade
454 g de poudre d’amande
10 g de farine tout usage
6 g de fleur de sel
6 g de poudre à pâte
10 g de sapin baumier séché

Meringue

90 g de blancs d’œufs
126 g de sucre blanc

Flambage

Environ 2 c. à soupe par bombe individuelle d’un mélange d’amaretto québécois Avril et de cognac

Préparation

Purée de canneberges

Dans une casserole, cuire tous les ingrédients à feu moyen durant 7 minutes. Refroidir, puis passer la préparation au mélangeur pour obtenir une purée.

Bombe

1. Fouetter la crème bien froide dans la cuve préalablement refroidie du mélangeur. Réserver au frigo.

2. Mettre les noix de cajou au four à 150 °C pour 20 minutes. Refroidir et hacher finement.

3. Dans une petite casserole à feu doux, mélanger le miel, le sucre blanc et l’eau pour en faire un sirop. Quand le liquide atteint 100 °C, commencer à fouetter les blancs à haute vitesse dans un autre bol. Verser le sirop sur les œufs lorsqu’il atteint 123 °C. Fouetter jusqu’au refroidissement de la préparation.

4. Ajouter délicatement le yaourt à la crème montée.

5. Intégrer la purée de canneberges froide et les noix de cajou à la préparation en pliant délicatement.

Biscuit

1. Préchauffer le four à 170 °C.

2. Dans une casserole, faire chauffer le beurre avec le sapin baumier durant 3 minutes. Filtrer au tamis fin ou avec un filtre à café.

3. Fouetter tous les ingrédients au robot ou à la main.

4. Cuire le biscuit durant 30 minutes sur une demi-plaque tapissée de papier parchemin, ou jusqu’à ce qu’il soit bien doré.

5. Une fois refroidi, découper le biscuit de façon à ce qu’il puisse tapisser le fond des moules ou ramequins à votre disposition.

Meringue

1. Chauffer le sucre et les blancs d’œufs au bain-marie en remuant constamment jusqu’à ce que le sucre soit dissous et que le liquide atteigne 60 °C.

2. Retirer du bain-marie et fouetter la meringue jusqu’à l’obtention de pics fermes.

Montage

1. Déposer les biscuits au fond des moules, y ajouter le mélange de bombe. Congeler pour 12 heures.

2. Démouler la bombe gelée et recouvrir de meringue avec un sac plastique de pâtisserie et la douille de votre choix.

3. Utiliser 2 c. à table du mélange d’amaretto Avril et de cognac par portion pour flamber individuellement les bombes, en utilisant la technique expliquée dans l’onglet précédent. Attendre 15 minutes avant de les déguster pour que le nougat soit encore glacé, mais le biscuit, tendre.