En novembre dernier, les chefs Stéphanie Audet et Dominique Dufour ont été invitées à l’événement Fórum Gastronómico, à Barcelone. Elles y ont présenté une démonstration culinaire intitulée « La nouvelle cuisine consciente canadienne », bougie d’allumage de ce reportage. Alors que la scène gastronomique au pays s’épanouit plus que jamais, comment se définit cette « nouvelle » cuisine canadienne ? Sept chefs communiquent leurs réflexions à ce sujet.

PHOTO CHELSEA GRAY, FOURNIE PAR PLUVIO RESTAURANT + ROOMS

Le chef Warren Barr et Lily Verney-Downey, du Pluvio

Warren Barr, Ucluelet : le multiculturalisme, inspiration créative

Ucluelet est un petit village situé sur la côte ouest de l’île de Vancouver, un peu au sud de Tofino. On a découvert son existence lors du dévoilement du palmarès 2019 des meilleurs nouveaux restaurants canadiens par le magazine enRoute, alors que l’établissement Pluvio Restaurant + Rooms, mené par le chef Warren Barr et sa conjointe Lily Verney-Downey, s’y est classé en quatrième place. Voilà 15 ans que le chef se consacre à la cuisine canadienne, qui se définit selon lui moins par les ingrédients utilisés que par l’approche locale, saisonnière et l’esprit « de la ferme à la table ».

PHOTO DANIKA MCDOWELL, FOURNIE PAR PLUVIO RESTAURANT + ROOMS

Un plat d’huîtres grillées, création de Warren Barr

« Un des attributs les plus célébrés de notre pays est son multiculturalisme, et je crois que c’est à travers cela que notre cuisine peut se définir. Au restaurant, nous tenons absolument à nous approvisionner localement exclusivement de la Colombie-Britannique; puis nous transformons ces ingrédients frais et merveilleux en quelque chose d’inattendu et d’étonnant en nous inspirant des différentes cultures que nous connaissons. Ça peut aller du gingembre cultivé sur l’île de Vancouver qu’on emploie pour faire notre propre vinaigre aux coquilles de crevettes que nous utilisons avec des poivrons locaux pour cuisiner notre sauce XO épicée au poivron rouge. »

> Consultez le site du Pluvio Restaurant + Rooms (en anglais)

Dominique Dufour, Ottawa : le recyclage alimentaire

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

La chef Dominique Dufour, du Gray Jay

À son établissement Gray Jay, ouvert l’été dernier à Ottawa, Dominique Dufour s’est donné comme mission de proposer un menu 100 % canadien. Oubliez donc le chocolat, la vanille ou les agrumes. La chef doit donc déployer son inventivité et ses ressources afin de dénicher de nouveaux ingrédients ou de nouvelles façons d’utiliser au maximum certains produits existants. Avec, à la clé, la découverte de nouvelles saveurs inédites.

PHOTO TIRÉE D’INSTAGRAM

Un plat qui décline l’oie de multiples façons,
création de Dominique Dufour

« Donner une deuxième vie aux aliments est une tendance super intéressante qui nous pousse à utiliser les produits dans leur entièreté. J’aime bien le chocolat, donc la solution que j’ai trouvée, c’est de valoriser les grains utilisés par des brasseries locales qui font de la bière noire. Je déshydrate les moûts et les utilise comme du cacao; on y trouve des saveurs maltées qui rappellent le cacao, la mélasse. Je vais aussi faire mes herbes salées avec des retailles de légumes divers ou encore, avec nos restes de boucherie, faire du garum, une pâte de poisson ou viande fermentée, qui va servir de base à nos sauces. »

Consultez le compte Instagram du Gray Jay

Stéphane Modat, Québec : le sauvage pour se démarquer

PHOTO MATHIEU BÉLANGER, FOURNIE PAR STÉPHANE MODAT

Le chef Stéphane Modat, du Champlain, au Château Frontenac

S’il n’en tient qu’à Stéphane Modat, la viande et autres produits sauvages devraient trouver leur place sur les tables gastronomiques québécoises en 2020. La réglementation au Québec l’interdit toujours, mais le chef qui officie au Château Frontenac en a fait son cheval de bataille : il travaille fort pour faire changer les choses dans le but que le sauvage devienne un trait distinctif de notre cuisine.

PHOTO FRÉDÉRIC LAROCHE, FOURNIE PAR STÉPHANE MODAT

Un tartare, création de Stéphane Modat

« Je travaille dans un hôtel où les gens viennent de partout sur la planète. Quand je sers du bœuf, je suis comparé à toutes les tables gastronomiques du monde. Mais si demain je sers de l’orignal, je vais devenir le seul endroit sur la planète où on peut en déguster. C’est tout simplement logique : on n’imaginerait pas l’Espagne sans son jambon pata negra ! Le sauvage offre l’opportunité d’aller au-delà de l’uniformité des goûts et des textures qu’on connaît pour faire voyager ailleurs. Au Canada et au Québec, on a le potentiel de devenir des leaders de la gastronomie en Amérique du Nord. Mais pour déployer une identité culinaire forte, il faut mettre notre terroir tout entier à contribution. »

> Consultez le compte Instagram de Stéphane Modat

Stephanie Ogilvie, Halifax : célébration du territoire

PHOTO FOURNIE PAR STEPHANIE OGILVIE

La chef Stephanie Ogilvie, du restaurant Chives

Née au Nouveau-Brunswick, Stephanie Ogilvie vit en Nouvelle-Écosse depuis près de 10 ans. Il y a peu, elle a repris les rênes de la cuisine du restaurant Chives, en plus de mener avec son conjoint le Hopscotch Dinner Club, qui organise ponctuellement des soupers dégustation qui mettent à l’honneur les produits de la Nouvelle-Écosse. Selon elle, il y a toute une nouvelle génération de jeunes chefs dans les Maritimes qui sortent des sentiers battus et s’éloignent de la nourriture « old school » afin de célébrer le territoire de la côte Est et tout ce qu’il a à offrir.

PHOTO FOURNIE PAR STEPHANIE OGILVIE

Un plat de flétan surmonté de chicaronnes faits à partir de tapioca et de « sea truffle », signé par la chef Stephanie Ogilvie.

« Ce que je remarque, c’est une cuisine plus légère, moins axée sur les grosses protéines et qui fait davantage briller les végétaux. Les forêts et les plages deviennent des nouveaux terrains de jeu où dénicher des ingrédients inédits. Une de mes grandes découvertes est le sea truffle, une algue méconnue qu’on retrouve beaucoup sur les côtes de la Nouvelle-Écosse. C’est un ingrédient incroyable, qui sent et goûte comme la truffe, mais qui est local. On le déshydrate et le réduit en poudre avant de l’incorporer à différentes préparations. »

> Consultez le compte Instagram de Stephanie Ogilvie

John Horne, Toronto : dénicher les trésors canadiens

PHOTO CINDY LA, PHOTO FOURNIE PAR OLIVER & BONANCINI HOSPITALITY

Le chef John Horne, du groupe Oliver & Bonancini Hospitality

Depuis 10 ans, John Horne se consacre entièrement à la découverte des trésors cachés du territoire canadien. Il a parcouru le pays d’est en ouest, du sud au nord, à la recherche d’ingrédients méconnus, locaux ou sauvages, à intégrer dans ses créations culinaires. Celui qui est chef exécutif pour six établissements du groupe Oliver & Bonancini Hospitality, dont le réputé restaurant Canoe, constate à quel point les chefs canadiens — et aussi la clientèle — sont de plus en plus enthousiastes à l’idée de découvrir le terroir canadien dans leurs assiettes.

PHOTO CINDY LA, PHOTO FOURNIE PAR OLIVER & BONANCINI HOSPITALITY

Une création de John Horne pour l’événement Taste Ontario

« Cette année, je me suis beaucoup intéressé aux huiles végétales, afin de trouver une solution de rechange à l’huile d’olive. J’ai rencontré un producteur comme Pristine Gourmet et ses huiles de canola ou de tournesol de grande qualité, aux profils aromatiques uniques. Je connaissais déjà le sirop de bouleau jaune — dont la saveur rappelle le sirop d’érable et la mélasse —, mais j’ai découvert récemment qu’on pouvait consommer ses jeunes pousses printanières, que j’ai conservées dans un alcool neutre. Elles ont un goût très intense; j’en ai notamment infusé dans de la crème pour faire une crème glacée, c’était délicieux. C’est fou, tout ce qui existe autour de nous sans qu’on s’en doute ! Je crois que 2020 est l’année où le Canada montrera au monde entier ce dont il est capable. »

> Consultez le compte Instagram de John Horne

Jason Morris, Montréal : aller à la rencontre du client

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le chef Jason Morris et son partenaire Kabir Kapoor,
du restaurant Pastel

Avec son restaurant Pastel, qu’il a ouvert avec son complice Kabir Kapoor, le chef Jason Morris a eu l’honneur de se retrouver cette année à la 8e position du top 10 des meilleurs nouveaux restaurants canadiens du magazine enRoute, qui a souligné son « menu raffiné d’inspiration internationale basé sur une approche japonaise des saisons et techniques culinaires ». Un exploit qu’il avait aussi réalisé avec son précédent projet Fantôme, qui a fermé ses portes cette année mais qui devrait rouvrir au printemps 2020 dans le Vieux-Montréal. Le chef commencera l’année au Japon, un pays qui, croit-il, partage avec le Québec l’amour des produits d’exception et un côté « bon vivant ». Il ira travailler chez un ami qui tient un minuscule restaurant de six places, sur invitation seulement.

PHOTO GUY LAVIGUEUR, FOURNIE PAR JASON MORRIS

Un plat de morue noire de l’Ouest canadien,
création de Jason Morris

« J’aimerais voir s’il est possible de reproduire un modèle du genre ici, une expérience encore plus intime. C’est vraiment vers cela que j’aimerais me diriger. En 2020, j’aimerais ouvrir davantage le dialogue avec le client, sortir de la cuisine pour aller à sa rencontre, partager notre philosophie. Les gens sont incroyablement curieux, ils aiment prendre des risques et découvrir. C’est ce que je tente de proposer dans l’assiette en jouant avec la simplicité et un nombre minimal d’ingrédients pour pousser l’expérience encore plus loin. »

> Consultez le compte site du Pastel

Stéphanie Audet, Lisbonne : retour aux racines

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

La chef Stéphanie Audet lorsqu’elle était chef exécutive
pour les restaurants Lov

Connue pour avoir été chef exécutive des restaurants de cuisine botanique Lov, Stéphanie Audet est aujourd’hui une Canadienne… exilée. Elle a ouvert l’hiver dernier à Lisbonne, avec son conjoint Marc Davidson, Senhor Uva, un bar à vin nature et petites assiettes de saison. Elle y poursuit la même philosophie, soit un travail avec des aliments et ingrédients locaux et majoritairement botaniques.

PHOTO TIRÉE D’INSTAGRAM

Un plat de radis déclinés de multiples façons,
création de Stéphanie Audet

« Au Fórum Gastronómico, nous avons tenté de montrer comment la cuisine canadienne changeait. Selon moi, il y a actuellement un retour à la cuisine d’antan et à ses valeurs : le bio, la cueillette sauvage, travailler les animaux entiers… C’est vraiment un retour aux sources qui nous amène à redécouvrir notre pays. Un exemple, ce sont tous les légumes-racines, des légumes oubliés comme le radis noir, le topinambour, le céleri-rave ou le panais, qu’on redécouvre et apprend à apprêter différemment : coupé cru à la mandoline, rôti entier, cuit à la vapeur, mariné, lacto-fermenté… »

> Consultez le compte Instagram de Stéphanie Audet