La dinde aux atocas n’aura jamais goûté si bon ! Après deux Noëls pas comme les autres, on devrait vivre une sorte de « normalité » cette année. Vivement le retour des traditions ! C’est du moins ce qu’espèrent Lysanne O’Bomsawin et sa fille Sogali, pour qui célébrations des Fêtes riment à la fois avec rituels familiaux et métissage.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Le doigt de Sogali fait office de perchoir pour l’un des deux oiseaux de la famille.

Lorsqu’on arrive dans la jolie maison de pierre de la famille O’Bomsawin-Pilon, à Bécancour, il y a deux oiseaux en liberté qui volent entre la salle à manger et la cuisine, un chat roux indolent et une jeune fille bien impatiente de décorer des biscuits.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Décorer des biscuits de Noël fait partie de ces activités du temps des Fêtes qu’adore Sogali.

Sogali, 9 ans (et demi, insisterait-elle !), raffole de Noël, grâce aux rituels installés depuis sa naissance. À peine les décorations d’Halloween sont-elles remisées qu’elle sort déjà les bricolages et le sapinage. Son nom signifiant « lune sucrée », il ne faut pas s’étonner que la petite adore la pâtisserie.

On ne s’en rend pas assez compte, mais les traditions, quand elles ne sont pas contraignantes, peuvent être source de grand bonheur. C’est cette douce et diffuse sensation de réconfort qui monte en soi lorsqu’on hume des parfums familiers, que l’on goûte la cuisine de son enfance ou qu’on s’installe à table pour une partie d’Uno ou un Monopoly en famille.

« Les mémoires olfactive et gustative, surtout, sont sous-estimées. Pourtant, elles ont le pouvoir d’éveiller plein de souvenirs. J’ai fait le test avec ma tante qui souffre d’alzheimer, il y a quelques années, en lui servant un de nos repas traditionnels, confie Lysanne. Elle a par la suite eu le réflexe de souhaiter ‟joyeux anniversaire” à mon père, dont c’est la fête le lendemain de Noël, chose qu’elle n’avait pas faite depuis un certain temps. »

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

On discute avec Lysanne en attendant la dinde.

Dans le reste de ma famille, du côté de ma mère, les goûts ont le pouvoir de nous ramener dans le passé. Les langues se libèrent et on se met à parler de nos aïeux.

Lysanne O’Bomsawin

La dinde avec une sauce aux canneberges et aux cerises qu’elle a préparée pour notre visite, c’est le goût de sa jeunesse. « Je tiens à la transmettre à mes enfants, avec toutes les autres recettes qu’ils ont connues », insiste celle qui est aussi mère d’un garçon de 15 ans, Mika.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Lysanne O’Bomsawin tient à léguer les recettes qui ont marqué son enfance à ses propres enfants.

Double héritage culinaire

Dans la cuisine de Lysanne O’Bomsawin, il y a deux carnets de recettes manuscrites. Le premier, bien épais, ressemble à celui que toute bonne « ménagère québécoise » chérissait, avec ses salades de macaronis, ses « pâtés mexicains » et autres classiques un peu rétro. Le deuxième, plus mince, contient les secrets de la bannique, du pemmikan et de la sagamité. Ce double héritage culinaire, qui lui vient de sa grand-tante, se retrouve un peu à table dans le temps des Fêtes.

« Moi, je métisse tout, affirme fièrement la chef propriétaire du service de traiteur Québénakis, qui est justement fille d’une Abénakise d’Odanak et d’un Québécois d’origine irlandaise. Pour qu’un peuple évolue, il faut que les bagages se mélangent, dans le respect, bien sûr.

« Du côté de ma mère, on a toujours respecté la tradition canadienne-française de fêter le 24 décembre avec la messe de minuit et le réveillon, poursuit-elle. On jouait aux cartes et on mangeait des canapés et des moules fumées. »

  • La petite Lysanne se fait prendre en photo dans le décor de la crèche vivante, avant la messe de minuit, avec les mannequins et les offrandes (paniers de frêne et autre artisanat) déjà sur place.

    PHOTO FOURNIE PAR LYSANNE O’BOMSAWIN

    La petite Lysanne se fait prendre en photo dans le décor de la crèche vivante, avant la messe de minuit, avec les mannequins et les offrandes (paniers de frêne et autre artisanat) déjà sur place.

  • Bébé Lysanne dans le tikinagan, le soir de la messe de minuit

    PHOTO FOURNIE PAR LYSANNE O’BOMSAWIN

    Bébé Lysanne dans le tikinagan, le soir de la messe de minuit

  • Lysanne et ses deux frères jouent de la musique traditionnelle québécoise et abénakise chez le grand-oncle de leur mère.

    PHOTO FOURNIE PAR LYSANNE O’BOMSAWIN

    Lysanne et ses deux frères jouent de la musique traditionnelle québécoise et abénakise chez le grand-oncle de leur mère.

  • La tradition se poursuit : Mika, fils de Lysanne qui a aujourd’hui 15 ans, joue du violon à Noël.

    PHOTO FOURNIE PAR LYSANNE O’BOMSAWIN

    La tradition se poursuit : Mika, fils de Lysanne qui a aujourd’hui 15 ans, joue du violon à Noël.

1/4
  •  
  •  
  •  
  •  

Chez les Abénakis, ça fait longtemps qu’on fête Noël comme les Canadiens français. Au XIXe siècle, le métissage était bien avancé et les Fêtes plus festives, grâce notamment à l’influence du Noël victorien sous le régime anglais.

Encore aujourd’hui, à l’église d’Odanak, les personnages de la crèche portent des habits traditionnels autochtones. Les cantiques de Noël sont chantés en langue abénakise, dont le Wegôndamôda, un hymne populaire.

J’ai joué le rôle du petit Jésus et chacun de mes enfants aussi. Au lieu de l’encens, c’est de la sauge qui brûle. À la place du sermon, c’est une légende. Puis, sous une peinture du dernier repas, c’est écrit ‟We-he-ga-mit”, notre ‟bon appétit”, qui signifie plus précisément ‟On t’invite à partager”.

Lysanne O’Bomsawin

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

La dinde et sa sauce aux canneberges et aux cerises, un plat qui ramène Lysanne à sa jeunesse.

Le 25 décembre, c’est le temps de sortir tourtière, dinde et sauce aux canneberges, bûche de Noël ou bannique choco, orange et canneberge. Le mot atoca est un emprunt d’origine iroquoienne. Lysanne nous rappelle que le mariage de la viande et des petits fruits est typiquement autochtone.

« La dinde, qui dans notre cas était du dindon sauvage, se mangeait traditionnellement pendant le vrai été des Indiens. C’était le redoux après la première neige, avant que l’hiver ne commence pour vrai. À cette période-là, le troc et l’échange des récoltes avaient lieu. C’est un peu l’héritage autochtone des fêtes de l’Action de grâce ici et aux États-Unis. »

« C’est sûr que si on recule avant la colonisation, les Autochtones ne fêtaient pas Noël. Du moins pas comme des gros safres, dit Lysanne en rigolant. On avait un solstice d’hiver, mais c’était loin d’être l’abondance comme aujourd’hui. »

Outre les rassemblements autour d’une table, les Fêtes de Lysanne et de sa famille sont remplies de sorties de ski de fond, de raquette et de luge, puis de jeux intérieurs. « On se fait un bas au jour de l’An plutôt qu’à Noël, avec une pomme et des bons que j’écris à la main, qui proposent des sorties, pas des bébelles. C’est pas mal ça nos vacances. »

La cuisine pour ouvrir les esprits

Dans la vie de tous les jours, la chef travaille à démystifier le patrimoine culinaire abénakis et celui de nations historiquement alliées, par l’entremise de son entreprise, Québénakis.

« Quand j’ai commencé le traiteur en 2011, les gens n’étaient pas prêts à manger de la cuisine traditionnelle, raconte celle qui a fait des études de cuisine à Longueuil, puis travaillé dans la cuisine de l’hôtel Le Baluchon, entre autres. Ce que je proposais était beaucoup plus dans la fusion, comme des sushis à saveur autochtone ! Puis progressivement, il y a eu de plus en plus de curiosité pour les recettes anciennes, comme la sagamité, un bouilli dans lequel on retrouve les trois sœurs (maïs grain, courge et haricot).

Maintenant, je propose une cuisine du terroir à saveur autochtone. Les gens veulent que je parle de gastronomie autochtone, mais ça n’existait pas. Avant la colonisation, on mangeait une fois par jour et c’était souvent des stews de viande bien gras et consistants. Les épices boréales qu’on voit partout aujourd’hui, elles n’étaient pas utilisées en cuisine. Elles servaient de remèdes.

Lysanne O’Bomsawin, chef-propriétaire du service de traiteur Québénakis

Lysanne nous parle de son appréciation du rat musqué et de comment, autrefois, cette viande était une manière de contourner la règle du vendredi « maigre », où l’Église demandait à ses fidèles de manger plutôt du poisson. « Le rat musqué, ça vit dans l’eau » !

Cela dit, c’est plutôt un menu de poissons fumés, de soupes, de canard, etc. que sert Québénakis. « Tout le monde mange. La bouffe, ça crée des ponts. Les gens veulent en savoir plus et le contexte du repas fait en sorte qu’ils n’ont pas peur de poser des questions. L’image que bien des Québécois ont des communautés autochtones est souvent basée sur les nations plus éloignées. Mais les Abénakis sont domiciliés et intégrés. J’aime défaire les préjugés. Ça nous permet d’avancer en tant que société. »

Consultez la page Facebook du traiteur Québénakis