Après une pandémie particulièrement meurtrière en CHSLD, qui a révélé les failles de notre système, on aurait pu espérer que cela marque enfin le début d’un grand virage vers un système permettant de vieillir chez soi. On aurait pu espérer que les soins à domicile et le soutien aux proches aidants soient des enjeux phares de la campagne électorale.

Le grand virage n’a pas eu lieu, comme si on avait déjà oublié l’hécatombe dans nos CHSLD. Comme si on tenait pour acquis le travail invisible des personnes proches aidantes, le plus souvent des femmes qui s’appauvrissent en tentant de colmater des brèches de plus en plus grandes de notre filet social. Sans elles, le système s’écroulerait. Encore faut-il qu’elles tiennent le coup…

J’en discutais cette semaine avec des proches aidantes réunies au Carrefour des femmes de Saint-Léonard.

« On est quand même chanceux d’avoir un système de santé universel. Mais il y a des choses à améliorer. Les gens sont essoufflés par la pandémie », observait Louise, 66 ans.

De quoi ces femmes proches aidantes auraient-elles besoin ?

De formation et de maisons de répit, a répondu France, 59 ans.

De plus de services de loisir dans les résidences, pour ne pas avoir le cœur brisé quand on y laisse un parent, a dit Marylyne, 42 ans, dont la mère est atteinte de la maladie d’Alzheimer.

Est-ce qu’il pourrait y avoir un peu de bonheur pour les gens qui sont pognés dans les résidences ? De l’animation ? Moi, ma mère est toujours parquée devant la télé…

Marylyne, 42 ans

En tête de liste des choses à améliorer ?

Plus de soins à domicile, ont dit plusieurs d’entre elles.

« La personne a le temps de mourir avant de recevoir de l’aide… »

« Au lieu de faire des maisons des aînés à 800 000 $ la chambre, M. Legault aurait pu faire quelque chose de plus petit et donner plus d’argent pour le soutien à domicile », a laissé tomber Rosa, 69 ans, qui a dû prendre une année sabbatique pour s’occuper de sa mère qui ne voulait rien savoir d’aller en CHSLD.

Il y a longtemps que l’on sait que, pour ne pas être submergé par le tsunami gris que constitue le vieillissement accéléré de la population, on doit pouvoir compter sur un système qui permette de vieillir chez soi. Pourtant, le Québec demeure à la traîne. Pas juste par rapport à des premiers de classe comme le Danemark⁠1. Mais aussi par rapport au reste du Canada. C’est la province qui investit le moins en soins et services à domicile par habitant.

« Il faudrait voir ce qu’il y a dans les plateformes pour les proches aidants et les soins à domicile… », a suggéré Louise.

Le DRéjean Hébert, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, qui fait des soins à domicile son cheval de bataille depuis plus de 35 ans, a fait cet exercice comparatif⁠2.

L’ex-ministre de la Santé et des Services sociaux sous le gouvernement Marois, qui ne milite plus pour aucun parti, fonde son analyse sur les travaux de la Chaire de recherche sur les enjeux intergénérationnels, qui ont montré que le statu quo était intenable.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Le DRéjean Hébert

Le DHébert se désole que la Coalition avenir Québec ait habilement reporté tout engagement à ce sujet, le gouvernement sortant ayant confié au Commissaire à la santé et au bien-être le mandat d’examiner le soutien à domicile.

Cela a été une stratégie pour évacuer ce débat de la campagne électorale.

Le DRéjean Hébert, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

Du côté du Parti libéral, les propositions sont décevantes. Mis à part une allocation pour aînés de 2000 $, il n’y a pas grand-chose permettant de faire un grand virage vers le soutien à domicile.

Sans conteste, c’est le Parti québécois qui offre le plan le plus intéressant pour y arriver, en proposant de hausser le budget annuel des soins à domicile de 3 milliards pendant un premier mandat. Cela ferait en sorte que 50 % du budget des soins de longue durée serait consacré aux services à domicile.

L’engagement de Québec solidaire de hausser de 750 millions le budget annuel des soins à domicile est mieux que le statu quo, mais demeure insuffisant, selon le DHébert. Quant à la proposition du parti de rémunérer les personnes proches aidantes, même si elle est bien intentionnée, il y voit une fausse bonne idée qui aurait des effets pervers, notamment pour les femmes chargées le plus souvent de ce fardeau. À cause de l’incapacité de l’État de fournir des services essentiels, elles pourraient être encouragées à quitter leur emploi, aggravant la pénurie de main-d’œuvre, pour faire à bas prix un travail pour lequel elles ne sont pas formées. Un peu comme lorsqu’on somme les femmes de rester à la maison pour élever les enfants plutôt que d’investir dans les garderies.

Dans un monde idéal, la proposition plus ambitieuse du PQ semble plus à même de mener au grand changement de société qui s’impose. Mais on peut se demander comment, avec un plafond d’immigration à 35 000 comme il le propose, on arriverait à combler la pénurie de préposés aux bénéficiaires et de personnel de soutien à domicile.

Pour l’heure, il en est du tsunami gris comme de la crise climatique… Même quand ça nous frappe de plein fouet, on peine encore à en saisir l’urgence.

1. Lisez le reportage d’Ariane Lacoursière au Danemark 2. Lisez l’analyse du DRéjean Hébert