Une lutte à deux entre caquistes et solidaires ? Ce n’est pas ce que disent les sondages.

Les libéraux, les solidaires et les conservateurs sont à égalité statistique en deuxième position dans les intentions de vote, et les péquistes se battent pour les rattraper.

Malgré tout, Gabriel Nadeau-Dubois et François Legault prétendent que la véritable course se joue entre eux. Ces deux-là semblent un peu trop contents de ne pas s’entendre.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Le chef caquiste, François Legault, au Sommet de l’Union des municipalités du Québec, vendredi

Le co-chef solidaire ne devrait pas laisser le compliment lui monter à la tête. Si les caquistes en font la principale cible de leurs critiques, c’est parce qu’ils voient en lui un adversaire facile à défaire. Et un repoussoir idéologique utile, aussi. La stratégie de M. Legault : prétendre que la vérité se situe entre les solidaires et les conservateurs, dans le centre mou où il s’étale.

Parmi les idées dont il parle moins : les soins à domicile. Un des grands experts au Québec, le DRéjean Hébert, démontre que le plan péquiste est de loin le meilleur. Après la tragédie vécue dans les CHSLD, on aurait espéré que ce serait au cœur de la campagne. Mais le sujet se résume mal en un clip de 10 secondes.

Lisez l’analyse du DRéjean Hébert, ex-ministre péquiste et ex-candidat pour le Parti libéral du Canada

Certes, Gabriel Nadeau-Dubois a eu un excellent débat jeudi à TVA, et Paul St-Pierre Plamondon était bon. Reste que, malgré ce succès d’estime, Québec solidaire progresse peu. Le parti de gauche essaie de conserver certains sièges, comme Jean-Lesage à Québec. Il doit aussi exhorter les étudiants à changer d’adresse pour voter dans des circonscriptions universitaires comme Sherbrooke, même si le Directeur général des élections s’y oppose.

L’itinéraire de l’autocar caquiste donne un portrait plus juste de l’état des forces. Il s’est rendu à nouveau dans la région de Québec, là où le Parti conservateur lui souffle dans le cou. Et il bourdonne un peu à Montréal, en terres libérales.

M. Legault est avantagé par la division de ses rivaux. Elle est sans précédent dans l’histoire du Québec. Jamais trois partis de l’opposition, voire quatre, ne se sont si également divisé le vote.

Pour en profiter au maximum, le chef caquiste se lance dans d’étonnantes stratégies.

Au débat de la semaine dernière, M. Legault a déploré le fait que QS taxerait 4800 $ l’achat d’une Toyota Camry, un modèle prisé par la « classe moyenne ». En fait, parmi les huit modèles de Camry en vente, six ne seraient pas taxés. Les populaires Honda CRV, Subaru Crosstrek, Hyundai Kona ou Toyota Rav4 seraient aussi épargnés.

Seules les versions sportives et luxueuses TRD et XSE de la Camry seraient ciblées. En d’autres mots, M. Legault croit que le monde ordinaire a besoin d’une grosse cylindrée avec aileron intégré, calandre sport grillagée et roues de 19 pouces. Une nécessité pour garder toute la petite famille heureuse et aérodynamique dans le trafic, il faut croire…

La taxe à l’achat ciblerait les gros modèles comme les minifourgonnettes et les pick-ups. La facture additionnelle : entre 7500 et 12 000 $. Elle serait modulée selon les régions et des exemptions sont prévues pour les familles avec trois enfants à charge ainsi que les véhicules commerciaux et adaptés.

M. Legault n’a pas tort de dire que l’effet serait limité et que l’application serait compliquée. Mais il va plus loin. Il veut transformer l’environnement en sujet émotif. Son but : que les électeurs croient que les écologistes les jugent. Et ça semble marcher.

En politique, un bon slogan se reconnaît par sa simplicité et par sa capacité à être décliné sur une multitude d’enjeux. C’est le cas de la « taxe orange ».

L’expression réfère aussi à l’imposition des actifs nets supérieurs et des grandes successions au-delà de 1 million de dollars. Cela toucherait un nombre limité de gens. En 2019, 5 % des Québécois valaient plus de 1 million. Ce pourcentage a toutefois augmenté à cause du boom immobilier. Quant aux successions, QS oublie que l’impôt sur le gain en capital existe déjà — l’héritage deviendrait alors doublement imposé.

Cela mérite des critiques nuancées. Mais en campagne électorale, la nuance semble parfois impossible.

Quand M. Legault exige du réalisme, ses adversaires lui répondent : et le troisième lien ?

Car c’est maintenant officiel, la CAQ n’a pas d’études sur l’utilité ou le coût du projet. Au moins, elle a abandonné la première mouture pharaonique, qui n’aurait été rien de moins que le plus gros tunnel au monde.

Ce n’est pas la première fois qu’un parti promet un projet avant de l’avoir étudié. Les précédents gouvernements ont toujours procédé ainsi en transports en commun.

Les libéraux font la même chose avec Éco. Une société d’État serait créée pour l’hydrogène vert, sans savoir si cette énergie serait utile. Pour l’instant, tout indique le contraire : Éco consisterait en gros à gaspiller de l’énergie pour en produire. Si M. Legault court-circuite le travail des experts en présumant que le Québec aura besoin de nouveaux barrages hydroélectriques, Dominique Anglade fait encore pire.

Québec solidaire détaille aussi très peu ses projets comme la création de sociétés d’État pour le rail et la nationalisation de circuits d’autocar. À quel coût ? Avec quelles ressources ? Et quelle bureaucratie ?

C’est sans doute pour cela que M. Legault fait comme si le parti de gauche était son principal adversaire. Il cherche un repoussoir pour relativiser ses propres approximations.

Choisir de quoi on parle, c’est aussi une façon de contrôler de quoi on ne débat pas.