Andréanne Fiola venait de terminer son lunch avec des collègues, jeudi midi, quand elle a réalisé qu’elle avait manqué un appel. Elle a composé le numéro. C’était un journaliste du Courrier Laval.

« Je n’aime pas être porteur de mauvaises nouvelles », a-t-il commencé. Mais, bon… il l’avait démasquée. Il avait des preuves en béton. Nul besoin de mentir ; il savait qu’elle avait joué dans un film porno !

La fille de la vidéo portait un masque, mais le journaliste ne s’était pas laissé berner. « On croit vraiment que c’est vous, lui a-t-il dit. Ce sont vos tatouages qui vous ont trahie… »

Sur le coup, Andréanne Fiola, 22 ans, candidate péquiste dans Laval-des-Rapides, a cru à un canular. Pour elle, cette vidéo était de l’histoire ancienne. Elle l’avait fait retirer du site Pornhub plusieurs mois avant de se lancer en politique provinciale.

Elle avait cru pouvoir enterrer ça. Pouvoir se concentrer sur sa campagne et les enjeux qui lui tiennent à cœur. L’environnement, surtout. « Malheureusement, mon pire cauchemar s’est réalisé. »

Andréanne Fiola a raccroché. Le choc. La honte. « Mes parents n’étaient pas au courant, la majorité des gens autour de moi, à mon travail, les collègues… »

Elle a quitté le bureau en catastrophe.

Je n’avais pas le choix de le dire à mes parents. Cela a été très émotif. Ce n’est pas nécessairement quelque chose qu’un parent veut apprendre. Mes parents m’accompagnent dans tout ça, mais c’est sûr que cela a été très difficile.

Andréanne Fiola

Tout le reste de l’après-midi, la jeune femme s’est préparée à affronter la tempête. Puis, vendredi matin, la bombe a éclaté. « Une candidate du PQ à Laval dans l’eau chaude », titrait le Courrier Laval.

Mais le vrai scandale n’était pas dans la manchette. Il était enfoui au huitième paragraphe de l’article.

On y lisait qu’avoir su, Michel Trottier, ancien chef du Parti Laval aujourd’hui candidat libéral de Sainte-Rose, n’aurait pas recruté Andréanne Fiola comme candidate aux élections municipales de 2017 et de 2021. « Pas du tout ! Évidemment, ce n’était pas le genre de candidature que nous recherchions pour représenter les citoyens de Laval », a assuré Michel Trottier au journal local.

Pas le genre de candidature…

Quelqu’un peut-il rappeler au candidat sainte-nitouche de Sainte-Rose qu’on est en 2022 ? Que le sexe entre adultes consentants, à l’écran, ne constitue pas un crime ? Que les femmes ont le droit de disposer de leur corps à leur gré ?

Pas le genre de candidature…

Pendant qu’on y est, peut-on demander à Michel Trottier s’il a déjà regardé de la porno ? Si oui, cela fait-il de lui un mauvais candidat ? Estime-t-il plutôt que le « genre de candidature » à rejeter s’applique strictement aux femmes qui font bander les hommes sur le web ?

J’aurais bien aimé lui poser ces questions moi-même, mais le candidat libéral a refusé ma demande d’interview. Sur les réseaux sociaux, il s’est excusé de sa réaction, celle d’un « père bouleversé par une révélation inattendue ».

Andréanne Fiola a fait deux campagnes électorales aux côtés de Michel Trottier. « J’ai fait plein de porte-à-porte pour le mettre de l’avant, pour mettre de l’avant nos idées, on a passé énormément de temps ensemble. » Elle a été choquée de constater que son ancien chef la réduisait à « ça ».

Décidément, la politique ne fait pas de quartier.

Fort heureusement, Paul St-Pierre Plamondon, lui, n’a pas jeté sa candidate sous l’autobus. Au contraire. « Que la personne qui n’a jamais consommé de pornographie jette la première pierre, a tonné le chef péquiste, vendredi matin. Un moment donné, il y a des limites à l’hypocrisie ! »

Paul St-Pierre Plamondon paraissait choqué. Ébranlé, même, par le sort réservé à sa candidate. « Elle n’était pas identifiable et du jour au lendemain, elle se retrouve dans une situation vraiment déplorable. Je suis obligé de dire que c’est dégoûtant… »

Le chef péquiste a parfaitement raison. C’est dégueulasse. Le Courrier Laval a merdé. Il y avait zéro intérêt public à cet article.

Mais l’histoire est quand même là, étalée au grand jour. Andréanne Fiola sait qu’elle va lui coller à la peau. « Quand on va chercher mon nom sur le net, c’est quelque chose qui va ressortir, maintenant. J’aurais voulu que ça ne sorte pas. Mais, en me lançant en politique, je m’attendais à avoir des commentaires négatifs. Je suis déjà habituée à en avoir, alors je pense que je vais être capable de vivre avec… »

Elle l’a fait pour l’argent, surtout. « Le coût de la vie est élevé, c’est difficile. En tant qu’étudiante, c’est difficile de tout payer, donc on essaie de trouver différents moyens de faire de l’argent… »

J’ai voulu en savoir davantage, mais elle a refusé d’aller plus loin. Et, franchement, ses motivations profondes, ce ne sont pas mes affaires — ni les vôtres, d’ailleurs.

Bien sûr, on peut élargir le débat, parler de la place de la porno dans la société. Mais Andréanne Fiola n’a pas à porter cet enjeu sur ses épaules. Son truc, c’est l’environnement.

On peut critiquer Pornhub. Dénoncer le fait que le géant mondial de la porno ait monétisé des vidéos diffusées sans le consentement des femmes qui y apparaissaient.

Mais dans le cas d’Andréanne Fiola, tout s’est déroulé de façon consensuelle. Tout était légal.

L’enjeu n’est pas là. Il est dans l’humiliation publique d’une jeune femme assez courageuse pour se lancer en politique.

D’autres auraient abandonné pour moins que ça. Pas Andréanne Fiola. « On se présente en politique pour changer les choses. Je veux vraiment aider notre planète, notre communauté. Je veux faire une différence. Je ne vais pas me laisser abattre par ça. »

On ne peut qu’admirer sa résilience. Reste que ça n’aurait pas dû se passer comme ça.

Ça ne devrait plus jamais se passer comme ça.