Dans les minutes qui ont suivi la déclaration de François Legault sur le lien entre l’immigration et la violence, ma messagerie a explosé.

J’étais en studio, à la radio.

Dès que j’ai vu passer les mots de M. Legault, je sentais que ça allait devenir l’histoire du jour. Rappelons-les : « Les Québécois sont pacifiques. Ils n’aiment pas la chicane, ils n’aiment pas les extrémistes, ils n’aiment pas la violence. Donc, il faut s’assurer qu’on garde ça comme ça. »

La messagerie d’un journaliste est comme ses réseaux sociaux : un baromètre imparfait de l’air du temps. Souvent, mais pas toujours, ce sont les plus fâchés de nos concitoyens qui se donnent la peine.

Mais c’est quand même un baromètre. Et je résume l’essence des commentaires qui ont afflué, mercredi, en fin d’après-midi : « Le PM a raison, les immigrants ne s’intègrent pas. Pis ils commettent des crimes ! »

Tout le monde peut commettre des crimes. Des Blancs, des Noirs, des nains, des géants, des hommes et des femmes, même des transgenres en fauteuil roulant. Là n’est pas la question.

La question, ici, c’est : est-ce que les immigrants commettent plus de crimes que la moyenne des ours ?

Et l’affirmation de François Legault – je sais qu’il a fait un rétropédalage – était ça, l’affirmation de ce qui lui apparaissait comme un fait. Sa pensée était limpide : plus il y a d’immigrants, moins la société d’accueil est en paix, plus il y a de violence.

Si c’est vrai, il faut en parler.

Mais si c’est faux, en parler ne fait qu’exciter les gens pour qui l’immigration est une menace. Le spectre est très large, de la méfiance de bon aloi de celui qui n’a jamais côtoyé d’immigrants à celle qui déteste l’Autre, qui le jetterait à la mer.

Le PM, mercredi après-midi, n’a pas été cité hors contexte. Il n’a pas été pressé par le temps. Il n’était pas dans un débat où, interrompu par un adversaire, il s’est mal exprimé parce qu’il n’a pas pu terminer une phrase.

Non, le PM énonçait une sorte d’évidence.

Je ne sais pas si François Legault a des données qui montrent quels immigrants menacent la paix sociale par quel type de crimes.

Mais s’il en a, des données, il ne les a pas révélées. Il a rétropédalé immédiatement quand son équipe de stratèges aux communications a constaté les nuages noirs qui s’accumulaient rapidement dans le ciel caquiste, à cause de ces mots-là.

Mais je suis convaincu que François Legault sait qu’un bon nombre de nos concitoyens voient l’immigration comme une menace… et seulement comme une menace.

Peut-être que je suis cynique, ça m’arrive aussi souvent que d’être naïf, mais ce que François Legault a envoyé à ces gens-là, c’est de la viande rouge politique. Une façon de leur dire, clairement : je vous entends, pis j’ai les mêmes craintes que vous face aux étrangers.

Mais il s’est excusé, me direz-vous…

Oui.

Mais permettez un aperçu de ma messagerie, suivant ces excuses : le PM ne s’est excusé que pour apaiser les journalistes wokes

Le populisme est sans doute vieux comme la politique. Quand on s’adresse aux foules, à des milliers de gens, il faut parfois tourner les coins rond. Même Québec solidaire a son populisme bien à lui, qui s’est manifesté cette semaine quand le parti de gauche a décrété que les Québécois qui ont des actifs totalisant 1 million de dollars sont « riches ». Selon ce prisme, les cols bleus qui ont une pension garantie à vie sont donc « riches »…

Mais ce qui est fascinant dans le cas du populisme caquiste, c’est qu’il semble passer dans le beurre, grâce au populisme conservateur de l’équipe d’Éric Duhaime, qui incarne un populisme souvent surréaliste, comme en fait foi l’amour inconsidéré de bon nombre de ses partisans et candidats pour des théories du complot loufoques.

Le chef conservateur traîne des casseroles populistes bruyantes, lui qui prônait naguère que les pauvres ne devraient pas pouvoir voter, pour ne citer qu’un seul exemple. Il est dominant dans l’art de torturer les faits pour créer une image forte, lui qui a déjà déclaré qu’il valait mieux avoir de la mauvaise information que pas d’information du tout.

Si Éric Duhaime et la galaxie de conspirationnistes qui le suit n’étaient pas en politique, les dérapages populistes de la famille caquiste seraient beaucoup plus scrutés. Mais la forêt des désenchantés de M. Duhaime leur fait de l’ombre…

Ces dérapages populistes caquistes sont nombreux, du « Lâchez-moi avec les GES » du troisième lien de Bernard Drainville à François Legault qui fait campagne sur le dos des Montréalais (qui regarderaient Québec de haut et devraient se taire sur la Fonderie Horne de Rouyn-Noranda), qui réduit la réforme du mode de scrutin (qu’il appuyait) à une lubie d’intellectuels et qui s’enfonce avec la notion discréditée du nombre de ponts par habitant…

J’en oublie ?

Sans doute que j’en oublie. Mais il faut ajouter le signal à peine codé que le PM a envoyé aux Québécois effrayés par l’immigration, mercredi.

Le plus déprimant dans la sortie du PM, au-delà de son caractère qui reste non factuel jusqu’à preuve du contraire, c’est qu’elle survient dans un contexte où la CAQ est largement dominante, où les sondages lui donnent une super-majorité avec – peut-être – 100 sièges…

Et malgré ça, le PM a décidé de sortir l’épouvantail des méchants immigrants.

Ce serait quoi, s’il n’était pas assuré de gagner ?