Après une semaine de campagne, je retiens une chose : la grande urgence de la Nation, c’est de baisser les impôts.

La Coalition avenir Québec, le Parti libéral du Québec et le Parti conservateur du Québec ont tous sauté dans le train des baisses d’impôt, dès les premiers jours de campagne.

Québec solidaire n’est pas en reste : Gabriel Nadeau-Dubois promet de suspendre la taxe de vente provinciale sur plein de choses, comme les vêtements, les services de réparation et la nourriture, tant en épicerie qu’au restaurant…

Ça inclut donc votre steak tomahawk chez Metro à 50 $ l’unité.

Je veux bien qu’on baisse les impôts. Toujours plate de constater ce qu’Ottawa et Québec ponctionnent de notre paie. Toujours irritant de faire le rapport trimestriel TPS/TVQ. On avale toujours de travers quand, au printemps, il faut faire un chèque au fisc.

Je comprends.

Mais nos écoles tombent en ruine, comme plusieurs hôpitaux, les urgences débordent, les besoins en soins à domicile sont hallucinants, il y a des régions où le nombre de pédopsychiatres se compte sur les doigts d’une main, des enseignantes achètent du mobilier scolaire à même leur NIP personnel, les infirmières désertent les hôpitaux (ce qui plombe la résilience de celles qui restent), un accusé de meurtre arrêté aujourd’hui verra son procès commencer (peut-être) en 2024 car le système de justice est saturé, des directions d’école partout dans la province doivent choisir entre une technicienne en éducation spécialisée et une orthopédagogue à temps partiel pour l’année 2022-2023, les quartiers de Montréal-Nord, Saint-Michel et Rivière-des-Prairies sont mûrs pour un plan Marshall social, la marche glorieuse des immeubles de condos bouffe nombre de maisons de chambres montréalaises qui hébergeaient des personnes qui se retrouvent donc itinérantes, les chauffeurs de bus scolaires désertent le métier parce que c’est plus payant de travailler ailleurs, ce qui force des parents partout au Québec à se transformer en chauffeuses de taxi…

Bref, ça craque de partout, les besoins sont immenses à la grandeur des champs de compétence de l’État.

Mais le premier ministre François Legault pense qu’il faut baisser les impôts, c’est son thème de la première semaine ?

Wow.

Le gouvernement fédéral, à qui le Québec demande plus d’argent pour financer la santé, doit trouver cette idée de notre premier ministre absolument géniale.

On peut blâmer les partis. Mais les partis connaissent l’électorat. Toujours là à ausculter l’électeur, à grands coups de sondages et de focus groups, oui, ils vous connaissent très, très bien…

S’ils se sont lancés dans le grand manège de la réduction urgente du fardeau fiscal, c’est justement car ils vous connaissent bien.

Ils savent que vous préférez entendre parler de baisses d’impôt bien plus que vous avez envie de savoir comment ils vont faire pour qu’on n’attende plus 17 heures aux urgences ; pour que les ados qui sortent du secondaire sachent vraiment lire, écrire et compter et pour que les psychiatrisés qui squattent les rues, les parcs et les abribus soient pris en charge décemment plutôt que par la police…

Les partis ont-ils parlé de ça, dans la première semaine ?

À peu près pas. C’est pas là-dessus qu’ils ont voulu marquer le coup.

Juste l’absence de l’éducation dans les sept premières journées de campagne, ça me sidère. Mais ça en dit tellement, tellement long sur nous.

Tenez, il y a une semaine, Le Journal de Montréal1 a rapporté le cas de l’enseignant Michel Stringer, de l’école secondaire Sophie-Barat, à Montréal. L’histoire : M. Stringer est immunosupprimé et atteint de fibrose pulmonaire. Mais il ne veut pas attendre sa paie chez lui, il veut enseigner. Même si, en temps de COVID-19, ça le met à risque.

Son médecin lui donne le feu vert pour enseigner à Sophie-Barat, à trois conditions…

Porter un masque N95, doter sa classe d’un purificateur d’air et son bureau d’un plexiglas.

Le Centre de services scolaire de Montréal a tranché : non.

Ensuite, le CSSDM a dit ouain, OK d’abord : on va te fournir le plexiglas, mais pas le N95 ni le purificateur d’air en classe. Car les purificateurs d’air, a-t-on tranché dans la stratosphère du ministère de l’Éducation, seraient inutiles…

Et tant pis si les commissions scolaires anglo-québécoises, de même que nos écoles privées et toutes les écoles de l’Ontario, elles, trouvent les purificateurs d’air tout à fait utiles.

Le CSSDM, lui, ne veut pas fournir de masques N95 à son employé, même si ce sont les plus efficaces. La décision du CSSDM est en contradiction avec les recommandations du médecin de M. Stringer et en contradiction, aussi, avec une recommandation de l’Institut national de santé publique (INSPQ), pour qui l’avis du médecin dans le cas des immunosupprimés devrait avoir prépondérance sur les règles de l’employeur…

Résultat : le prof Stringer est dans les limbes, dans un contexte de pénurie de profs. Bah, une classe de plus ou de moins surveillée par un non-prof au Québec, who cares ?

Dans une société où l’école est vraiment importante, l’histoire de Michel Stringer aurait fait scandale, en pleine campagne. On se serait déchiré la chemise collective là-dessus. Sauf que non.

L’histoire est pourtant hautement symbolique : elle touche la qualité de l’air en période de pandémie en classe, dans une école qui tombe en ruine, en pleine pénurie de profs. Trois dossiers qui devraient hanter le gouvernement sortant…

Mais l’histoire est passée sous le radar, comme d’habitude quand il s’agit d’éducation. On regarde ça, on s’offusque un peu, on rouspète, mais on rouspète pour la forme, pis après…

Si l’éducation générait le tiers du débat suscité par la place du hijab dans notre société, les Québécois auraient le meilleur système scolaire au monde.

Si on voulait que l’école publique québécoise soit autre chose qu’un vaste foutoir qui fabrique des analphabètes fonctionnels diplômés et qui broie des profs au point de les pousser à changer de carrière, l’histoire de Michel Stringer ne serait pas passée sous le radar.

Mais les partis nous connaissent si bien. Baissez mes taxes, baissez mes impôts, pis pour le reste, si je paraphrase Bernard Drainville : « Lâchez-moi avec ça. »

1. Lisez le texte du Journal de Québec