Combien y a-t-il d’ultrariches au Québec ? Des centaines de milliers, croit Québec solidaire (QS).

Le parti de gauche veut instituer un impôt sur les grandes fortunes et les successions. « Ce n’est pas un impôt sur les riches, c’est un impôt sur les ultrariches », a prétendu son chef parlementaire Gabriel Nadeau-Dubois.

Il ratisse plutôt large. Difficile de dire avec précision combien de gens possèdent un actif net de 1 million de dollars ou plus. Ces données sont en partie confidentielles. Québec solidaire en dénombre 338 000, ou 5 % de la population.

L’avoir des ménages a augmenté à cause du vieillissement de la population et du boom immobilier. Parmi les contribuables visés par QS se trouvent des gens de la classe moyenne supérieure qui financent leur retraite avec leur propriété. Même s’ils restent privilégiés, l’expression « ultrariches » est abusive.

À titre de comparaison, le Nouveau Parti démocratique utilisait ce terme lors de la dernière campagne pour les gens détenant 20 millions ou plus. Aux États-Unis, Joe Biden proposait d’imposer les fortunes dépassant 32 millions.

De nombreux ménages devraient faire évaluer chaque année la valeur de leur propriété, de leurs placements ou de leur entreprise. Et des fonctionnaires devraient la vérifier. Sans oublier le risque de fuite vers les autres provinces.

En contrepartie, le chèque serait parfois modeste.

L’impôt de QS serait calculé sur les actifs nets qui dépassent le million de dollars. De 1 à 10 millions, le taux est de 0,1 %. De 10 à 100 millions, il serait de 1 %. Puis de 1,5 % à partir de 100 millions.

Ce taux n’est pas déraisonnable. Si votre avoir s’élève à 2 millions, cela équivaut à une ponction annuelle de 1000 $. Mais cela signifie aussi que si votre actif est de 1 100 000, vous devrez payer 100 $. Voilà beaucoup de bureaucratie pour un faible gain.

Les libéraux ont proposé une mesure plus simple et modeste : hausser le taux d’imposition pour les revenus dépassant 300 000 $.

Il y a toutefois deux bémols à l’idée de Dominique Anglade.

Le premier : comme le démontrait la fiscaliste Brigitte Alepin dans nos écrans⁠1, le problème est surtout que les plus fortunés contournent l’impôt actuel. Au lieu du taux prévu de 53 %, ils réussissent à n’en payer que 31 %. La priorité serait de faire respecter l’impôt actuel avant de le hausser sans savoir si cela fonctionnera.

Le deuxième : le revenu n’est pas la principale source d’inégalités.

Ce débat a le mérite de poser des questions essentielles : les inégalités s’accroissent-elles ? Et l’impôt joue-t-il son rôle ?

Si on sonde les Québécois, la réponse est claire : 54 % d’entre eux croient que les inégalités augmentent et 87 % veulent en faire une priorité politique.

Reste à savoir de quoi l’on parle.

Le revenu brut n’est pas la meilleure mesure. Il est préférable de comparer le revenu disponible après l’impôt et les mesures redistributives. Au Canada, selon cette mesure, les inégalités ont augmenté depuis les années 1980.

Consultez le site de Statistique Canada

Au Québec, les politiques sociales ont toutefois compensé cet effet⁠2. Et consolation au bas de l’échelle : la pauvreté a reculé, au Québec comme au Canada.

Le revenu disponible n’est pas le seul indicateur. Les riches tirent davantage leur fortune de leur patrimoine financier et immobilier.

Au Québec, les inégalités de revenu sont plus faibles que dans le reste du pays, mais celles sur le patrimoine sont plus grandes. Pour le revenu disponible après impôts et transferts, le quintile le plus riche gagne 7,6 fois plus que le quintile le plus pauvre⁠3. Mais pour le patrimoine, cet écart est de 508 fois !

Voici l’évolution de ces inégalités pour le Canada.

Consultez le site de Statistique Canada

Que faire ? La majorité des pays de l’OCDE prélèvent un impôt sur les successions. Le Canada n’en a pas, mais il est toutefois un des rares endroits à imposer le gain en capital lors d’un héritage.

QS veut ajouter un autre mécanisme. L’objectif n’est pas farfelu – d’ailleurs, le Québec a déjà eu un impôt sur la succession4. Il se défend très bien : après tout, il n’y a aucun mérite à être né dans une famille riche.

Mais dans l’ensemble, la proposition solidaire semble avoir été conçue un peu vite.

QS a déjà lui-même reconnu une erreur. Contrairement à ce qui était prévu, il exempterait les agriculteurs. Depuis des années, le Québec se bat pour éviter la fermeture de fermes familiales et pour faciliter le transfert entre générations. L’idée solidaire menaçait de saper ces efforts pour protéger l’autonomie alimentaire.

La lutte contre les inégalités est un combat nécessaire. Mais c’est dans les détails qu’il se complique.

1. Lisez le texte de Brigitte Alepin

2. Deux mesures existent sur les inégalités : les coefficients Gini et Palma. Ils ont légèrement diminué au Québec entre 1980 et 2020.

Consultez le rapport de l’Observatoire québécois des inégalités 3. Consultez le site de l’Institut de la statistique du Québec

4. L’impôt sur la succession du Québec a été aboli en 1985

Lisez un résumé de Luc Godbout, professeur de fiscalité à l’Université de Sherbrooke