Un homme appelle au poste de quartier pour prévenir les policiers qu’un meurtre serait commis : ils auront à récupérer le cadavre de la députée libérale Marwah Rizqy.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Comment expliquer cette violence, ces menaces, cette haine féroce qui empoisonnent le climat politique québécois ?

Jeudi matin, Marwah Rizqy a accusé le chef conservateur Éric Duhaime de « canaliser la haine et la colère » dans le but de faire son entrée à l’Assemblée nationale.

La veille, la députée avait avancé que « plusieurs personnes dans les dernières années ont vécu de la frustration avec la pandémie. Peut-être qu’il a des fils qui se sont touchés. »

Peut-être bien, en effet.

Il y a beaucoup de fils qui se touchent, depuis deux ans. Des enragés qui lancent des cailloux à Justin Trudeau, d’autres qui menacent de pendre François Legault, d’autres qui pourchassent Jagmeet Singh en l’insultant copieusement…

Tous ces gens ont un point commun : ils sont décrochés du réel. Convaincus que les politiciens sont animés des pires desseins, ils se sentent investis d’une mission.

La semaine dernière, les Canadiens ont eu des frissons en découvrant la vidéo d’un homme poursuivre en vociférant la vice-première ministre fédérale Chrystia Freeland. Mais dans sa réalité tordue, cet homme se voyait en héros.

Ce n’est pas un hasard si la police conseille aux candidats de porter des gilets pare-balles en campagne électorale. Elle sait que la folie en ligne déborde de plus en plus souvent dans la rue.

Il suffit qu’un complotiste décide de se transformer en justicier, comme cet Américain armé qui a fait irruption dans une pizzéria de Washington, en 2016, pour libérer les enfants prisonniers d’un réseau de pédophiles démocrates…

Pas plus tard que mardi, une radio de Québec a offert à ses auditeurs un segment de 18 minutes sur le pizzagate, présentant cette théorie du complot absurde comme une très, très probable réalité. « C’est vrai que c’est louche en joual vert », a commenté l’animateur.

L’ère de la post-vérité, nous avons les deux pieds dedans.

Tant de théories débiles circulent sur les réseaux sociaux – et, désormais, à la radio – que plusieurs d’entre nous n’arrivent plus à distinguer ce bla-bla toxique des faits objectifs, vérifiables et vérifiés. Il n’y a plus de conception commune de la réalité.

Aux États-Unis, des millions d’Américains pensent que Donald Trump s’est fait voler ses élections. Ils y croient dur comme fer. Des milliers d’entre eux ont violemment pris d’assaut le Capitole pour réparer cette injustice. Quelques-uns ont perdu la vie. Morts pour un grand mensonge.

Au Québec, on n’en est pas encore là… mais on y arrive.

Pour la première fois, chez nous, une formation politique courtise le vote des complotistes. Et ça marche.

Près de 50 % des électeurs qui disent vouloir voter pour le Parti conservateur adhèrent à des théories du complot, a révélé cet été une étude de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent.

La moitié des électeurs potentiels d’Éric Duhaime seraient donc plus ou moins complotistes. C’est énorme. Et pas du tout rassurant.

Il y a deux semaines, Mme Rizqy s’est attiré des torrents de haine en ligne après avoir suggéré à M. Duhaime de faire le ménage parmi ses candidats. L’un d’eux a comparé la vaccination à un viol. Plusieurs autres ont partagé de la désinformation et des théories du complot sur les réseaux sociaux pendant la pandémie.

À ce jour, le PCQ a largué une seule candidate, Jessica-Victoria Dubuc, qui avait dépassé les bornes en écrivant sur Facebook que plusieurs « devraient se faire tirer », dont « Bill Gates et sa clique de mondialistes ».

La candidate avait franchi la limite fixée par Éric Duhaime : le discours haineux. À part cela, au nom de la liberté d’expression, le chef conservateur laisse ses candidats raconter à peu près n’importe quoi.

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Peu avant le déclenchement de la campagne, M. Duhaime a soumis au micro de Paul Arcand que sa formation n’avait pas le monopole des « fêlés ». Soit.

Tous les candidats du PCQ ne sont pas coincés dans un monde parallèle. Beaucoup s’opposent aux mesures sanitaires par principe et non parce qu’ils y voient un complot.

Reste qu’on n’a jamais vu, au Québec, autant de candidats d’un même parti partager une vision à ce point altérée de la réalité.

On le sait, le PCQ est largement fondé sur la colère et la frustration engendrées par les restrictions sanitaires imposées pendant la pandémie.

Mais ce parti est aussi fondé sur les mensonges relayés par ceux qui croient que cette pandémie n’est qu’un prétexte utilisé par les « élites » pour brimer le peuple et le priver de ses libertés.

Et ça, dans le climat actuel, c’est dangereux.