Les plus récentes projections du site d’agrégation de sondages 338Canada révèlent que les Canadiens s’apprêtent à élire un autre gouvernement minoritaire. Nous avons sondé des experts pour connaître les divers scénarios possibles.

Qu’est-ce qu’un gouvernement minoritaire ?

Un gouvernement minoritaire ne détient pas la majorité absolue des sièges à la Chambre des communes. « Cela signifie que le total des sièges détenus par les partis de l’opposition est supérieur au nombre de sièges contrôlés par le parti ministériel », explique André Lamoureux, politicologue et professeur au département de science politique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Au Canada, la majorité absolue est atteinte lorsqu’un parti remporte 170 sièges sur 338.

Les libéraux de Justin Trudeau pourraient-ils conserver le pouvoir en décrochant moins de sièges que les conservateurs d’Erin O’Toole ?

Oui, c’est possible. Le premier ministre sortant reste au pouvoir jusqu’à ce qu’il démissionne ou qu’il perde la confiance de la Chambre. Le déclenchement d’élections entraîne la dissolution du Parlement (le pouvoir législatif), mais pas celle du Cabinet, composé du premier ministre et de ses ministres (le pouvoir exécutif). « Ce sera le premier ministre sortant qui aura, en premier, le droit de tenter d’obtenir la confiance de l’Assemblée, même si un autre chef a réussi à faire élire un plus grand nombre de députés », explique le professeur Jean Leclair, de la faculté de droit de l’Université de Montréal. Ce scénario est envisageable lorsque l’écart du nombre de sièges entre les deux partis est plutôt mince. Justin Trudeau pourrait donc tenter d’obtenir l’appui ponctuel ou formel de certains partis de l’opposition afin de conserver le pouvoir.

Quelle est la durée de vie moyenne d’un gouvernement minoritaire ?

En moyenne, les gouvernements minoritaires demeurent au pouvoir entre 18 et 24 mois. « Au bout de 18 à 24 mois, on arrive à un moment où la tension est trop forte, et où les autres partis sont prêts à faire tomber le gouvernement », indique Marc André Bodet, professeur de science politique à l’Université Laval.

Des élections à date fixe sont maintenant prévues tous les quatre ans. Pourquoi un gouvernement minoritaire choisit-il de déclencher des élections avant la fin de son mandat ?

Dans un gouvernement minoritaire, le parti au pouvoir doit constamment négocier avec les autres partis, et ainsi faire des concessions. Une situation qui limite sa marge de manœuvre. « Ce que Justin Trudeau veut, c’est avoir les deux mains sur le volant, et que personne d’autre ne touche au volant », évoque André Lamoureux au sujet du déclenchement des dernières élections. Toutefois, dans le contexte d’un gouvernement minoritaire, même si les négociations sont plus intenses, cela ne signifie pas que le gouvernement est paralysé. « Au contraire, il y a beaucoup de choses qui se font [en situation de gouvernement minoritaire] », affirme Hugo Cyr, professeur à la faculté de science politique et de droit de l’UQAM. Par exemple, le gouvernement de Lester B. Pearson, en 1965, a pu élargir l’application de la Loi sur l’assurance-hospitalisation et les services diagnostics aux paiement des frais médicaux défrayés par les citoyens, grâce au soutien du Nouveau Parti démocratique (NPD).

Qu’est-ce qu’un vote de confiance ?

« Le principe du gouvernement responsable fait en sorte que ceux qui forment le gouvernement doivent en tout temps avoir la confiance de la Chambre des communes », indique Hugo Cyr. Ainsi, plusieurs votes de confiance ont lieu au cours du mandat d’un gouvernement minoritaire. Le premier porte sur le discours du Trône, et le deuxième, sur le budget. Mais un vote de confiance se traduit aussi dans la prise de position des élus sur tout projet de loi significatif, ajoute André Lamoureux. Les députés peuvent aussi soumettre une motion de censure formelle. Si le gouvernement en place « échoue » lors de ces votes, le gouvernement tombe. Dans un tel cas, le chef du parti au pouvoir doit remettre sa démission à la gouverneure générale. Si la dernière élection est récente, elle pourra demander au chef d’un autre parti (ou à une alliance de partis) de tenter de constituer un nouveau gouvernement. Si le chef du parti en question échoue à son tour dans sa tentative d’obtenir la confiance d’une majorité de la Chambre, il pourra alors demander à la gouverneure générale de dissoudre le Parlement et de déclencher de nouvelles élections.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Mary Simon, gouverneure générale du Canada

Qu’est-ce qu’un gouvernement de coalition ?

Un gouvernement de coalition est formé lorsque des députés de partis différents occupent des postes ministériels. Par exemple, en 1917, le gouvernement conservateur de Robert Borden était issu d’une alliance entre les conservateurs et les libéraux dissidents en faveur de la conscription, explique André Lamoureux. Avant la Confédération, de 1848 à 1867, tous les gouvernements du Canada-Uni ont été des gouvernements de coalition. Plus récemment, en 2017, un gouvernement de coalition a été formé en Colombie-Britannique. Le 9 mai, Christy Clark, du Parti libéral, avait obtenu 43 sièges, le NPD, 41, et le Parti vert, 3, rappelle M. Lamoureux. Au mois de juin, après avoir défait le gouvernement de Christy Clark sur un vote de confiance, le NPD et les verts ont demandé au lieutenant-gouverneur de la province de former un gouvernement, ce qui a été accepté, poursuit le professeur. Aussi, en 2008, l’hypothèse d’un « quasi-gouvernement de coalition » a été évoquée entre le Parti libéral du Canada, ayant à sa tête Stéphane Dion, le Bloc québécois, dirigé par Gilles Duceppe, et le NPD, ayant comme chef Jack Layton, souligne André Lamoureux. Les partis ont tenté de conclure une entente de coalition qui les aurait engagés à soutenir un gouvernement dirigé par le PLC pendant au moins deux ans. Toutefois, le chef du Parti conservateur, Stephen Harper, a fait éclater le projet en demandant une prorogation du Parlement.

Est-ce que d’autres types d’alliances peuvent permettre à un gouvernement minoritaire de rester au pouvoir ?

En dehors d’un gouvernement de coalition, deux autres types d’alliances permettent au parti au pouvoir de conserver la confiance du Parlement, détaille Marc André Bodet. Les partis peuvent former une coalition parlementaire, soit une entente avec un parti qui s’engage à appuyer le gouvernement sur un certain nombre d’enjeux. Le scénario le plus fréquent au Canada est cependant celui d’un appui partiel des autres partis à certaines occasions, comme cela a été le cas lors du dernier mandat des libéraux de Justin Trudeau, qui ont obtenu l’appui tantôtdu Bloc québécois, tantôt du NPD.

Est-ce que des partis pourraient s’allier au Bloc québécois après les élections de lundi ?

L’éventualité que le Bloc québécois souhaite faire partie du gouvernement de façon formelle, au moyen d’un gouvernement de coalition, est peu probable, selon Hugo Cyr. « Par contre, il est possible que le Bloc québécois, comme en 2008, accepte d’appuyer un parti qui formerait le gouvernement », affirme-t-il. Dans un tel cas, deux options sont envisageables. Le Bloc pourrait décider d’appuyer un parti « à la pièce », lors de certains votes de confiance, en échange de différentes concessions, explique le professeur. Ou bien, comme en 2008, le Bloc québécois pourrait s’engager à appuyer un parti pendant deux ans.

Combien de gouvernements minoritaires ont siégé dans l’histoire du Canada ?

Un total de 13 gouvernements minoritaires ont dirigé le Canada, de 1921 à aujourd’hui.

Les gouvernements minoritaires de l’histoire canadienne

  • William Lyon Mackenzie King, Parti libéral, de 1921 à 1925
  • William Lyon Mackenzie King, Parti libéral, de 1925 à 1926
  • Arthur Meighen, Parti conservateur, en 1926
  • John Diefenbaker, Parti conservateur, de 1957 à 1958
  • John Diefenbaker, Parti conservateur, de 1962 à 1963
  • Lester B. Pearson, Parti libéral, de 1963 à 1965
  • Lester B. Pearson, Parti libéral, de 1965 à 1968
  • Pierre Elliott Trudeau, Parti libéral, de 1972 à 1974
  • Joe Clark, Parti conservateur, de 1979 à 1980
  • Paul Martin, Parti libéral, de 2004 à 2006
  • Stephen Harper, Parti conservateur, de 2006 à 2008
  • Stephen Harper, Parti conservateur, de 2008 à 2011
  • Justin Trudeau, Parti libéral, de 2019 à 2021

Source : L’Encyclopédie canadienne

Les gouvernements minoritaires de l’histoire canadienne

William Lyon Mackenzie King, Parti libéral, de 1921 à 1925

William Lyon Mackenzie King, Parti libéral, de 1925 à 1926

Arthur Meighen, Parti conservateur, en 1926

John Diefenbaker, Parti conservateur, de 1957 à 1958

John Diefenbaker, Parti conservateur, de 1962 à 1963

Lester B. Pearson, Parti libéral, de 1963 à 1965

Lester B. Pearson, Parti libéral, de 1965 à 1968

Pierre Elliott Trudeau, Parti libéral, de 1972 à 1974

Joe Clark, Parti conservateur, de 1979 à 1980

Paul Martin, Parti libéral, de 2004 à 2006

Stephen Harper, Parti conservateur, de 2006 à 2008

Stephen Harper, Parti conservateur, de 2008 à 2011

Justin Trudeau, Parti libéral, de 2019 à 2021

Source : L’Encyclopédie canadienne