Ses admirateurs le dépeignent comme un « pragmatique », un « modéré » et un homme de famille qui a su rallier les troupes conservatrices. Ses détracteurs, comme un être « peu authentique » qui a cajolé les détenteurs d’armes et la droite pour accéder à la tête du parti, avant de virer plus à gauche. Mais qui est donc Erin O’Toole ?

« Les conservateurs essaient de ne pas le dire trop fort, parce qu’ils ont tellement peur de parler d’armes à feu, mais ce sont vraiment les propriétaires d’armes au Québec qui ont fait passer Erin O’Toole. »

Guy Morin, président du groupe Tous contre un registre québécois des armes à feu, n’en démord pas : c’est son appel au vote qui a permis à Erin O’Toole d’accéder à la direction du Parti conservateur.

Pendant des mois au printemps et à l'été 2020, alors que quatre aspirants à la chefferie jouent du coude, il participe à des rencontres avec Erin O’Toole et son équipe. La promesse d’O’Toole d’abolir le projet de loi libéral C-71, sur un contrôle accru des armes, le séduit. À tel point qu’il convainc bon nombre de ses 38 000 abonnés sur Facebook d’acheter une carte de membre du parti pour appuyer « son » candidat.

Erin O’Toole a remporté la direction contre son rival Peter Mackay le 24 août 2020. Le chef conservateur a réitéré son engagement d’abolir le projet de loi C-71 dans sa plateforme électorale – pour ensuite reculer au début de septembre. « J’ai avalé mon café de travers, je suis tombé sur le cul, j’ai tout fait quand j’ai entendu ça », lance Guy Morin.

Après le choc initial, il croit qu’un gouvernement O’Toole procéderait bel et bien à un examen indépendant de la Loi sur les armes à feu. Mais sa confiance est teintée d’une certaine méfiance.

PHOTO FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Le militant pro-armes Guy Morin lors de son passage 
à Tout le monde en parle en 2016

On s’est sentis un peu trahis. C’est comme s’il avait dit un paquet de choses pour se faire élire, et le lendemain, en fin de compte, on recommence à zéro, on efface tout et on repart d’une autre façon.

Guy Morin, président du groupe Tous contre un registre québécois des armes à feu

Il n’est pas le seul à souligner les changements de cap d’Erin O’Toole.

« C’est moi, Erin »

À quelques jours d’élections qui s’annoncent très serrées entre Erin O’Toole et Justin Trudeau, bien des Canadiens ont encore l’impression de ne pas vraiment connaître le chef conservateur. Est-il un « vrai bleu », comme il a semblé vouloir le montrer pendant sa course à la direction du parti, ou plutôt un Red Tory, défenseur des travailleurs de la classe moyenne et du climat, tel qu’il se présente depuis la dernière année ?

PHOTO DAVE CHAN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Erin O'Toole lors d'un point de presse à Ottawa
le 31 août dernier

Ses détracteurs, sans surprise, tentent de mettre en lumière ses zones d’ombre et ses contradictions, comme le fait qu’il a discrètement continué à réaliser des mandats pour au moins un cabinet d’avocats après son élection à la Chambre des communes, lui qui déplore jour après jour le manque d’éthique de Justin Trudeau.

Ses partisans, et ils sont nombreux, le dépeignent plutôt comme un grand pragmatique, un rassembleur, qui n’a jamais hésité à corriger le tir pour élargir la base électorale du Parti conservateur, quitte à modifier certaines promesses en cours de route.

  • Le chef conservateur en campagne à Russell, 
en Ontario, mardi dernier

    PHOTO BLAIR GABLE, REUTERS

    Le chef conservateur en campagne à Russell, 
en Ontario, mardi dernier

  • Le chef conservateur en campagne à Russell, 
en Ontario, mardi dernier

    PHOTO BLAIR GABLE, REUTERS

    Le chef conservateur en campagne à Russell, 
en Ontario, mardi dernier

  • Avec sa femme, Rebecca, lors d'un rassemblement partisan 
à Orford, en Estrie, mercredi

    PHOTO MATHIEU BELANGER, REUTERS

    Avec sa femme, Rebecca, lors d'un rassemblement partisan 
à Orford, en Estrie, mercredi

1/3
  •  
  •  
  •  

Qui est-il vraiment ? « C’est moi, Erin O’Toole, le père de famille, avocat, bénévole, député, ancien combattant et toujours une personne qui va respecter les autres », résume en souriant l’homme de 48 ans en entrevue éditoriale à La Presse.

M. O’Toole se défend d’avoir induit les propriétaires d’armes en erreur pendant sa course à la direction du parti puis avec sa plateforme électorale. Ses visées sont claires dans ce dossier, dit-il, et seront toujours basées sur la « science », la « sécurité publique » et le « respect ». Son objectif s’il est élu : mettre en place un nouveau système de classification des armes au terme d’un examen indépendant et dépolitisé.

De Montréal à Bay Street

Erin Michael O’Toole est né à Montréal en 1973, d’une mère enseignante, Mollie, et d’un père qui travaillait à l’usine GM de Sainte-Thérèse. Peu après sa naissance, son père John est muté à Oshawa, en banlieue de Toronto. Mollie meurt d’un cancer du sein quelques années plus tard alors que le jeune Erin est âgé d’à peine 9 ans.

O’Toole rejoint les Forces armées à 18 ans et obtient sa certification de navigateur aérien. Il participera pendant ses 12 années de service à diverses opérations de sauvetage et de patrouille. C’est pendant ces années qu’il apprend le français, langue qu’il maîtrise beaucoup mieux que son prédécesseur Andrew Scheer. C’est aussi à cette époque que la politique entre dans la famille O’Toole ; son père est élu député provincial de Durham en 1995, après sa retraite de GM.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK D’ERIN O’TOOLE

Le jeune Erin O’Toole avec un collègue, 
pendant ses années dans l’armée

Toujours réserviste, O’Toole étudie en droit à l’Université Dalhousie. Sa progression en tant qu’avocat d’affaires est rapide à partir de 2003. En une décennie, il travaille pour l’Association canadienne des producteurs pétroliers, le cabinet Stikeman Elliott, le conglomérat Procter & Gamble et Heenan Blaikie.

Le jeune avocat mène une vie confortable dans la banlieue de Toronto avec sa femme, Rebecca, une planificatrice d’évènements qu’il a rencontrée en 1998. Les O’Toole, qui auront deux enfants, Molly (15 ans) et Jack (10 ans), auraient pu rester bien posés, dit Shaun Francis, bon ami d’Erin O’Toole depuis 20 ans. Mais comme son père avant lui, il choisit la politique. Il est élu haut la main avec 51 % des voix lors de l’élection partielle de 2012 dans sa circonscription de Durham.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK D’ERIN O’TOOLE

Erin’Otoole et sa femme, Rebecca, à leur mariage en 2000

« Je n’étais pas surpris de son choix, mais ç’a été un sacrifice financier considérable, son changement de carrière, dit Shaun Francis. S’il était resté [dans le secteur privé], il serait sans doute aujourd’hui chef des affaires juridiques dans une entreprise qui l’aurait payé bellement, bien plus que dans le service public. »

Les deux hommes ont cofondé en 2009 la fondation La Patrie gravée sur le cœur, qui vient en aide aux militaires et aux anciens combattants.

L’arrivée à Ottawa

Avec son passé militaire, ses années sur Bay Street et ses réalisations philanthropiques, Erin O’Toole affiche un parcours impeccable. Il ne tarde pas à se faire remarquer sur la colline parlementaire, raconte un proche collaborateur de l’ancien premier ministre Stephen Harper.

« Il a toujours été ambitieux, il a toujours été sur mon radar, dit ce collaborateur. Et je dirais qu’il s’inscrit vraiment, par son attitude, super travaillante, super disciplinée, dans la même école que Stephen Harper. »

À peine élu, Erin O’Toole participe à plusieurs comités parlementaires : commerce international, sécurité publique, langues officielles. Il dépose aussi en 2013 une pétition d’électeurs de sa circonscription qui dénonce les avortements sexo-sélectifs – un geste perçu par certains comme étant provie, alors que M. O’Toole s’affiche plutôt comme prochoix.

Stephen Harper le nomme ministre des Anciens Combattants en janvier 2015 après le départ de Julian Fantino dans la controverse.

PHOTO TIRÉE DU SITE DU MINISTÈRE DES ANCIENS COMBATTANTS

Erin O'Toole en 2015 alors qu'il était ministre
des Anciens Combattants

Les employés de ce ministère – et plusieurs vétérans – gardent un souvenir amer de son passage de 10 mois à la tête du ministère. Erin O’Toole poursuit alors le travail de redressement des finances entamé par son prédécesseur, qui a entraîné des centaines de pertes d’emplois et la fermeture de neuf bureaux de services de première ligne pour les anciens soldats blessés et retraités.

Michael Blais, un ancien combattant qui dirige le groupe de pression Canadian Veterans Advocacy, ne décolère pas à ce sujet.

Ce qu’il a fait pour les vétérans est tellement mauvais, quand il a fermé tous ces bureaux qui offraient des services, que pour la première fois de ma vie militante, j’ai vu d’anciens combattants tourner le dos au Parti conservateur du Canada.

Michael Blais, dirigeant du Canadian Veterans Advocacy

L’homme blessé pendant une mission en 1991 estime qu’Erin O’Toole fait preuve d’un « manque d’authenticité », en mettant constamment de l’avant sa carrière militaire, alors que les conditions de vie des anciens combattants se sont selon lui dégradées pendant le dernier mandat conservateur.

« Nos membres essaient encore de se remettre des impacts de toutes les coupes et les privatisations survenues sous les conservateurs », renchérit Virginia Vaillancourt, présidente nationale du syndicat des employé-e-s des Anciens Combattants.

Une métamorphose ?

Un retour à l’équilibre budgétaire d’ici 10 ans. Beaucoup plus d’autonomie pour les provinces. Une révision des lois encadrant les armes à feu. Le programme proposé par Erin O’Toole – et surtout son ton incisif – pendant la course à la direction du Parti conservateur en 2020 l’a positionné à droite de son adversaire Peter MacKay, que beaucoup voyaient remporter la mise.

PHOTO FRANK GUNN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Course à la direction du Parti conservateur en juin 2020 : Erin O'Toole et Peter MacKay attendent le début du débat en français à Toronto.

Les mois qui ont suivi sa victoire, pour certains conservateurs, n’ont été rien de moins qu’une « métamorphose ». Erin O’Toole a annoncé une série de mesures pour tenter de positionner le parti plus au centre, comme le maintien d’une forme de taxe sur le carbone.

Si cette décision a choqué nombre d’élus de l’Ouest, le député et candidat conservateur Gérard Deltell, grand allié d’O’Toole, salue plutôt les efforts de son chef pour rallier davantage d’électeurs potentiels.

PHOTO PATRICE LAROCHE, LE SOLEIL

Fondamentalement, c’est un pragmatique, Erin. Lui, il veut que ça fonctionne. Pour fonctionner, oui, des fois tu tournes à droite, des fois tu vas plus au centre. Mais l’objectif, c’est d’avancer dans le bon sens.

Gérard Deltell, candidat conservateur et député sortant

Gérard Deltell réfute les accusations – dont celle formulée par l’ancien premier ministre Jean Chrétien cette semaine – voulant qu’O’Toole « parle des deux côtés de la bouche ».

« Le plan qu’il a en tête, il l’avait en tête depuis un an, dit M. Deltell. Il fallait y aller étape par étape, gagner la confiance des Canadiens, savoir où on s’en allait, avoir l’audace de présenter dès le début le plan de match qu’on avait. Il n’a jamais bronché d’un pouce sur son objectif, son objectif étant de gagner. »

Le candidat et ex-député conservateur Alupa Clarke, qui a dirigé la campagne d’Erin O’Toole pour la direction du parti en 2020, partage cet avis. Il a découvert l’homme en 2015, puis pendant sa première course infructueuse à la chefferie en 2017 (il avait terminé en troisième place derrière Maxime Bernier et le gagnant Andrew Scheer). O’Toole, à l’époque, avait paru trop modéré au goût de bien des conservateurs.

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Alupa Clarke, candidat conservateur et député sortant

Son ton plus mordant pendant la course de 2020 et son engagement à revoir la classification des armes à feu ont fait mouche. Mais Alupa Clarke minimise le rôle joué par les propriétaires d’armes québécois dans la victoire d’O’Toole à la chefferie. (L’influente députée albertaine Michelle Rempel Garner leur a pour sa part attribué une bonne partie de la victoire d’O’Toole, le soir du vote.)

IMAGE TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE MICHELLE REMPEL GARNER

Tweet publié le 24 août 2020
par la députée conservatrice Michelle Rempel Garner

« Est-ce qu’on est contents d’avoir eu leur vote ? Oui, ça nous a aidés au Québec, dit Alupa Clarke. Mais c’est comme la gestion de l’offre avec Scheer [qui avait bénéficié de l’appui des producteurs laitiers québécois en 2017]. Ça a été une aide essentielle, mais quand je regarde les chiffres à la fin, on aurait gagné sans eux. »

Un pari immense

Il reste qu’au sein même des troupes conservatrices, les changements de cap d’Erin O’Toole pendant et après la course à la direction de 2020 ont parfois été perçus négativement.

Le rapprochement d’O’Toole avec la frange des conservateurs sociaux plus à droite du parti, alors qu’il tentait de se faire élire comme chef, relève du pur « opportunisme », a déclaré à Maclean’s l’ancien ministre conservateur Ed Fast. Comme bien d’autres, il estime qu’il y avait en réalité très peu de différences entre O’Toole et MacKay, pourtant dépeint comme un « Liberal-lite » par son adversaire.

À 48 ans, un an de moins que son rival Justin Trudeau, Erin O’Toole se retrouve aujourd’hui avec la périlleuse tâche de conquérir de nouveaux électeurs plus urbains, plus sensibles à la question de l’environnement, et encore touchés par les impacts profonds de la pandémie.

Plusieurs des mesures de son programme électoral visent à soutenir les gens de la classe moyenne et les plus vulnérables à coups de milliards. Certains de ses engagements plus à gauche auraient fait scandale il n’y a pas si longtemps au sein de son parti, formé en 2003 par la fusion de l’Alliance canadienne, plus à droite, et du Parti progressiste-conservateur du Canada.

PHOTO MATHIEU BELANGER, REUTERS

L'ex-premier ministre et ex-chef du Parti progressiste-conservateur Brian Mulroney est venu prêter main-forte à Erin O'Toole mercredi dernier, à Orford.

Le pari est immense pour O’Toole et son avenir politique, résume un ancien proche collaborateur de Stephen Harper qui a demandé l’anonymat pour ne pas nuire à son emploi actuel :

« C’est comme s’il essayait de remodeler le parti à son image, ce qui n’est pas une mince tâche. Mais si tu demandes à autant de gens de faire des compromis, il faut que ça se traduise par une victoire. »

Ce stratège dresse une analogie avec le Parti québécois, souvent tiraillé entre ses diverses factions plus ou moins pressées. « Pendant longtemps, ils devaient parler d’indépendance dans la course à la chefferie, et ensuite tempérer leur discours pour gagner. »

En entrevue éditoriale avec La Presse, Erin O’Toole a assuré qu’il était l’homme de la situation pour remettre le pays sur les rails du développement économique après six ans au pouvoir des libéraux de Justin Trudeau. Et cela, sans rien sacrifier à la frange plus à droite de son parti sur les questions sociales.

« Je vais [me concentrer] sur la relance économique, sur la santé et la santé mentale, et comme je l’ai dit, je vais toujours protéger les droits des femmes et des LGBTQ. Comme je l’ai déjà dit, je suis en politique pour protéger nos droits et nos valeurs. »

Un contrat avec Québec

Adieu « centralisation », bonjour « partenariat ». En entrevue éditoriale avec La Presse, Erin O’Toole a maintenu son engagement de respecter le « contrat » qu’il propose aux Québécois. « On doit travailler en étroite collaboration pour une relance économique […] et c’est pourquoi dans mon contrat avec les Québécoises et les Québécois, j’ai proposé un fédéralisme de partenariat. Après six ans de division, on doit respecter les champs de compétence. » Erin O’Toole propose de mettre en œuvre au moins neuf mesures concrètes dans les 100 premiers jours de son gouvernement. Parmi celles-ci : donner des pouvoirs accrus pour la sélection des immigrants, appliquer la loi 101 aux entreprises de compétence fédérale au Québec et transférer des milliards sans condition pour financer le réseau de la santé. Ces promesses ont plu au premier ministre François Legault, qui a encouragé la semaine dernière les Québécois à élire un gouvernement conservateur minoritaire.

« Pas de flafla »

Au-delà des engagements électoraux, Erin O’Toole, l’homme, a au moins trois qualités essentielles pour être aimé des Québécois, croit le candidat Alupa Clarke, qui a dirigé sa campagne dans la course à la direction du Parti conservateur en 2020. Erin O’Toole est né au Québec, il est « extrêmement facile d’approche » et il est « terre à terre », dit son candidat. « Il ne va pas faire de grandes envolées philosophiques pour expliquer les enjeux. C’est 1-2-3. Il n’y a pas de flafla. Ça, les Québécois aiment ça. Ça les écœure, le flafla. »

Plus ou moins de sièges ?

Le Parti conservateur a obtenu 10 des 78 sièges fédéraux au Québec aux élections de 2019. En octobre 2020, M. O’Toole, à Radio-Canada, avait dit avoir bon espoir de pouvoir en remporter une trentaine lors des prochaines élections. La récente remontée du Bloc québécois, après le débat des chefs en anglais, laisse plutôt présager aux analystes un maintien des acquis, à quelques sièges près. Les luttes s’annoncent serrées dans la région de Québec et au Saguenay.