Où buvez-vous votre café ? Quel est votre film préféré, votre artiste chouchou ? Et donc, pour qui votez-vous ? À une semaine du scrutin, une équipe de chercheurs québécois lance une nouvelle application « ludique » qui permet de « prédire votre vote » en fonction d’habitudes de vie du quotidien. Le projet se veut aussi une façon de sensibiliser le public à la richesse des données individuelles.

« Ce qu’on propose sort un peu du royaume politique, mais toujours pour prédire le vote. On utilise des variables différentes que ce qu’on peut voir ailleurs dans les sondages, ou qui sont considérées comme non politiques, pour montrer qu’il y a une grande richesse dans ces informations-là », lance le professeur en science politique à l’Université Laval Yannick Dufresne, qui a eu l’idée originale de Datagotchi.

Le principe de l’application est simple : l’usager crée d’abord son avatar, puis est amené à répondre – dans un environnement interactif – à des questions sur les habitudes de vie, dont les loisirs, les préférences musicales ou l’alimentation. L’algorithme recueille alors les données et suggère, comme la boussole électorale, les partis qui correspondent le mieux à celles-ci. On fournit ensuite des pourcentages à l’usager pour chaque parti, avec explications à l’appui.

ILLUSTRATION WAZAK, FOURNIE PAR DATAGOTCHI

Le principe derrière l’application est simple : l’usager crée d’abord son avatar, puis est amené à répondre à des questions sur les habitudes de vie

« Pour moi, l’innovation là-dedans, c’est beaucoup l’aspect interactif. Une fois qu’on fait une prédiction, les gens peuvent jouer avec les variables et comprendre la mécanique d’un modèle complexe qui est utilisé par les partis politiques pour faire de la segmentation. Ce modèle-là, jusqu’ici, c’était un peu le monopole des analystes et des stratèges », avance M. Dufresne.

PHOTO YAN DOUBLET, LE SOLEIL

Simon Coulombe et Yannick Dufresne

Professeur à l’Université Laval en relations industrielles, Simon Coulombe a aussi participé à la création de Datagotchi. « Avec les données, on sera capables de voir si des genres de musiques, des genres de films, par exemple, sont associés à certaines prédictions de vote. Est-ce que les gens qui écoutent Céline Dion votent conservateur, NPD ou vert ? C’est un exemple, mais ce sont des choses anodines dont on ne pense pas qu’elles peuvent être utilisées par des stratèges, alors qu’elles le sont », raisonne l’enseignant.

La politique peut parfois paraître aride pour monsieur et madame Tout-le-Monde. Avec l’aspect ludique, on espère attirer d’autres segments de la population et les sensibiliser à des enjeux qui ne les rejoignent pas nécessairement avec des approches plus traditionnelles, comme le sondage.

Simon Coulombe, professeur en relations industrielles à l’Université Laval

« On est tellement prévisibles »

Au-delà de l’utilité du projet en lui-même, l’équipe de chercheurs derrière Datagotchi veut aussi sensibiliser le public à la richesse des données individuelles. « Sur Amazon, sur Netflix, sur Facebook, partout, constamment, tous les choix qu’on fait sont des données très riches et qui peuvent en dire beaucoup plus que ce qu’on pense sur nous et nos comportements. Le but est aussi de provoquer cette réflexion-là », dit Catherine Ouellet, étudiante au doctorat en science politique à l’Université de Toronto, dont la thèse doctorale inclut le projet.

PHOTO FOURNIE PAR CATHERINE OUELLET

Catherine Ouellet, étudiante au doctorat en science politique à l’Université de Toronto

« Les outils qu’on connaît, comme la boussole électorale, placent d’abord les électeurs sur un axe bidimensionnel en fonction de leur position sur les enjeux des plateformes des partis. Or, on sait avec la recherche que les électeurs ne votent pas nécessairement en fonction des enjeux », ajoute Mme Ouellet. Elle rappelle que les habitudes de vie sont souvent un facteur clé dans les évaluations que font les partis politiques de leur électorat. « Stephen Harper, par exemple, allait beaucoup dans les Tim Hortons quand il était en campagne. Il savait qu’il comptait beaucoup d’électeurs dans ces endroits-là », illustre la doctorante.

C’est de réaliser, en fait, qu’on est tellement prévisibles. Juste votre film préféré peut en dire énormément sur vous. Ces valeurs-là du quotidien, on les connaît toutes et tous, mais on ne les a jamais vraiment délimitées de manière empirique.

Yannick Dufresne, professeur en science politique à l’Université Laval et idéateur de Datagotchi

ILLUSTRATION WAZAK, FOURNIE PAR DATAGOTCHI

L’application Datagotchi invite notamment les usagers à répondre à la question « Avez-vous des animaux de compagnie ? ».

Si tout fonctionne bien, son équipe envisage d’utiliser Datagotchi dans d’autres contextes, notamment les prochaines élections municipales et provinciales au Québec. « Il y a un aspect exploratoire à tout ça. Étudier ces variables de façon très granulaire, ce n’est pas encore très répandu, et ça nous donne un peu le champ libre », remarque Catherine Ouellet.

De surcroît, Datagotchi a été conçue dans un contexte scolaire, rappellent ses créateurs. La plateforme a donc passé à travers un processus éthique « rigoureux ». Les données ne seront utilisées que dans un objectif d’analyse, et ne seront en aucun cas partagées avec des entreprises ou des partis politiques. Avis aux intéressés : l’application est offerte au datagotchi.com. L’interface a d’abord été conçue pour les appareils mobiles, mais est aussi offerte sur un ordinateur.