Au jour 17 de la campagne électorale qui en compte 36, la cheffe du Parti vert, Annamie Paul, n’a toujours pas mis les pieds au Québec. En entrevue avec La Presse, elle ne s’engage pas à fouler le sol québécois – sauf pour prendre part au débat des chefs, à Gatineau. Et même si elle ne parvient pas à nommer un seul de ses candidats au Québec, elle espère y récolter des sièges.

La priorité de la dirigeante, qui a pris les rênes de la formation il y a environ 11 mois, est de se faire élire dans la circonscription de Toronto-Centre, où elle se présente pour la troisième fois.

Si elle ne s’en cache pas, elle nie que ces efforts se fassent au détriment de sa campagne nationale, plaidant qu’on doit tirer des « leçons » de la pandémie, soit qu’« on peut [échanger] avec les gens en utilisant d’autres approches ».

C’est donc virtuellement que les prises de contact avec les porte-couleurs et militants du Québec se tiennent depuis le début de la campagne. Selon la formation, 73 circonscriptions sur 78 ont un candidat vert. Qui sont-ils ? Sur le site web du Parti vert, il n’y en avait que 25, lundi.

Lorsqu’on demande à Annamie Paul d’en nommer quelques-uns, elle esquive la question.

Une fois, deux fois, trois fois.

« Je n’ai pas de liste. » « Tous nos candidats sont des vedettes. » « Je peux donner tous les noms, mais je ne veux pas [donner un nom en particulier] parce qu’ils sont tous extrêmement importants pour nous. »

Mais un vert du Québec, quel qu’il soit, pourrait faire son chemin jusqu’à la Chambre des communes à Ottawa, expose-t-elle.

Les Québécois sont très progressistes ; il est clair qu’ils se préoccupent du climat […] et je crois qu’ils savent que le Parti vert offre les meilleures politiques.

Annamie Paul, cheffe du Parti vert

La formation n’a jamais eu de député au Québec, mais sous la houlette d’Elizabeth May, au dernier scrutin, en octobre 2019, elle a fait élire trois candidats – un record.

Présence pas nécessairement voulue

Depuis son arrivée aux commandes de la formation, en plus d’avoir perdu la députée de Fredericton Jenica Atwin en raison d’une querelle interne sur l’enjeu israélo-palestinien, Annamie Paul s’est aliéné une partie de l’aile québécoise.

Sa position entourant la loi 21 sur la laïcité de l’État, de même que sa réticence à donner son appui au projet de loi 96 sur la langue française, a fait grincer des dents. À un point tel que l’ancien chef adjoint du Parti vert, Daniel Green, se demande si sa visite aiderait vraiment la cause des porte-bannière de la formation au Québec.

« Ce ne sont pas tous les candidats qui veulent la présence de Mme Paul. Il faudrait leur demander », lâche l’environnementaliste de longue date, qui n’a pu cette fois briguer la circonscription d’Outremont, car sa candidature a été écartée par Élections Canada.

Luc Joli-Cœur n’a pas d’objection. Président de l’aile québécoise du Parti vert, candidat dans Ahuntsic–Cartierville, il dit avoir « bon espoir » que la leader viendra « au moins » à Montréal. Mais les guerres intestines qui ont déchiré le parti ne devraient pas porter ombrage à la campagne électorale en cours, estime-t-il.

[Annamie Paul] est la cheffe du Parti vert. Il peut y avoir eu des désaccords dans le passé, et peut-être qu’il y en aura à l’avenir, mais pour le moment, on se concentre tous sur la campagne.

Luc Joli-Cœur, président de l’aile québécoise du Parti vert et candidat dans Ahuntsic–Cartierville

M. Joli-Cœur souligne d’ailleurs qu’une plateforme verte spécifique au Québec doit être rendue publique prochainement.

Un pari risqué

La dirigeante, elle, semble mettre beaucoup d’œufs dans le même panier – le sien.

« Je comprends le type de campagne qu’elle a décidé de faire. Je comprends les défis internes auxquels elle est confrontée, relève Thierry Giasson, directeur du département de science politique de l’Université Laval. Il y a au sein de l’exécutif du parti des gens qui sont mal à l’aise avec le fait qu’[Annamie Paul] soit la cheffe. »

Le politologue voit mal l’aspirante verte finir victorieuse de sa course torontoise. Depuis 1993, les libéraux ont le haut du pavé à Toronto-Centre, de Bill Graham à Bill Morneau en passant par Bob Rae. « Oui, elle est arrivée deuxième dans une élection partielle (en 2020), mais ce n’était pas une élection générale. »

Annamie Paul devrait franchir la frontière entre l’Ontario et le Québec au plus tard le 8 septembre afin de participer au premier débat des chefs, qui se tient au Musée canadien de l’histoire à Gatineau. La seconde joute oratoire a lieu au même endroit, le 9 septembre.

Loi 21 et projet de loi 96

Au sujet de la loi 21 sur la laïcité, Annamie Paul insiste sur le fait que le Parti libéral, le Parti conservateur et le Nouveau Parti démocratique y sont opposés, mais que « si [elle était] première ministre », son gouvernement financerait des contestations devant les tribunaux, tandis que les autres partis « ne sont pas prêts » à défendre cette « violation des droits ». En ce qui a trait au projet de loi 96 de l’Assemblée nationale, qui vient avec un amendement à la Constitution, elle croit qu’il requiert une analyse approfondie. « Il se peut bien que le projet de loi soit constitutionnel », mais le gouvernement libéral ne l’a pas suffisamment étudié, estime-t-elle, pour trancher. En juin dernier, en Chambre, une vaste majorité de députés a appuyé le droit du gouvernement québécois à modifier unilatéralement la Constitution pour y écrire noir sur blanc que le Québec forme une nation, et que la langue officielle et commune est le français.