(Ottawa) Le chef conservateur Andrew Scheer s’amuse à dire dans ses discours que l’une des rares critiques qui lui sont faites est qu’il « sourit trop ».

Mais dans les premières minutes du débat des chefs en langue anglaise, lundi, il a voulu les faire mentir lorsqu’il s’est tourné vers le chef libéral Justin Trudeau.

« M. Trudeau, vous êtes un hypocrite et un menteur et vous ne méritez pas de gouverner ce pays », lui a lancé M. Scheer en anglais, avant de regarder la caméra en fonçant les sourcils.

Ce n’était pas un hasard.

Cela faisait des jours que les conseillers d’Andrew Scheer travaillaient avec lui pour transformer son visage sympathique en quelque chose de plus sérieux.

Les libéraux et les conservateurs se retrouvaient dans une impasse dans les sondages nationaux depuis le déclenchement des élections le 11 septembre.

« Nous avions besoin qu’il livre la marchandise, et il l’a finalement fait », a déclaré un candidat, qui s’est vu accorder l’anonymat pour lui permettre de s’exprimer librement sur la stratégie de la campagne.

Mais Scheer peut-il continuer à le faire ? Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement l’avenir de son parti au dépouillement des urnes, mais le sien également.

PHOTO CARLOS OSORIO, REUTERS

Andrew Scheer a participé à un rassemblement à Langley, en Colombie-Britannique, vendredi.

Le vote par anticipation a lieu cette fin de semaine et il peut jouer un rôle clé dans le résultat des élections. Lors de la campagne électorale de 2015, 20 % des suffrages ont été exprimés lors du vote par anticipation, grâce aux efforts déployés par les différents partis pour faire sortir le vote.

« La capacité de mobiliser des partisans ce week-end fera probablement la différence pour le parti qui sortira vainqueur le jour du scrutin », a déclaré Andrew Brander, consultant principal chez Crestview Strategy et ancien employé chez les conservateurs.

Les conservateurs ne sont pas freinés par des problèmes d’argent. Après des années de collectes de fonds réussies, ils ont plus d’argent que n’importe lequel de leurs adversaires. Mais cette fois-ci, les conservateurs se demandent si leur travail de terrain légendaire, qui dépend grandement du travail de bénévoles, est aussi efficace qu’il l’a été par le passé.

Le porte-parole du parti, Simon Jefferies, a déclaré que les choses vont mieux que jamais. « Nous avons cogné à plus de portes que durant toute autre campagne de l’histoire de notre parti », a-t-il souligné.

Malgré, la campagne sur le terrain connaît des ratés. Au Manitoba, par exemple, le parti a du mal à recruter des bénévoles. Plusieurs sympathisants sont épuisés en raison des récentes élections provinciales.

Dans une circonscription, un bénévole conservateur a déclaré que l’équipe conservatrice n’avait tout simplement pas suffisamment de bras pour faire du porte-à-porte. Les bénévoles peuvent aller dans une partie d’une circonscription, peut-être une ou deux fois, a-t-il précisé, mais cela ne suffit pas.

Ailleurs, comme dans les Maritimes, où les conservateurs comptent ravir au moins 15 sièges aux libéraux, plusieurs doivent puiser dans leurs fonds de campagne pour embaucher des téléphonistes pour faire les appels.

Les sondages laissent entrevoir que les conservateurs sont virtuellement à égalité avec les libéraux, mais il est difficile de le déterminer avec certitude sans les données, a expliqué un organisateur conservateur de longue date en Ontario.

« J’ai l’impression que les sondages nous donnent laissent faussement croire que nous sommes plus compétitifs que nous le somme réellement », a déclaré l’organisateur.

Une semaine désastreuse

La pirouette pour passer du Andrew souriant au Andrew fâché en référence à sa personnalité a commencé après une désastreuse semaine de la campagne.

Cela avait commencé par une pitoyable performance de M. Scheer pendant le premier débat en français. Ensuite, il a aussi dû consacrer du temps précieux à s’expliquer sur son CV et sa citoyenneté américaine.

Même si sa double citoyenneté n’est pas considérée en soi comme un problème par les organisations conservatrices ou les autres candidats, le fait que cette révélation soit surgie comme une boîte à surprise à la mi-campagne et que M. Scheer n’en ait pas parlé depuis son arrivée à la tête du parti, a été un irritant.

Autre source d’irritation : le fait que M. Scheer ait tant tardé à se reconnaître comme un opposant à l’avortement. Son refus de répondre directement à la question avait mécontenté sa base socialement plus conservatrice, cependant que les modérés considéraient l’esquive comme une mauvaise stratégie.

Tant au sujet de la double citoyenneté et de l’avortement, les organisations locales ont fait état de frustrations. Les messages confus de M. Scheer et de l’organisation nationale ont causé du tort au parti.

Les conservateurs ont donc décidé qu’il était temps de revenir à quelques stratégies issues des élections précédentes pour redynamiser l’équipe.

Ils ont lancé une série d’attaques négatives contre les libéraux, notamment des communiqués de presse insistant pour dire qu’un gouvernement libéral réélu imposerait une taxe sur les ventes de maisons, même si les libéraux ont répété que c’était faux.

L’objectif : faire en sorte que Justin Trudeau, et non Andrew Scheer, fasse l’objet des débats.

Et s’il perd ? S’il ne formait qu’un gouvernement minoritaire ?

Les discussions sont nombreuses quant à la possibilité d’un gouvernement minoritaire, bien qu’Andrew Scheer évite d’analyser comment ça pourrait l’affecter. Jagmeet Singh, du NPD, a indiqué qu’il ne soutiendrait jamais un gouvernement dirigé par Andrew Scheer.

PHOTO FRANK GUNN, ARCHIVES LA PRESSE

Andrew Scheer est devenu chef du Parti conservateur après sa victoire contre Maxime Bernier, le 27 mai 2017.

Le parti de M. Scheer pourrait ne pas le faire non plus.

Selon les termes de la constitution de son parti, si M. Scheer ne parvient pas à former le gouvernement le 21 octobre, il pourrait être soumis à une révision de son leadership à l’occasion du congrès prévu l’an prochain.