(QUÉBEC) Le résultat des élections d’hier est probablement le pire scénario pour le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ). François Legault se retrouvera face au gouvernement libéral, qui a promis des intrusions dans les compétences provinciales. Bien sûr, Justin Trudeau dirigera un gouvernement minoritaire, mais le Nouveau Parti démocratique (NPD), malgré sa déroute, a tout de même suffisamment de sièges pour détenir la « balance du pouvoir ».

Aujourd’hui, François Legault sera magnanime ; il promettra probablement que son gouvernement travaillera de bonne foi avec le gouvernement qu’ont choisi hier les Canadiens. Et il rappellera que depuis un an les relations étaient relativement bonnes entre les deux capitales. Mais la déception est au rendez-vous à Québec aujourd’hui.

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Dès le premier jour de la campagne, rappelons-le, François Legault avait tenu à sauter dans la mêlée pour exhorter Justin Trudeau à ne pas appuyer les contestations déjà lancées à l’endroit de la loi québécoise sur le port de signes religieux. Le chef libéral n’avait pas changé de discours pour autant.

PHOTO MARTIN OUELLET-DIOTTE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Aujourd’hui, François Legault sera magnanime ; il promettra probablement que son gouvernement travaillera de bonne foi avec le gouvernement qu’ont choisi hier les Canadiens, celui de Justin Trudeau.

La bonne performance du Bloc québécois permettait à M. Legault de rêver d’une alliance solide avec le parti d’Yves-François Blanchet. Même courant nationaliste, même sensibilité aux prérogatives du Québec ; les revendications de la CAQ auraient eu un avocat musclé à Ottawa. 

Non seulement le Bloc aurait pu se faire l’écho de la position du Québec, mais en détenant la balance du pouvoir, il aurait été en position pour imposer ses conditions au gouvernement libéral. Mais ce scénario, idéal pour François Legault, ne s’est pas produit.

Au cabinet de François Legault, on constatait avec passablement d’inquiétude les visées du Parti libéral du Canada (PLC) dans son programme électoral. De nouveaux programmes nationaux en santé, compétence partagée, mais aussi des avancées auprès du monde de l’éducation et des municipalités, recette certaine pour des frictions avec le gouvernement du Québec. Et ce n’est pas le NPD, l’allié objectif des libéraux, qui mettra des bâtons dans les roues de ce plan de match. Avec des mots différents, le programme du NPD proposait aussi des programmes nationaux, pour l’assurance médicaments dont disposent déjà les Québécois, par exemple. Un peu partout, on retrouve la volonté d’instaurer des « normes nationales », de la formation professionnelle jusqu’à la santé mentale.

En campagne électorale, Jagmeet Singh y est allé d’engagements bien sentis envers le Québec, promettant d’appliquer l’« asymétrie » pour les nouveaux programmes fédéraux ; le Québec pourrait se retirer des initiatives dont il ne veut pas, tout en bénéficiant d’une compensation financière.

Mais la décentralisation ne fait pas partie de l’ADN du NPD. D’abord, sous Pierre Trudeau dans les années 70 jusqu’au gouvernement de Paul Martin en 2006, le PLC et le NPD ont très souvent travaillé main dans la main. Sous Ed Broadbent, les libéraux chipaient même souvent aux néo-démocrates les meilleures idées de leur programme. En 2006, Jack Layton avait pactisé avec Paul Martin pour sauver le gouvernement libéral au budget ; il avait obtenu plus de fonds pour l’enseignement postsecondaire et un programme d’investissement pour les infrastructures.

Le Bloc québécois aurait fonctionné plus naturellement avec les conservateurs. Le gouvernement Legault aussi. Bien sûr, il y avait l’intention de créer un « corridor énergétique » pancanadien, mais à Québec on n’y voyait pas de menace immédiate. On voyait surtout la déclaration de revenus unique et le respect des compétences provinciales. Minoritaire, le gouvernement Harper, en 2007, avait survécu avec l’appui du Bloc québécois – le règlement du « déséquilibre fiscal » dénoncé par Québec avait servi de monnaie d’échange. Andrew Scheer se voyait comme l’allié du Québec à Ottawa, mais les Québécois ont davantage fait confiance à Yves-François Blanchet et au Bloc québécois.

Trudeau a conservé une base très solide en Ontario, probablement en partie parce que le gouvernement conservateur de Doug Ford y est très impopulaire. Mais avec une seule année au compteur, le gouvernement Legault caracole encore en tête dans les sondages, la satisfaction de la population reste au beau fixe. 

Justin Trudeau devra traiter avec égards son vis-à-vis québécois. Car le premier ministre réélu ne pourra rester sourd aux attentes du Québec. 

Dans les Prairies, les conservateurs règnent sans partage. Aux résultats d’hier s’ajoute le poids des gouvernements provinciaux — l’Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba sont dirigés par des conservateurs. Autour de la table des conférences fédérales-provinciales, Justin Trudeau n’a pas beaucoup d’amis ; une déférence prudente à l’endroit du chef de la CAQ s’imposera.

Le recul du PLC au Québec, la montée du Bloc québécois : M. Trudeau a beaucoup de pain sur la planche s’il veut reconstruire sa majorité au Québec aux prochaines élections. Elles tomberont dans deux ans si on se fie aux précédents. Il lui faudra faire vite. Il ne pourra faire l’économie d’une poignée de main avec François Legault.