(Ottawa) Justin Trudeau a semblé infléchir sa position sur l’intention du gouvernement Legault d’imposer un test aux nouveaux arrivants lors de l’ultime affrontement des chefs fédéraux hier, en français, et a profité de la plateforme pour exhorter les Québécois à se donner un gouvernement libéral « fort ».

À moins de deux semaines du jour J, alors que les libéraux commencent à s’inquiéter de la progression des bloquistes dans les sondages, le premier ministre sortant a cherché à se rapprocher du gouvernement québécois, auquel se colle le Bloc québécois, pendant cette dernière joute oratoire, disputée au Musée canadien de l’histoire, à Gatineau.

« Le Québec a beaucoup de pouvoirs en matière d’immigration, plus que toute autre province, et c’est une bonne chose à cause de l’identité québécoise et de la protection de la langue », a-t-il affirmé sur le plateau du débat animé par Patrice Roy.

« Et d’ailleurs, s’ils veulent appliquer un test lors du certificat de sélection, c’est tout à fait correct, et c’est approprié qu’ils le fassent », a enchaîné le chef libéral, sans préciser s’il faisait référence à une épreuve de maîtrise de la langue ou encore à un test de valeurs.

À l’issue de l’exercice, en mêlée de presse, il n’a pas davantage voulu ouvrir son jeu. « Il faudrait voir les questions pour voir comment je me sens par rapport à ça », a-t-il répondu lorsqu’on lui a demandé s’il était favorable à l’imposition d’un test de valeurs.

Pendant le débat, le premier ministre sortant avait fait allusion à l’importance des sièges du Québec, rappelant que les 40 décrochés par ses troupes en 2015 avaient contribué à mettre fin à la décennie du règne de Stephen Harper au gouvernement fédéral.

Et maintenant que le Bloc veut reprendre une place et vouer les Québécois encore une fois à l’opposition, les Québécois doivent réfléchir très, très clairement.

Justin Trudeau, chef du Parti libéral du Canada

Car « il faut avoir un gouvernement fort plein de Québécois, plein de francophones qui vont pouvoir continuer de tenir tête à ces conservateurs qui ne veulent rien faire », a lancé Justin Trudeau.

L’épouvantail de la souveraineté

Mais le chef libéral n’était visiblement pas le seul à courtiser les électeurs québécois. Le chef conservateur Andrew Scheer, dont les troupes sont en recul au Québec, selon les derniers sondages, a piqué à plusieurs reprises Yves-François Blanchet, brandissant notamment l’épouvantail de la souveraineté.

« Vous aimez prétendre que vous êtes le meilleur ami de François Legault. Soyez honnête, après l’élection, vous allez travailler plus pour la souveraineté », a servi M. Scheer au chef bloquiste lors d’un échange à trois au sujet de l’immigration. La critique a mis le feu aux poudres, donnant lieu à un débat totalement inintelligible pendant de longues secondes. « On coupe les micros », a lancé l’animateur Patrice Roy.

Alors qu’il ne restait que quelques minutes à la joute oratoire, les deux leaders ont encore une fois eu maille à partir au sujet de la Loi sur la laïcité de l’État – dont il a été question pour la première fois après plus d’une heure trente de débat. Tandis que M. Blanchet réclamait du chef du Nouveau Parti démocratique plus de clarté sur sa position, Andrew Scheer s’en est pris au chef du Bloc québécois.

C’est clair que la priorité de M. Blanchet, c’est de réanimer le mouvement souverainiste.

Andrew Scheer, chef du Parti conservateur du Canada

« Il va travailler avec le Parti québécois, au lendemain de l’élection, pour relancer le débat vers un autre référendum. Ça, c’est sa priorité, c’est clair », a-t-il martelé.

« [M. Trudeau] n’a pas le monopole sur les affaires bizarres parce que vous venez d’en dire une pas mal vous aussi », a répliqué M. Blanchet. « Vous êtes en train de dire que le gouvernement Legault se fait l’instrument d’une tactique bloquiste qui va faire avancer le Bloc, et le lendemain le Bloc va aller travailler contre le gouvernement Legault », a-t-il asséné. « Le 21 octobre, c’est une élection fédérale, ce n’est pas un référendum. »

Retour à l’équilibre budgétaire

À la veille du dépôt de sa plateforme électorale, qu’il présentera en Colombie-Britannique, M. Scheer a redit son intention de revenir à l’équilibre budgétaire dans un horizon de cinq ans.

Il a assuré que cela ne se ferait pas en empruntant la voie de l’austérité. « On va éliminer 1,5 milliard de dollars pour les subventions aux corporations et on va couper l’aide étrangère de 25 %. On va garder cet argent ici, chez nous », a-t-il dit.

On a par ailleurs appris de la bouche du chef conservateur qu’il n’avait pas l’intention de repousser l’âge de la retraite de 65 à 67 ans comme l’avait fait Stephen Harper, pas plus qu’il n’envisage d’abolir le formulaire long du recensement.

Priorité : environnement

L’environnement, qui a été le tout premier thème abordé lors du débat, a donné lieu aux habituels reproches entourant la décision du gouvernement libéral de se porter acquéreur de l’oléoduc Trans Mountain au coût de 4,5 milliards. D’ailleurs, le débat d’hier était nettement plus intelligible que celui de lundi dernier.

Le chef du Parti populaire, Maxime Bernier, a profité de ce segment pour tenter de se distinguer de son rival conservateur, qu’il a accusé de ne pas avoir le courage d’« utiliser la Constitution » pour imposer un pipeline aux provinces. « Maxime, tu ne vas rien imposer. Tu ne vas même pas gagner en Beauce », lui a répondu M. Scheer.

La période des débats étant terminée, les chefs fédéraux entament maintenant la dernière ligne droite de cette campagne électorale qui culminera le 21 octobre prochain. Le vote par anticipation débute par ailleurs aujourd’hui.

« Point final » sur l’avortement

Alors que sa position sur l’avortement l’a pourchassé pendant la presque totalité de la campagne, le chef conservateur Andrew Scheer espère l’avoir clarifiée une fois pour toutes hier. Interpellé sur la question, il a voulu se faire limpide : « J’ai toujours été clair. Je suis personnellement pro-vie, mais […] un gouvernement conservateur ne va pas changer, sous mon leadership, la loi [sur l’avortement], point final », a-t-il affirmé.

Oui aux hydrocarbures du Québec ?

Le chef bloquiste a été appelé à préciser sa position sur le projet controversé de GNL Québec, qui prévoit la construction d’un gazoduc qui amènerait le gaz naturel de l’Ouest canadien vers une usine de liquéfaction au Saguenay. « Vous êtes contre les pipelines, mais vous ne dénoncez toujours pas le projet de GNL Québec », lui a dit la journaliste invitée, Hélène Buzzetti. « J’ai été assez clair sur le fait que je pense que les hydrocarbures et les énergies fossiles sont les énergies du passé […], mais comme ancien ministre de l’Environnement [dans le gouvernement de Pauline Marois, de 2012 à 2014], j’attends le rapport du BAPE », a-t-il expliqué, rappelant « en toute cohérence » qu’il avait l’intention de déposer un projet de loi pour que le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) ait préséance sur les autorités environnementales fédérales.

Interruption des hostilités

Une question relative à l’aide médicale à mourir, formulée par Lise Pigeon, une citoyenne de Montréal atteinte de sclérose en plaques et d’arthrite rhumatoïde, a fait place à une rare interruption des hostilités lorsqu’elle a demandé aux chefs politiques s’ils allaient s’engager à ne pas contester la décision de la juge Christine Baudouin de la Cour supérieure, rendue le 11 septembre dernier. Saluant le courage de la citoyenne, tous les chefs fédéraux ont promis d’alléger les critères d’admissibilité à l’aide médicale à mourir. Mme Pigeon a ensuite été chaleureusement applaudie par la foule réunie au Musée canadien de l’histoire.

SNC-Lavalin en bref

Lors d’une série de questions en rafale, l’animateur Patrice Roy a demandé à tous les chefs s’ils souhaitaient un accord de réparation avec SNC-Lavalin. Maxime Bernier, Elizabeth May et Jagmeet Singh ont été unanimes sur le fait qu’aucune entreprise n’est au-dessus des lois. « Pour une seule fois de ma vie, je suis d’accord avec M. Bernier », a lancé à la blague le chef néo-démocrate. Le chef bloquiste a accusé ses trois collègues de « jouer le Québec corrompu » en ne reconnaissant pas que les 3000 employés de SNC-Lavalin « n’ont rien fait de pas correct » et qu’en raison de « l’incurie » des partis fédéraux, « c’est un autre fleuron qui va tomber » au Québec. Andrew Scheer a saisi la balle au bond, affirmant que le « fleuron » du Canada, c’est son système judiciaire, et qu’il faut le protéger de toute ingérence. Justin Trudeau a rappelé que « tous les pays alliés » du Canada offrent ce genre d’accord pour « protéger les travailleurs » de la malfaisance des hauts dirigeants.