(SACKVILLE, Nouveau-Brunswick) En allant vers le Sud, je suis passé par Neguac, pour rendre un hommage aux Hay Babies, et vérifier la chanson par moi-même.

Y reste pus de d’bon restaurant
Y a rien d’ouvert après cinq heures
J’ai pus de raison d’y aller back

C’est vrai que même une heure plus tard, ça ferme de bonne heure, le Nouveau-Brunswick. Mais peut-être pas plus que tous les villages de partout, qui vieillissent tous, et où on se demande « qui s’qui va sonner les cloches de l’église ».

Sackville, à la frontière de la Nouvelle-Écosse, c’est un autre monde. Une ville grouillante de 5300 habitants, dont 2700 sont des étudiants à la petite, mais ancienne université Mount Allison. Une ville cool, écolo, amie des terres humides.

PHOTO ANDREW VAUGHAN, LA PRESSE CANADIENNE

Sackville, à la frontière de la Nouvelle-Écosse, est une ville grouillante de 5300 habitants.

Le passage clouté est peint comme une traverse de canards. Au Black Duck, un prof est affairé à son portable, deux étudiantes devisent autour d’un smoothie et une dame tricote furieusement devant un café qui vaut le détour.

Sackville a sa vraie pizzeria napolitaine, four à bois et pizzaiole certifié, Carmine Caso. Sa femme faisait des fouilles à Pompéi. Elle a eu un poste de prof d’archéologie à Mount Allison, ils ont déménagé.

La première chose qu’on m’a dite, c’est qu’ici, on ne parle pas de politique ni de religion… À Naples, on parle sans arrêt de politique, mais c’est pour s’amuser, et de foot, qui est notre religion, et il n’y en a pas ici. Alors je vais parler de quoi ?

Carmine Caso

On pourrait parler d’aboiteaux, Carmine, ce serait à la fois de l’actualité brûlante et de l’archéologie.

Ce système acadien génial de digues est encore en partie fonctionnel 264 ans après la Déportation. Le mécanisme repousse l’eau de la mer et évacue celle des terres humides. On pouvait gagner sur la mer des terres cultivables.

Et 300 ans plus tard, certains sont encore en place, ce qui est tout de même émouvant.

Sauf que les changements climatiques mettent une pression nouvelle et supplémentaire sur toutes les digues, anciennes ou nouvelles. Et on est en train de se demander si ce bout de la Transcanadienne qui relie la Nouvelle-Écosse au Nouveau-Brunswick ne va pas être englouti.

Sackville, jadis prospère ville de chantier naval, est aux confins de la baie de Fundy, dont les marées record viennent mourir au pied de ces digues. En face, des marécages en enfilade, qui se vident dans la baie.

Et la route est au milieu de ces deux systèmes.

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Sackville est l’un des trois endroits où le Parti vert a réussi à faire élire des députés à l’Assemblée législative provinciale, l’an dernier. Megan Mitton a gagné ici par 11 votes. Sabine Dietz, une Allemande qui parle français comme si elle avait grandi à Bouctouche, est un des maîtres d’œuvre de cette victoire historique.

Beaucoup plus difficile était le boulot qui l’a fait immigrer au Canada : restaurer les populations de pluvier siffleur, une sorte de petit bécasseau joufflu extrêmement sympathique, mais qui pond ses œufs directement dans le sable, pour qu’on ne les voie pas. Or, comme vous savez, les plages sont aussi l’habitat du « quatre roues », et vu qu’on ne voit pas les œufs, vous devinez ce qui arrive. Mais il paraît que le pluvier prend du mieux.

« En Allemagne, les Verts, c’est un parti établi depuis longtemps. Ici, c’est encore nouveau, mais on progresse… »

La percée néo-brunswickoise en a inspiré d’autres. On a embauché Sabine comme organisatrice pour les élections à l’Île-du-Prince-Édouard, en avril : les verts, avec huit députés, y forment l’opposition officielle.

Et voici cette consultante en changements climatiques à la tête de la campagne fédérale des verts dans Beauséjour.

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La roulotte, ou le « bureau mobile » de la candidate, arrive. Laura Reinsborough, née à Sackville, sait qu’elle devra faire beaucoup de visites dans cette circonscription rurale pour détrôner Dominic LeBlanc dans Beauséjour. LeBlanc est député depuis 2000, c’est-à-dire au temps de Jean Chrétien. Il est cependant empêché de faire campagne cette fois, puisqu’il subit des traitements contre le cancer.

La candidate Reinsborough a fait carrière en sécurité alimentaire. Et en plus de l’anglais, du français et de l’espagnol, elle parle le… norvégien.

« Ah, ça, c’est vraiment vert… C’était pour lire le rapport Bruntland dans le texte ?

— Non, j’ai fait un échange étudiant et j’ai appris… »

Après plusieurs années à Toronto, elle est revenue élever ses enfants dans sa ville natale.

PHOTO YVES BOISVERT, LA PRESSE

Laura Reinsborough (à gauche)
et sa directrice de campagne, Sabine Dietz

« On est en communion physique avec la terre et la mer ici, c’est une communauté tissée très serré. On sent aussi les impacts des changements très directement. Les oiseaux convergent vers l’isthme de Chignectou [qui relie les deux provinces], c’est presque la même chose pour les humains depuis très longtemps. »

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Les enjeux environnementaux locaux ne manquent pas. La pêche ne va pas particulièrement bien, si ça vous avait échappé. Même si le crabe et le homard font d’excellentes recettes. Sauf que pour appâter le homard, on a coutume d’utiliser du maquereau ou du hareng. Mais il n’y en a pratiquement plus dans les environs. On est donc au point absurde où on importe du maquereau japonais ou du poisson européen pour faire de la « bouette » pour pêcher des homards qu’on vendra aux Japonais.

En forêt, Irving pratique la monoculture de résineux. Pour empêcher les feuillus de pousser et de concurrencer épinettes et sapins, on procède à des épandages de glyphosate périodiques – une pratique interdite au Québec.

Mais les verts, vous l’aurez remarqué, ne veulent pas parler que de ces choses-là. Ils insistent pour montrer qu’ils ont un programme « complet », et pas seulement un chapitre géant sur l’environnement. « On dirait que la région a accepté d’être économiquement déprimée. Il n’y a pas de raison que ce soit le cas. » Elle parle du programme social, fiscal, en santé…

Ont-ils la moindre chance ici, face à Dominic LeBlanc, poids lourd de la politique acadienne ? Il y a tout de même l’usure du pouvoir. Cette série de nominations de juges au Nouveau-Brunswick proches de lui. La figure pâlissante de Justin Trudeau. Et au nord de Beauséjour, le bout de circonscription d’un autre vert provincial, le fermier bio Kevin Arseneau.

L’an dernier encore, les verts n’étaient nulle part dans les Maritimes.

Alors avec son bureau mobile et son auto électrique, elle va arpenter la côte du nord au sud. Kouchibouguac and back, pour récrire la toune.