(Ottawa) Une semaine après le déclenchement de la campagne électorale, les libéraux et les conservateurs sont à égalité avec 35 % des intentions de vote. Les troupes de Justin Trudeau sont toutefois bien en selle au Québec, où elles détiennent une confortable avance sur celles d’Andrew Scheer. Compte rendu des résultats d’un sondage Ipsos réalisé pour La Presse et le réseau Global News.

Égalité et disparités

C’est indéniablement un combat sans merci entre les libéraux de Justin Trudeau et les conservateurs d’Andrew Scheer, qui sont ex æquo avec 35 % des intentions de vote. Aucun autre chef ne leur arrive à la cheville, et malgré ce que certains observateurs considèrent comme un bon début de campagne, Jagmeet Singh traîne toujours la patte, avec un score de 14 %. Suivent Elizabeth May avec 9 %, puis Maxime Bernier, qui ferme la marche avec 2 % des intentions de vote.

Le sondage met en lumière de profondes disparités d’une région à l’autre du pays. Sans surprise, les conservateurs ont le haut du pavé chez Jason Kenney, en Alberta, avec une avance de 36 points sur les libéraux. Au Manitoba et en Saskatchewan, deux provinces qui sont aussi dirigées par des gouvernements conservateurs, ils mènent par 22 points sur les libéraux.

Mais ces provinces ne sont pas les plus payantes en termes de sièges ; ensemble, elles en cumulent 62. Dans celle qui l’est le plus, l’Ontario (121 sièges), les libéraux devancent leurs rivaux de huit points, profitant de l’impopularité du gouvernement de Doug Ford. Et au Québec (78 sièges ; voir autre capsule), le Parti libéral est dans une position encore plus dominante.

Les conservateurs ont cependant creusé un écart de 12 points en Colombie-Britannique. Et dans les provinces de l’Atlantique, où le Parti libéral avait réalisé un balayage en 2015, les libéraux et les conservateurs sont à égalité statistique.

Le Parti libéral a la cote au Québec

Les libéraux cartonnent au Québec. Les troupes de Justin Trudeau fédèrent ici 41 % de l’électorat, ce qui leur confère une avance de 19 points de pourcentage sur leurs plus proches concurrents, les conservateurs d’Andrew Scheer. Les électeurs du Québec sont aussi ceux qui sont le plus satisfaits du bilan libéral : 52 % l’approuvent (contre 44 % à l’échelle nationale), et 47 % sont d’avis que le gouvernement sortant mérite un second mandat, comparativement à 39 % pour la moyenne canadienne. « Ça va bien pour eux, ils sont à peu près au même niveau d’appuis que dans le dernier coup de sonde », note Sébastien Dallaire, directeur général d’Ipsos Québec.

Cette enquête plus fraîche a été menée dans les premiers jours de la campagne, alors que le chef libéral se faisait talonner sur la loi québécoise sur la laïcité. Est-ce à dire que cette épineuse question ne fera pas perdre des plumes aux libéraux ? « Il faudra voir si l’enjeu persiste. Mais rappelons en 2015, leur position contre l’interdiction du port du niqab dans les cérémonies de citoyenneté allait à l’encontre de l’opinion de la vaste majorité des Québécois, mais ils ont quand même gagné », souligne M. Dallaire.

La récolte a été fructueuse au Québec pour les libéraux de Justin Trudeau au scrutin d’octobre 2015. Ils ont obtenu 35,7 % des voix, ce qui leur a permis de mettre la main sur 40 sièges.

Québec bleu foncé, Montréal rouge écarlate

PHOTO FRANK GUNN, LA PRESSE CANADIENNE

Andrew Scheer 

Les données du sondage suggèrent que le Parti conservateur maintiendra son emprise sur la région de la Capitale-Nationale. Avec 41 % d’intentions de vote, la formation est loin devant le Parti libéral (20 %) et le Bloc québécois (19 %). « C’est vraiment la seule région où le Parti libéral ne se détache pas », note Sébastien Dallaire.

Là où les choses vont nettement mieux pour les libéraux, c’est dans l’île de Montréal, qui pourrait bien être peinte en rouge le soir du 21 octobre. Le parti y détient une avance considérable, avec 56 % d’intentions de vote. Les conservateurs et les néo-démocrates suivent avec 12 %, tandis que les bloquistes récoltent 11 %.

Les luttes s’annoncent plus serrées en banlieue de Montréal. « Les libéraux (35 %) ont un peu d’avance sur les bloquistes (29 %), mais statistiquement, la différence est vraiment minime », signale le sondeur, mentionnant au passage que les conservateurs, avec 22 %, sont eux aussi compétitifs dans les couronnes de la métropole.

Le NPD en danger de disparition au Québec

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Jagmeet Singh 

La formation de Jagmeet Singh est en sérieuse difficulté – voire en voie de disparition – au Québec.

« Le Nouveau Parti démocratique (NPD) à 8 % confirme la baisse marquée qu’on voit depuis un bon bout de temps dans les sondages, soutient Sébastien Dallaire. Avec un score comme ça, la plupart, sinon tous les sièges, du NPD sont en jeu. »

Pour les autres formations, les circonscriptions néo-démocrates deviennent donc objets de convoitise. « Si le Parti libéral réussit à aller chercher une majorité de sièges, ça peut faire la différence à l’échelle nationale entre une victoire et une défaite », dit le sondeur.

Les conservateurs n’ont toutefois aucunement l’intention de laisser le champ libre aux libéraux, comme en témoigne le fait que le chef Andrew Scheer a donné le coup d’envoi à sa campagne du côté de Trois-Rivières.

Le NPD est suivi de très près par le Parti vert, qui obtient la faveur de 7 % des électeurs du Québec. Si l’aiguille ne bouge pas, la formation d’Elizabeth May n’est donc pas en voie de gagner un siège ici.

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Elizabeth May

Elle devrait cependant en décrocher ailleurs au pays, où ses appuis sont à 9 %. « Ce sera intéressant de regarder si le Parti vert va réussir à supplanter le NPD et obtenir une part plus importante de voix et possiblement de sièges », expose Sébastien Dallaire.

Bloquiste c. conservateur

Au Québec, l’adversaire d’Andrew Scheer ne semble plus être Justin Trudeau, mais plutôt Yves-François Blanchet. Alors que les libéraux profitent d’une confortable avance avec 41 % des intentions de vote, le Parti conservateur (22 %) et le Bloc québécois (20 %) se livrent une chaude lutte pour la deuxième place.

Une prévision qui n’est pas étrangère au fait que les deux formations politiques courtisent les mêmes électeurs, surtout en dehors de Montréal, croit la professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, Geneviève Tellier. « Les régions à l’extérieur de Montréal, c’est vraiment là où les conservateurs et le Bloc veulent faire des gains », dit-elle.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Yves-François Blanchet

Pour Daniel Weinstock, professeur à la faculté de droit de l’Université McGill, cette chaude bataille peut aussi s’expliquer par le début de campagne difficile pour Andrew Scheer, empêtré dans des controverses liées au passé de certains de ses candidats. « Disons qu’au départ, le potentiel séducteur d’Andrew Scheer au Québec était assez relatif », ajoute-t-il.

En contrepartie, M. Weinstock estime que le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, se pose en « leader ascendant » jusqu’à présent. « La carte qu’a décidé de jouer le Bloc est très intéressante. Plutôt que de ne parler que d’indépendance, il se fait le porte-parole fédéral [du gouvernement] de la Coalition avenir Québec », lance-t-il.

Fidélité conservatrice

Les résultats du sondage Ipsos, mené pour le compte de La Presse et du réseau Global News, révèlent que 62 % des électeurs conservateurs sont certains de leur choix. C’est loin devant le Parti libéral du Canada (47 %), le Bloc québécois (47 %) et le NPD (39 %).

« Il y a un noyau conservateur qui croit aux idées et aux valeurs conservatrices qu’il n’y a nulle part ailleurs. Ils n’ont pas vraiment d’alternative non plus […] alors que chez les libéraux, il y a des idées qui sont très semblables avec le NPD, avec le Parti vert, donc c’est plus facile de magasiner », explique Geneviève Tellier.

D’ailleurs, le coup de sonde met en lumière qu’il n’y a pas de « second choix » qui se distingue réellement chez les électeurs conservateurs, alors que le Parti vert (15 %), le Parti populaire du Canada (14 %), le Nouveau Parti démocratique (14 %) et le Parti libéral (12 %) sont à égalité statistique. Chez les libéraux, 31 % des électeurs se tourneraient vers le NPD en second choix.

La proportion des électeurs choisissant la bannière conservatrice qui se disent « certains » de se déplacer aux urnes le 21 octobre est également la plus élevée avec 77 %. Cette tendance observée au pays est aussi présente au Québec alors que 80 % des électeurs conservateurs se disent « absolument certains d’aller voter ».

Exit l’affaire SNC-Lavalin ?

La bonne performance du Parti libéral au Québec – c’est ici que les libéraux bénéficient de la plus grande avance au pays, selon le sondage – veut-elle dire que les Québécois ont passé l’éponge sur l’affaire SNC-Lavalin ? Chose certaine, de l’avis des experts consultés par La Presse, la perception de la controverse n’a pas été la même sur le sol québécois que dans le reste du Canada.

« SNC-Lavalin, c’est gros, c’est important et c’est connu au Québec. On sait ce qu’ils font et on veut les protéger tandis qu’ailleurs au Canada, c’est une compagnie qui est beaucoup moins connue, tout comme son importance économique », souligne Geneviève Tellier, qui estime que l’affaire a fait moins mal aux libéraux au Québec qu’au Canada.

Pour M. Weinstock, les prochaines semaines permettront de préciser les intentions de vote des Québécois à savoir s’ils n’ont pas « un peu par défaut » choisi les libéraux en début de campagne. « On pourra voir [plus loin en campagne] si réellement quelque chose de réellement positif amène les électeurs au Parti libéral », lance-t-il.

Par ailleurs, le sondage démontre que le Québec a une « vision plus positive » de la performance du gouvernement libéral sortant que les autres provinces.

Attention : vote volatil

C’est au Québec que les électeurs sont « moins certains » quant au choix qu’ils feront le 21 octobre, révèle le sondage. Seulement 46 % des personnes sondées ont affirmé être certaines de leur décision, et « aucun parti ne possède un avantage marqué sur cette question », apprend-on. Deux Québécois sur dix affirment également ne pas savoir à qui ils confieront leur vote, et 7 % prévoient ne pas se présenter aux urnes.

C’est un facteur qu’il faut considérer lorsque l’on observe la performance des libéraux au Québec, estime M. Weinstock. « Je crois que la robustesse de l’ascendant du Parti libéral notamment va se déterminer dans la mesure où l’on va voir quels seront les effets des stratégies des autres partis, comme le Bloc québécois. Je devine qu’il y a encore de la mobilité dans le vote. On ne sera pas là où on est aujourd’hui dans cinq semaines. »

Au Québec, 19 % des électeurs sondés donnent leur second choix au NPD, devant le Parti vert avec 17 %. Fait à noter, chez les 18-34 ans, toujours au Québec, le Parti libéral domine dans les intentions de vote avec 39 %, suivi du NPD avec 18 %, du Bloc québécois avec 16 % et du Parti conservateur avec 14 %.

Le Parti vert arrive loin derrière avec 8 %, ce qui peut être surprenant lorsque l’on sait que l’urgence climatique est une grande préoccupation des jeunes. « J’ai l’impression que le vote [des 18-34 ans] n’est pas encore cristallisé. Oui, c’est beau, l’environnement, mais en même temps ce sont des gens qui commencent dans la vie. La question de l’emploi est aussi importante », explique Geneviève Tellier.

Méthodologie

Le sondage Ipsos a été réalisé du 11 au 13 septembre auprès de 2562 Canadiens âgés de 18 ans et plus. De ce nombre, 2062 entrevues ont été réalisées via un panel internet et 500, par téléphone. La firme a grossi l’échantillon au Québec afin d’obtenir une lecture plus précise de la situation dans la province. L’intervalle de crédibilité du sondage est de 2,2 %, 19 fois sur 20.

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