À la veille du déclenchement des élections, Andrew Scheer révèle le plan d’action des 100 premiers jours d’un éventuel gouvernement conservateur, s’il remporte la victoire le 21 octobre. Conférence des premiers ministres, rencontre au sommet avec François Legault pour mettre en œuvre la déclaration de revenus unique et mise à jour économique sont au menu.

Un corridor énergétique, une déclaration de revenus unique

Le chef du Parti conservateur Andrew Scheer compte s’atteler rapidement à la tâche pour mettre en œuvre les principaux éléments de son programme électoral s’il est porté au pouvoir le 21 octobre. Et ses chantiers ne se limiteront pas à l’abolition de la fameuse taxe sur le carbone, chère aux libéraux de Justin Trudeau.

En entrevue éditoriale à La Presse, hier, le leader conservateur a dévoilé les grands pans de sa feuille de route : dans les 100 premiers jours de son mandat, il convoquerait ses homologues des provinces à une conférence des premiers ministres pour relancer le dialogue sur le libre-échange intérieur et jeter les bases d’un futur corridor énergétique d’est en ouest, projet phare de son programme électoral.

« C’est clair que le corridor énergétique, ça va être difficile. C’est un enjeu avec beaucoup de défis. Mais ce n’est pas une raison de ne pas essayer », a lancé sans détour M. Scheer, de passage dans les locaux de La Presse, après avoir livré un discours devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

J’ai bon espoir qu’on peut le faire. Mais c’est clair qu’on va lancer la conversation très, très tôt.

Andrew Scheer, à propos de son projet de corridor énergétique

Le chef conservateur, qui était calme et posé malgré le déclenchement imminent des hostilités électorales, ne cache pas que le premier ministre du Québec, François Legault, sera un acteur de premier plan dans le succès de cet ambitieux dossier.

M. Scheer annonce d’ailleurs qu’il veut rencontrer en tête à tête M. Legault dans le but de réaliser rapidement la promesse des conservateurs d’instaurer, à la demande du gouvernement caquiste, une déclaration de revenus unique pour les contribuables québécois.

À cet égard, Andrew Scheer s’engage de façon catégorique à ce que ce changement touchant l’Agence du revenu du Canada ne rime pas avec pertes d’emplois. Au Québec, l’agence fédérale emploie quelque 5300 personnes, dont 1200 travailleurs dans la région de Jonquière, au Saguenay, et 1500 en Mauricie.

« Je suis sensible au fait qu’il y a des êtres humains avec des emplois et des maisons, avec une famille. Et on ne peut pas créer l’impression qu’il va y avoir un impact négatif sur eux. Mon engagement, c’est que personne ne va perdre son emploi », a-t-il assuré, visiblement prêt à répondre aux critiques des autres formations politiques sur cet enjeu.

Sa solution est de faire appel à l’expertise des fonctionnaires de l’agence fédérale pour combattre l’évasion fiscale et mettre au pas les géants du web que sont les Facebook, Google et Netflix de ce monde.

Il va jusqu’à dire que c’est une situation « win-win » pour tout le monde. « C’est un gain pour les Québécois et les Québécoises parce que leur vie va être simplifiée. Ce sera plus efficace pour les contribuables. Les fonctionnaires vont vraiment cibler [l’évasion fiscale] et on va avoir plus de revenus. Donc, c’est vraiment “win-win” », a-t-il insisté. Si tout va bien, la déclaration de revenus unique pourrait être en vigueur pour l’année d’imposition 2020.

Le fameux corridor énergétique

Quant à l’aménagement d’un corridor énergétique d’un bout à l’autre du pays, M. Scheer estime qu’il s’agit d’un projet tout aussi nécessaire que la construction du chemin de fer au début de la Confédération. Un tel corridor devrait obtenir l’aval des Premières Nations et des provinces et voir le jour une fois que les études environnementales requises auront été menées.

L’avantage d’un tel corridor, selon les conservateurs, serait d’accélérer la construction d’infrastructures liées au transport de ressources naturelles telles que l’hydroélectricité, le gaz naturel et le pétrole – sans que ces projets s’enlisent dans d’interminables batailles juridiques.

M. Scheer soutient que le Québec pourrait y trouver son compte en exportant davantage de son hydroélectricité vers l’Ontario – un rêve que caresse déjà le gouvernement Legault. Le chef conservateur ajoute que de nombreux premiers ministres, dont M. Legault et Doug Ford, de l’Ontario, se sont montrés intéressés au projet.

Il y a un intérêt pour cette idée. Le diable est toujours dans les détails. Mais je crois qu’il y a un esprit d’ouverture.

Andrew Scheer

Si l’Ontario n’envisage pas d’acheter davantage d’électricité du Québec, M. Scheer estime que l’intérêt des consommateurs finira par prévaloir, notant que la facture d’énergie dans cette province a explosé au cours des dernières années et continuera d’augmenter.

« C’est clair que le Québec peut offrir à l’Ontario de l’hydroélectricité à un prix moindre. […] Tout le monde peut profiter d’un corridor. C’est sûr que nous sommes loin d’un accord final. L’indépendance énergétique du Canada est un objectif que je veux atteindre et les premiers ministres partagent cet objectif, même M. Legault », a-t-il dit au cours de l’entretien d’une heure.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Andrew Scheer, chef du Parti conservateur, en entrevue éditoriale. De gauche à droite : Paul Journet, Fanny Lévesque, Joël-Denis Bellavance, François Cardinal et Alexandre Sirois

Une mise à jour économique

Parmi les autres gestes qu’il compte faire dans les 100 premiers jours d’un mandat conservateur, Andrew Scheer demandera à son futur ministre des Finances de déposer une mise à jour économique à la Chambre des communes. Cette mise à jour devrait être le fer de lance d’un éventuel retour à l’équilibre budgétaire, prévu dans un horizon de cinq ans. La lutte au déficit devra se faire sans compressions draconiennes dans les secteurs névralgiques que sont la santé et l’éducation.

« Nous voulons contrôler le niveau d’augmentation des dépenses. Dans certains ministères, la hausse des dépenses a été de 8 % ou 9 % par année. Ce n’est pas viable. Alors, il y a des ministères qui ont des niveaux de dépenses record », a dit le chef conservateur. Mais il promet de passer à la moulinette la Banque d’infrastructure du Canada, créée par le gouvernement Trudeau. « C’est un modèle que l’on n’accepte pas », a-t-il tranché.

Fierté québécoise

Deux ans et demi après avoir été élu à la tête du Parti conservateur, M. Scheer dit avoir appris bien des choses au sujet du Québec et des Québécois. En tête de liste vient une meilleure compréhension du sentiment de fierté de la nation québécoise.

Ce n’est pas simple d’être une île linguistique dans un continent anglophone. On ne peut pas tenir pour acquis que les traditions, la culture et la langue peuvent continuer sans être défendues et soutenues.

Andrew Scheer

« Honnêtement, les anglophones croient que tout le monde au Québec peut parler en anglais. Mais ce n’est pas vrai », a-t-il convenu, lui-même aujourd’hui beaucoup plus à l’aise dans la langue de Molière.

« Je comprends mieux pourquoi ils craignent les menaces qui pourraient détruire leur culture », a-t-il ajouté, promettant de s’assurer que chaque dossier qui touche la langue et la culture soit évalué en tenant compte des répercussions sur les francophones et le Québec.

D’ici le jour du scrutin, le chef conservateur s’est fixé comme objectif de prononcer un premier discours en français sans aucune note.

« J’ai mon propre style, ma propre approche »

Pas d’engagement sur SNC-Lavalin

Le chef Andrew Scheer refuse de confirmer s’il se montrerait favorable ou non à la conclusion d’un accord de réparation avec la firme SNC-Lavalin s’il est porté au pouvoir, parce que, dit-il, ce sera au procureur général et ministre de la Justice de décider « si une compagnie mérite cette entente ». M. Scheer n’a cependant pas complètement exclu de prolonger la durée de la période pendant laquelle une entreprise reconnue coupable au criminel est privée de contrats publics fédéraux (actuellement fixée à 10 ans). « On peut regarder si c’est dans notre intérêt […], mais une chose très, très claire, c’est qu’on ne va jamais s’ingérer dans une poursuite criminelle », a affirmé le chef conservateur. 
— Fanny Lévesque, La Presse

Dépolitiser le débat sur l’immigration

Dans le dossier de l’immigration, Andrew Scheer veut d’abord et avant tout « dépolitiser » le débat entourant le nombre d’immigrants que le Canada doit accueillir chaque année. Au passage, il accuse le Parti libéral et le NPD de se livrer à une véritable surenchère pour savoir lequel des deux proposera la cible la plus élevée. Il écorche aussi le Parti populaire de Maxime Bernier, qui propose l’inverse. Selon lui, il faut établir les cibles annuelles en fonction des besoins économiques du pays sans abandonner l’accueil de réfugiés et le programme de réunification familiale. « Je veux dépolitiser le débat, la conversation qui touche les cibles d’immigration. On parle ici d’êtres humains. Mais on doit établir une cible qui s’appuie sur les réalités économiques. »
— Joël-Denis Bellavance, La Presse

Plus ferme avec la Chine

M. Scheer promet de s’affairer à dénouer l’impasse diplomatique et économique, qui perdure avec Pékin depuis maintenant près de 10 mois, dès les 100 premiers jours d’un éventuel mandat conservateur. Il cite au nombre de ses priorités la libération des deux Canadiens détenus de façon « arbitraire » en Chine. « La Chine a besoin du Canada plus que le Canada a besoin de la Chine. C’est clair que nous avons une position plus forte que le gouvernement libéral actuel », a indiqué le leader conservateur. « Si la Chine veut continuer de bloquer nos exportations, je dis que nous allons aussi imposer des mesures contre les leurs. C’est quelque chose que nous pouvons utiliser comme négociation », a-t-il ajouté. Le Parti conservateur promettait notamment de s’adresser à l’Organisation mondiale du commerce et de nommer un ambassadeur du Canada en Chine, ce qu’a fait le gouvernement libéral au cours des derniers jours. 
— Fanny Lévesque, La Presse

« Maxime qui ? »

PHOTO JUSTIN TANG, LA PRESSE CANADIENNE

Maxime Bernier, chef du Parti populaire du Canada

Interrogé sur la possibilité que le chef du Parti populaire du Canada et ex-membre du Parti conservateur, Maxime Bernier, divise le vote conservateur au pays, Andrew Scheer a lancé à la blague : « Maxime qui ? » avant de décocher quelques flèches à son ancien adversaire à la course à la direction. « Je ne doute pas que les gens qui regardent les messages que dit Maxime voient que c’est réellement le Parti conservateur qui offre un vrai contraste avec le Parti libéral », a-t-il ajouté plus sérieusement. « J’ai été dans le même caucus que Maxime pendant quelques années. Je ne peux pas vraiment dire que j’ai travaillé avec lui, parce qu’il ne travaille pas avec les autres. Il faut travailler ensemble dans un parti, trouver des solutions communes. C’est drôle parce que le nom de son parti est le “People’s Party”, mais il a choisi le nom, le chef et toutes les politiques de la formation », a-t-il lancé. 
— Fanny Lévesque, La Presse

Différent de Stephen Harper

À ceux qui dépeignent Andrew Scheer comme un « Stephen Harper avec le sourire », le chef conservateur répond que s’offre plutôt devant lui l’occasion de « créer son propre chapitre » dans l’histoire du Parti conservateur et du Canada. « J’ai mon propre style, ma propre approche. On va avoir un message différent pendant la campagne. J’ai bon espoir que les gens pourront déterminer quelles sont les différences ou les similarités, mais ce n’est pas mon job de faire les comparaisons », a-t-il précisé. Le Parti libéral n’hésite pas à brandir la menace des années Harper dans leur message électoral alors que le Parti conservateur a fait le pari de faire appel aux services de l’ex-premier ministre du Canada dans une vidéo pour une campagne de financement.
— Fanny Lévesque, La Presse 

Miser sur les technologies plutôt que sur la taxe carbone

Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, le chef du Parti conservateur Andrew Scheer soutient qu’il faut miser sur le développement de nouvelles technologies, au lieu d’imposer une taxe sur le carbone. Il affirme que le plan environnemental des libéraux de Justin Trudeau, qui impose une taxe sur le carbone dans les provinces qui n’ont pas de prix sur la pollution comme l’Ontario et la Saskatchewan, ne permettra pas de réduire les émissions de GES. Au contraire, le gouvernement Trudeau va rater les cibles de réduction, selon tous les experts. « C’est clair que sous le gouvernement libéral, les émissions continuent d’augmenter. Ce n’est pas une théorie du Parti conservateur. C’est un fait. Ça vient du ministère fédéral de l’Environnement. Pourquoi devrait-on suivre une politique qui échoue ? Notre plan nous donne de meilleures chances d’atteindre les cibles de Paris parce qu’il s’appuie sur la technologie, pas les taxes. »
— Joël-Denis Bellavance, La Presse

Un chef méconnu au Québec ?

Le chef conservateur admet que sa formation politique a dû mettre en œuvre, il y a deux ans lorsqu’il a pris les rênes du Parti conservateur, une stratégie pour mieux le faire connaître des électeurs québécois. Mais aujourd’hui, il n’est pas d’accord avec ceux qui le voient encore comme une personnalité méconnue au Québec où son lieutenant politique, Alain Rayes, est très présent. « Nous sommes allés à Roberval et les gens me reconnaissaient », cite-t-il, admettant néanmoins que le défi de se faire connaître est plus grand lorsque l’on siège dans l’opposition. « J’ai parlé avec d’anciens chefs de l’opposition et ils ont tous dit la même chose : c’est très difficile, que ce soit pour le NPD, le Parti conservateur ou le Parti libéral, de montrer sa personnalité entière. La majorité du temps, les gens qui me voient, c’est pendant la période des questions [à la Chambre des communes] et c’est un format très, très spécifique et c’est presque toujours négatif », a-t-il lancé.
— Fanny Lévesque, La Presse

La foi et la politique

Âgé de 40 ans et père de cinq enfants, Andrew Scheer est un homme croyant. Mais jamais sa foi ne va dicter quelque politique que ce soit d’un éventuel gouvernement conservateur. En entrevue, il réitère son engagement à ne pas rouvrir le débat sur l’avortement et à voter personnellement contre tout projet de loi privé qui viserait à le faire. « Ma foi m’influence en ce sens qu’elle m’inspire à traiter tous les êtres humains avec justice, équité et dignité. Elle me dit aussi d’être honnête envers les autres. […] J’ai la même foi que Justin Trudeau, nous fréquentons la même église. Mais ce sont des points de navigation personnelle pour moi. Je reconnais que nous vivons dans un pays laïque qui doit traiter toutes les religions et les gens qui n’ont pas de religion sur un pied d’égalité. »
— Joël-Denis Bellavance, La Presse

Corriger les lacunes du libre-échange

Même s’il critique la nouvelle mouture de l’accord de libre-échange nord-américain conclu par le gouvernement Trudeau avec les États-Unis et le Mexique, le chef conservateur Andrew Scheer ne propose pas de négocier un nouvel accord. Il compte plutôt corriger certaines lacunes de l’accord, en limitant l’impact sur les producteurs laitiers du pays, par exemple, et en négociant un accord à long terme pour l’industrie du bois d’œuvre – un secteur qui n’est toujours pas couvert par l’entente. « Je ne veux pas rouvrir les négociations pour l’ensemble de l’accord parce que cela va créer beaucoup d’inquiétude partout au pays. »
— Joël-Denis Bellavance, La Presse

Et l’aide aux médias ?

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

S’il prend le pouvoir le 21 octobre, le Parti conservateur compte abolir le programme d’aide à la presse écrite de 595 millions de dollars sur cinq ans annoncé par le gouvernement Trudeau, mais seulement quand il aura trouvé une solution de rechange qu’il jugera plus adéquate.

S’il prend le pouvoir le 21 octobre, le Parti conservateur compte abolir le programme d’aide à la presse écrite de 595 millions de dollars sur cinq ans annoncé par le gouvernement Trudeau, mais seulement quand il aura trouvé une solution de rechange qu’il jugera plus adéquate. Cette solution passerait par des mesures qui obligeraient les géants du web américains tels les Facebook, Google et compagnie à remettre aux producteurs de contenu qu’ils diffusent une partie des revenus publicitaires qu’ils empochent. La formule précise reste à dévoiler. « Je suis très sensible à cette question. Je sais qu’il y a beaucoup de défis pour les médias. […] Mais c’est sûr que la formule actuelle ne fonctionne pas. Mon père a travaillé pour l’Ottawa Citizen. Quand j’étais jeune, on avait quatre ou cinq abonnements à la maison. J’aime les journaux et je pense qu’il y a un vrai besoin dans notre société pour les médias. Mais ce n’est pas bon pour vous si les gens pensent qu’une entreprise a reçu une aide parce qu’elle a écrit tel reportage. Mais mon engagement, c’est qu’on ne va pas tirer le tapis avant d’avoir trouvé une solution de rechange qui fonctionne. »
— Joël-Denis Bellavance, La Presse