Le 29 mars, pendant qu’il faisait du vélo avec ses deux jeunes enfants, un Montréalais a croisé la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, qui se promenait dans une rue du Plateau Mont-Royal. Il a confronté Mme Joly à propos de ses positions par rapport à Gaza. La forte réaction de la ministre a été filmée et les images ont été largement diffusées.

L’homme en question fait partie de notre groupe de parents qui se mobilisent en solidarité avec le peuple palestinien depuis le début de ce que la Cour internationale de justice (CIJ) a qualifié de plausible génocide⁠1 mené par Israël à Gaza.

Nous soutenons ce peuple qui subit des massacres à répétition⁠2 et des attaques qui effacent des lignées entières, créent un risque de famine historique et anéantissent des villes complètes. Ces attaques sont perpétrées par un État qui s’appuie sur des déclarations génocidaires⁠3 et compte sur la livraison d’armes canadiennes⁠4.

Depuis la diffusion de l’altercation entre Mme Joly et le membre de notre groupe, le débat public a été accaparé par des questions sur la civilité des échanges, un débat qui insiste principalement sur la sécurité de la classe politique.

Or, les questions essentielles que nous posons sont les suivantes : qui se préoccupe de la sécurité des enfants palestiniens et de leurs familles, menacés par nos armes ? De la responsabilité publique de nos élues et élus ? Qu’en est-il du souci de vérité et de justice pour les victimes réelles ?

Tout d’abord, mettons les choses au clair. Le jour où le membre de notre groupe a abordé Mme Joly, il avait derrière lui ses deux enfants dans une remorque de vélo. Avant de parler à la ministre, il a d’abord eu un échange avec son agent de sécurité.

Tout au long de l’échange, l’homme est resté derrière son vélo. Il a essayé de garder ses distances lorsque Mme Joly a tenté de prendre son téléphone et a même dû lui demander de lâcher sa veste. Il ne s’agit pas, selon nous, du comportement d’une personne qui représente un danger public.

Pourquoi était-ce important que ce père de famille parle à Mme Joly, et pourquoi l’a-t-il filmée ?

Parce que pendant de longs mois angoissants, soit la période la plus meurtrière de la guerre, la ministre a refusé d’appeler à un cessez-le-feu à Gaza, malgré le fait que la majorité des Canadiens le souhaitaient⁠5. Parce qu’elle a refusé⁠6 de soutenir la décision provisoire de la CIJ selon laquelle il est plausible qu’Israël commette un génocide à Gaza. Parce que son gouvernement a mis en place un programme de visas qui est, à notre avis, discriminatoire et inhumain à l’égard du peuple palestinien, par lequel aucun habitant de Gaza n’a pu venir au Canada⁠7.

Parce que, selon un reportage⁠8 appuyé par les propos d’une porte-parole du Nouveau Parti démocratique, Mme Joly a personnellement contribué à diluer la motion adoptée par la Chambre des communes sur les restrictions d’exportations d’armes à Israël et a insisté en vain pour qu’on fasse des concessions supplémentaires jusqu’à la toute dernière minute.

Le reportage souligne également que bien qu’elle ait voté en faveur de la motion, la ministre refuse toujours d’annuler les permis d’exportation d’armes vers Israël.

Depuis l’incident du 29 mars, sept travailleurs et travailleuses humanitaires de la World Central Kitchen, dont un Canadien, ont été tués dans une horrible attaque d’Israël. Or, à nos yeux, la ministre continue de se ranger du côté des responsables de ce carnage. Elle n’a pas demandé d’enquête par une tierce partie et refuse d’employer quelque levier diplomatique que ce soit pour faire pression sur Israël.

Le membre de notre groupe a abordé Mme Joly parce que les décisions et l’inaction de la ministre encouragent Israël à continuer de commettre des atrocités à Gaza. Il l’a filmée parce que nous en avons assez de l’absence de responsabilité de nos élus sur cette question.

Lorsque les gens contactent les élus à ce sujet, ils se heurtent systématiquement au silence, à des bureaux fermés et à des appels téléphoniques et des courriels sans réponse, comme si les horreurs qui se déroulent à Gaza ne méritaient pas la plus grande attention et une action immédiate.

Soyons clairs : ce n’est pas la civilité publique qui est menacée au Québec, au Canada et dans le reste de l’Occident. C’est plutôt la moralité fondamentale de notre société qui est ébranlée par notre passivité face aux tragédies en cours à Gaza.

Depuis l’incident avec Mme Joly, les commentateurs ont gardé le silence au sujet des questions qui ont été posées à la ministre. Face à une classe politique faisant preuve d’une combinaison de négligence, d’accès privilégié aux médias et de soutien à un régime vraisemblablement génocidaire, faut-il s’étonner que des personnes aient recours à des confrontations personnelles, téléphone en main ?

1. Consultez le résumé de l’ordonnance du 26 janvier 2024 de la Cour internationale de justice 2. Lisez « Le taux de mortalité quotidien à Gaza est plus élevé que dans tout autre conflit majeur du 21e siècle » d’Oxfam 3. Lisez « Harsh Israeli rhetoric against Palestinians becomes central to South Africa’s genocide case » d’AP (en anglais) 4. Lisez « Ploughshares statement : Setting the record straight on Canada’s arms exports to Israel » (en anglais) 5. Lisez l’article « Nouveaux appels à un cessez-le-feu dans la bande de Gaza » du Devoir 6. Lisez la déclaration de la ministre Mélanie Joly 7. Lisez l’article « “Mission impossible” : Families slam Canada’s Gaza visa scheme as a failure » d’Al-Jazeera (en anglais) 8. Lisez l’article « Joly voulait adoucir la motion sur les ventes d’armes à Israël, selon le NPD » de Radio-Canada Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue