« Il a été choisi par Dieu, c’est certain ! »

Celle qui parle ainsi de Donald Trump, Marie Zere, courtière immobilière de l’État de New York, a été citée dans un texte publié par le New York Times le 1er avril dernier.

Si seulement l’article avait été un poisson d’avril…

Mais non. Cette femme est persuadée que le politicien républicain est, en quelque sorte, l’élu.

« Il survit encore alors que tous ces gens s’en prennent à lui, et je ne sais pas comment l’expliquer autrement que par une intervention divine », a-t-elle dit au journaliste.

PHOTO BRITTANY GREESON, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Des trumpistes prient lors d’un rassemblement politique, à Warren, au Michigan, en octobre 2022.

Vous tombez en bas de votre chaise ? Attendez que je vous parle, plus loin, de ce que pensent certains chrétiens évangéliques convaincus que la fin du monde approche !

Mais brossons d’abord un portrait général de la situation.

Dans le cadre de leur couverture de la course à la Maison-Blanche, plusieurs médias braquent depuis quelques semaines leurs projecteurs sur le regain d’intérêt de la droite religieuse pour la candidature de Donald Trump.

Ils décryptent aussi les façons dont le politicien courtise désormais les membres de ce mouvement avec une ferveur quasi religieuse, justement. Entre autres en terminant ses rassemblements partisans par un « appel à l’autel évangélique ».

Un quoi ?

« C’est tout à fait typique du protestantisme américain. C’est le moment où, souvent, à la fin d’un culte, on demande aux gens s’ils veulent recevoir le Christ comme sauveur personnel », m’explique André Gagné.

On a la chance d’avoir à Montréal un expert du rapport entre la religion chrétienne et la politique aux États-Unis.

André Gagné, directeur du département d’études théologiques de l’Université Concordia, se penche aussi depuis plusieurs années sur la façon dont Donald Trump s’inscrit dans cette équation complexe. Son essai sur la question, Ces évangéliques derrière Trump, vient d’être traduit en anglais, ce qui n’est pas banal.

Que des chrétiens perçoivent Donald Trump comme l’élu de Dieu ne le surprend pas le moins du monde.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

André Gagné, directeur du département d’études théologiques de l’Université Concordia

C’est quelque chose qui est mis de l’avant depuis 2015 ou 2016. Cette idée que Trump a été choisi par Dieu pour un moment tel que celui-ci, en ce sens que tout va mal en Amérique, que le christianisme perd de plus en plus son influence, que la gauche tente de museler les chrétiens, etc. Trump est vu comme le grand défenseur de la perspective chrétienne.

André Gagné, directeur du département d’études théologiques de l’Université Concordia

Je vous imagine sourciller en lisant ces lignes.

Trump ? Un homme qui a été accusé d’avoir agressé plusieurs femmes, qui fait actuellement face à quatre poursuites au criminel et dont les propos violents et outranciers font la manchette régulièrement ? Vraiment ?

Comme dirait Martin Matte : ben oui !

Car en fait, ses péchés contribuent à en faire un héros auprès d’une partie de la droite religieuse. On le compare ainsi à certaines figures mythiques comme le roi Cyrus.

PHOTO DUSTIN CHAMBERS, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Les casquettes « Make America Great Again » ne sont pas les seules à faire la promotion de Donald Trump. Nombreux sont les modèles qui présentent le 45président des États-Unis en sauveur mis de l’avant par ses partisans.

« C’est un roi du VIe siècle avant notre ère, qu’on mentionne dans la Bible, dans le livre d’Isaïe, au chapitre 45. L’idée est que Dieu a utilisé un roi païen pour libérer son peuple, les Juifs, de la captivité. »

L’expert ne mentionne pas le chapitre 45 innocemment. C’est que des évangéliques rappellent que Donald Trump a été, je vous le donne en mille, le 45e président des États-Unis.

Coïncidence ?

Pas selon certains Américains, dont Lance Wallnau, qu’André Gagné décrit comme un « entrepreneur chrétien » et qui a été l’un des premiers à populariser la comparaison. Il aurait eu une révélation de l’Esprit saint à ce sujet.

André Gagné fait remarquer qu’on a aussi comparé Donald Trump au roi David (qui a entre autres commis l’adultère), à la reine Esther, mais aussi à Jésus. Parce que certains membres de la droite religieuse considèrent qu’il est « persécuté par ses ennemis ».

Vous me permettez d’ajouter une couche à ce délire pour bien vous faire comprendre la relation symbiotique entre le candidat républicain et une partie des chrétiens ?

C’est le moment de parler de fin du monde.

Car parmi les quelque 100 millions de chrétiens évangéliques, plusieurs ont des idées bien arrêtées à ce sujet.

Certains se préparent à l’enlèvement de l’Église. Ils croient que Jésus reviendra chercher les chrétiens pour les emmener temporairement au ciel.

D’autres pensent plutôt que « leur devoir est de transformer le monde pour le Christ ». Ce n’est qu’une fois leur travail terminé qu’il viendra « prendre possession du royaume ».

On croirait une variation mystique sur le thème du Seigneur des anneaux. Mais avec des montagnes plutôt que des anneaux…

PHOTO KENNY HOLSTON, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Une participante à un rassemblement religieux auquel prend part Donald Trump attend le début de l’évènement, à Washington, en septembre 2023.

Ils estiment que les chrétiens doivent prendre le contrôle de ce qu’ils appellent les sept montagnes dans nos sociétés. « La politique, l’économie, la famille, la religion, les arts et spectacles ainsi que les médias », énumère André Gagné.

Pour ceux qui adhèrent à cette vision de la fin des temps, Donald Trump, occupe une place de choix. « Il devient le facilitateur pour que les chrétiens prennent leur place dans ces sphères », résume l’expert.

« C’est vraiment transactionnel : il met en place des politiques qui les favorisent et les aident à se positionner dans la société pour influencer les politiques », ajoute-t-il.

Bref, l’évangélisme est soluble dans le trumpisme. Et vice-versa.

À la lumière de ces explications, on comprend mieux pourquoi Donald Trump vend maintenant des bibles.

Pour faire de l’argent, mais aussi pour rappeler à ses partisans chrétiens qu’il ne les oublie pas. Multiplier les appels du pied fait partie de sa stratégie.

Mais son plus haut fait d’armes demeure bien sûr la décision historique de la Cour suprême sur la question de l’avortement il y a deux ans. Il a nommé trois des cinq juges qui ont annulé l’arrêt Roe c. Wade, qui avait rendu l’avortement légal à la grandeur du pays dans les années 1970.

Tout indique donc que les membres de la droite religieuse iront voter en grand nombre en novembre prochain et que Donald Trump continuera, d’ici là, à multiplier les pirouettes pour fouetter leur ardeur.

Reste à voir si leur dévotion sera suffisante pour permettre au candidat d’être une fois de plus l’élu… du Collège électoral.

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