À la suite du dépôt du projet de loi 56 par le ministre de la Justice, le 27 mars dernier, la réforme du droit de la conjugalité a été présentée à plusieurs reprises comme celle du « minimum », qui ne protège pas assez, qui est déjà dépassée. Cela me semble pourtant inexact. Qu’on estime que la réforme soit « correcte, mais perfectible », trop englobante, ou pas assez, il convient d’abord ici de saluer une avancée sociale majeure.

Une avancée sociale, un équilibre à atteindre

Parce que c’est bien de cela qu’il est question : une réforme attendue depuis plus d’une décennie, qui propose un équilibre délicat entre les droits et les devoirs des personnes en union de fait. Une réforme faite pour nos enfants et nos petits-enfants, qui conçoit que l’autonomie décisionnelle est une valeur sociale et juridique légitime, et qui ne présume pas que tous ceux qui y adhèrent profiteront de leur situation de conjoint dit « privilégié » au détriment du conjoint plus vulnérable.

Une réforme qui prend acte du changement important que représente la venue au monde d’un enfant dans une vie de couple et qui en fait donc l’élément central de la nouvelle définition d’« union parentale ».

Et c’est tant mieux. On sait tous qu’accueillir un enfant est porteur de bouleversements fondamentaux pour ceux qui en sont les parents. Plus que d’innombrables nuits blanches, c’est la vie personnelle, mais aussi professionnelle des nouveaux parents qui s’en trouve profondément transformée.

Et certes, cette transformation peut avoir un prix plus élevé à l’égard de la vie professionnelle de l’un des parents plutôt qu’envers celle de l’autre, ce parent étant souvent la femme.

Deux mesures phares à applaudir : le régime d’union parentale et la prestation compensatoire

Or, c’est justement ce que la réforme du ministre Jolin-Barrette veut contrer en se fondant sur deux mesures phares. D’une part, un régime de partage de biens – le patrimoine dit d’union parentale, en partie calqué sur le patrimoine familial – est créé au bénéfice des conjoints de fait avec enfants, avec un droit de s’en soustraire devant notaire.

D’autre part, la prestation compensatoire, un régime propre aux affaires matrimoniales qui vise à rétablir l’équilibre entre le conjoint qui se serait appauvri en biens ou en services à la faveur de l’autre, l’enrichi, est introduite au bénéfice de ces mêmes conjoints, sans possibilité de s’y soustraire, tout comme d’ailleurs les mesures impératives visant à protéger la résidence principale de la famille.

Une vérité de La Palice

Que ces mécanismes soient perfectibles est une vérité de La Palice : il s’agit après tout d’un projet de société qui touche à ce qu’il y a de plus important, nos familles. Ainsi, si l’exclusion des régimes de retraite du patrimoine d’union parentale peut se défendre sur le plan des principes – il ne s’agit pas d’un bien à usage familial comme le sont la résidence principale, les meubles qui s’y trouvent et les voitures utilisées par le ménage –, on ne peut en dire autant de l’exclusion des résidences secondaires.

Ce constat ne devrait toutefois pas occulter le bien-fondé du régime proposé par le législateur, qui pourra apporter les améliorations nécessaires en commission parlementaire. Ce constat vaudra d’ailleurs tout autant pour la prestation compensatoire qui, comme l’avait proposé le Comité consultatif sur le droit de la famille, pourrait être renforcée au moyen de l’instauration de barèmes de compensation, de même que de présomptions d’appauvrissement et d’enrichissement applicables lorsqu’un parent quitte, en tout ou en partie, le milieu du travail à la suite de la naissance d’un enfant.

Quant à l’absence de rétroactivité de la loi, il y aurait sans doute moyen d’imaginer une solution mitoyenne susceptible de fédérer l’ensemble des parties en cause : ne pas marier de force ceux qui ne veulent pas du mariage, et prendre acte du fait que les parents de jeunes enfants sont sans doute ceux dont le besoin de protection est le plus grand.

D’où, peut-être, l’intérêt de réfléchir à la possibilité d’appliquer la réforme aux conjoints de fait dont les enfants sont mineurs ou ont moins de 14 ans, là où les sacrifices sont plus grands.

Et ce, toujours en préservant leur autonomie, d’où une possibilité de se soustraire du patrimoine d’union parentale en étant accompagnés d’un officier de justice impartial. Une solution qu’on pourrait même éventuellement penser à importer en matière de mariage (dans une phase trois de la réforme ?), sachant que la femme, l’épouse, la mère de 2024 n’est pas celle des années 1980, et qu’elle peut aspirer, dans une perspective égalitaire, à prévoir elle-même, avec son mari, l’encadrement patrimonial de la relation qui les unira.

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