En 1999, la diffusion du film L’erreur boréale avait provoqué une onde de choc dans l’opinion publique québécoise et une prise de conscience de la façon non durable dont les forêts boréales étaient gérées. Le débat qui a fait rage par la suite avait mené à la mise en place du Forestier en chef (entité indépendante déterminant le volume de bois pouvant être récolté annuellement) et à l’établissement, en 2013, de l’aménagement écosystémique⁠1.

Ce nouvel aménagement avait comme fondement qu’en imitant la nature, nos pratiques auraient un impact similaire à celui des perturbations naturelles et qu’ainsi nous réduirions l’écart qui existait entre les forêts aménagées par l’homme et les forêts non aménagées. Une décennie plus tard, force est de constater que très peu de choses ont changé et que l’introspection que nous pensions avoir faite n’a mené qu’à des modifications de vocabulaire, sans véritable changement des pratiques sur le terrain.

Encore et toujours majoritairement axé vers la seule production de bois, notre aménagement forestier, même écosystémique, fait fi de maintenir en place l’ensemble des services rendus par la forêt publique québécoise. Nous coupons encore trop et trop souvent pour maintenir l’état et le fonctionnement des forêts aménagées proches de ceux des forêts non aménagées. Parmi les grandes différences, l’intégrité des sols est très importante, car sa dégradation implique des effets néfastes et pernicieux sur la diversité de plantes en sous-bois, la fertilité des sols et le potentiel de séquestration de carbone à long terme.

En aménageant avec un seul objectif en tête, faire pousser des arbres, nous perpétuons donc lentement, mais sûrement la dégradation de notre patrimoine forestier.

En examinant de plus près pourquoi une si bonne intention, l’aménagement écosystémique, pouvait ne pas entraîner les effets attendus sur la durabilité des écosystèmes, deux constats se sont imposés. Nous avons manqué d’humilité et avons été négligents. À titre d’exemple, le manque d’humilité s’est manifesté lorsque nous avons certifié que nous pouvions simuler la nature en pratiquant, comme nous le faisions déjà, soit des coupes totales, pour imiter un incendie, soit des coupes partielles, pour imiter un chablis.

Des indicateurs dans le rouge

Pour sa part, la négligence s’est exprimée lorsque nous n’avons pas mis en place les suivis adéquats des effets réels de ces traitements afin de les évaluer. Actuellement, notre approche de validation se résume effectivement ainsi : si le bois repousse en quantité suffisante, nous avons réussi. À titre de comparaison, cela reviendrait à évaluer la qualité de notre système d’éducation sur la seule base de la performance des élèves en mathématiques.

Pourtant, récemment, les études scientifiques se sont multipliées pour démontrer que certains indicateurs étaient dans le rouge (biodiversité, vieilles forêts, santé des sols, bois mort) et que leur inclusion au sein d’une démarche de suivi multicritères n’est pas chose impossible. Ce serait même une solution simple d’amélioration continue de nos pratiques, puisque cette approche permettrait le suivi (en visant la réduction) des écarts de fonctionnement entre les forêts aménagées et non aménagées.

Cependant, cette solution soulève aussi l’importance d’avoir sur le territoire des références adéquates pour notre comparaison. Ces références, les aires protégées, doivent être présentes en quantité suffisante sur le territoire et être suivies pour permettre d’établir les cibles à atteindre. Sans ces témoins, impossible de savoir à quelle distance sont les écosystèmes que nous aménageons par rapport à la nature et si les nouvelles pratiques que nous développons sont efficaces pour réduire les effets de notre utilisation des forêts.

1. La Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier définit l’aménagement écosystémique comme un aménagement qui vise à réduire les écarts entre la forêt aménagée et la forêt naturelle en vue d’assurer le maintien de la biodiversité et la viabilité des écosystèmes (article 4).

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