Si le gouvernement n’assure pas un financement pérenne et renouvelé pour le maintien des actifs, les opérations et le développement des réseaux de transports en commun, les sociétés de transport du Québec devront mettre la hache dans les services (ou l’équivalent, ne pas mettre en place les services requis).

Ce sera à l’inverse de ce qu’un gouvernement responsable, conscient des défis climatiques, économiques, énergétiques et sociaux ferait. Ce sera contraire à ce que la science dit quant aux multiples bénéfices et co-bénéfices d’une bonification significative de l’offre de transports en commun pour véritablement transformer la mobilité des personnes. Avec toutes les connaissances disponibles, on peut dire que ce sera un legs conscient de la Coalition avenir Québec (CAQ).

On peut mettre nos lunettes roses et rêver que les exercices actuels d’optimisation permettront de dégager les sommes requises pour faire du Québec un leader en transport, mais cela n’arrivera pas.

Ces exercices servent plutôt à gaspiller le temps de nos ressources compétentes qui cumulent des chiffres à la recherche d’économies de bout de chandelle plutôt que de réfléchir aux meilleures façons de faire des transports en commun un mode de premier choix au Québec (tant urbains qu’interurbains). Et tout cela pendant qu’on étouffe encore davantage nos sociétés de transports en commun en leur imposant un calendrier serré d’électrification de leur parc d’autobus urbains, à prix exorbitant, tout en sachant que ces autobus ne sont responsables que de 0,4 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) du Québec.

Il faudra donc choisir comment, où et quand réduire les services de transports en commun (ou ne pas les bonifier, ce qui revient, avec le temps, à la même chose), et surtout au détriment de qui. Et se questionner sur le rôle fondamental des transports en commun, en tentant, minimalement de ne pas le dénaturer.

Justice et transport

Alors qu’une équipe de chercheurs canadiens se penche justement sur la justice en transport⁠1 et s’apprête à lancer la première enquête nationale pour mieux l’évaluer, il est urgent d’opérationnaliser ce concept dans la prise de décisions aussi critiques que celles qu’il faudra prendre, faute de moyens.

Dans le contexte actuel, sur quelle base faut-il choisir quels services ne pas implanter, quels services réduire ? Quels critères sont les plus appropriés ? Faut-il réduire les services « non rentables », à l’image d’une entreprise qui ferme une succursale qui ne répond pas aux attentes des actionnaires ? Ou plutôt préserver un des rôles fondamentaux des transports en commun en faisant des coupes là où les voyageurs ont d’autres options, notamment utiliser leur propre véhicule ?

Un exercice rapide de la disponibilité de voitures privées permet d’amorcer une réflexion sur les quartiers les plus vulnérables, par choix ou par nécessité. Étudier les ratios entre nombre de véhicules privés et nombre de personnes possédant un permis de conduire permet de cibler ces quartiers où l’accès au véhicule privé est supérieur à la moyenne (voire quasi total) et là où le véhicule privé est loin d’être une option pour plusieurs.

Quel manque de jugement et de considération aurions-nous comme société de priver de transports en commun les populations sans autre option de déplacement !

En contrepartie, les quartiers bien nantis en véhicules privés pourront être sacrifiés en supposant que leur population pourra plus facilement opter pour le véhicule privé pour se déplacer, puisque c’est ce qui se passe lorsque les transports en commun ne sont pas maintenus à un niveau de compétitivité suffisant. Ne pas investir dans l’offre de services de transports en commun implique nécessairement un recours plus important au véhicule privé, avec tous les impacts négatifs que cela engendre.

IMAGE FOURNIE PAR LA CHAIRE MOBILITÉ2

Véhicule par personne en région montréalaise. Dans un contexte de coupes dans les transports en commun, les quartiers bien nantis en véhicules privés pourront être sacrifiés, en déduit l’autrice.

Ces impacts sont, de toute façon, quantifiés depuis longtemps. Si notre gouvernement choisit consciemment de ne pas investir dans les transports en commun, c’est en sachant très bien que la voiture privée sera plus présente, que les coûts individuels et collectifs de transport augmenteront, qu’on verra davantage d’accidents de la route, qu’on réduira encore le niveau d’activité physique, qu’on consommera plus d’énergie, qu’il y aura plus de congestion et de pertes de temps, qu’on consommera plus de ressources naturelles, plus d’espace, etc.

1. Consultez le site de Mobilizing Justice (en anglais)

2. Données de l’enquête Origine-Destination 2018 version 18.1bi, traitements Chaire Mobilité

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