La réforme tant attendue en matière de conjugalité est enfin déposée à l’Assemblée nationale. Le ministre de la Justice a proposé, le 27 mars, le projet de loi 56 portant sur la réforme du droit de la famille et instituant le régime d’union parentale.

Il faut saluer le courage du ministre, car beaucoup de ses prédécesseurs se sont abstenus de s’attaquer à ce dossier épineux. La proposition soulève toutefois de nombreuses questions.

Actuellement, l’union de fait ne crée ni droits ni obligations entre les conjoints. L’idée centrale du projet est de reconnaître un statut juridique aux conjoints de fait qui deviennent parents d’un même enfant après le 29 juin 2025.

Est-ce le bon critère pour identifier les couples qui méritent l’attention du droit familial ?

Bien sûr, les conjoints de fait ayant mené à terme un projet parental font preuve d’un engagement digne de l’attention du droit. Mon hésitation porte plutôt sur les unions de fait que la loi laisse de côté.

D’abord, cette réforme prospective ne concerne pas les couples qui sont déjà parents. Ensuite, elle ne changerait rien pour les nombreuses familles recomposées dont les enfants n’ont pas de lien de parenté avec les deux conjoints de fait. Pensons aussi à la personne, souvent une femme, qui prodigue des soins aux parents âgés de son conjoint de fait. Ces situations manifestent aussi un engagement significatif. Elles sont propices à l’échange de ressources et au développement d’un déséquilibre lié à la relation.

Rappelons la célèbre affaire d’Éric c. Lola. Cinq juges de la Cour suprême du Canada ont clairement reconnu l’exclusion de l’union de fait du droit familial comme étant discriminatoire, quoique constitutionnelle. Ils parlaient de toutes les unions de fait, sans isoler celles bâties autour d’un enfant commun.

Quant à l’union parentale proposée, ses effets seraient bien minces relativement à ceux du mariage. Certes, la résidence familiale des conjoints en union parentale recevrait les protections qui s’appliquent à celle des époux. À la rupture, les conjoints en union parentale partageraient un patrimoine d’union parentale. Il s’agit d’une forme amoindrie du patrimoine familial applicable aux époux, notamment parce que le patrimoine d’union parentale exclut les régimes de retraite.

Alors que les époux sont présumés sujets au partage égal de la société d’acquêts, le conjoint en union parentale pourrait tout au plus réclamer une prestation compensatoire. Ce dernier recours exige que le conjoint prouve sa contribution à l’enrichissement de l’autre et qu’il s'est appauvri en raison de la relation. Le fardeau est lourd et le résultat, incertain.

Plus inquiétant encore, le régime est marqué par l’absence de mesures qui reconnaissent l’engagement important que représente l’union parentale. Contrairement aux époux, les conjoints en union parentale ne se devront pas respect, secours et assistance. Ils ne seront pas tenus non plus de contribuer aux charges de l’union à proportion de leurs facultés respectives. En outre, ils ne se devront pas des pensions alimentaires, que ce soit durant ou après l’union.

Concrètement, même pour la sous-catégorie de conjoints de fait qu’elle vise, la réforme ne propose aucune mesure basée sur la solidarité ou qui tiendrait compte du besoin ou de la difficulté économique d’un conjoint.

Le ministre aurait pu respecter l’autonomie des conjoints de fait autrement. On pourrait le faire en appliquant les régimes matrimoniaux aux conjoints de fait, tout en leur permettant d’y renoncer par consentement. Cette solution assurerait une meilleure protection et une répartition plus juste. D’ailleurs, des enquêtes empiriques montrent la présence d’un large consensus au Québec (plus de 70 %) en faveur d’un encadrement juridique pour les couples non mariés semblable à celui des époux ⁠1.

Le Québec a longtemps attendu une réforme qui ajusterait le droit familial aux pratiques sociales qui se sont développées depuis les années 1980. Or, le projet de loi 56 risque d’instaurer un régime qui serait déjà dépassé par les pratiques et les opinions de la population.

1. Lisez « Un cadre juridique pour les unions libres au Québec ? Ce qu’en pense la population : Le cas du Québec en 2022 » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue