Si vous êtes en union libre avec votre conjoint de fait et que vous prévoyez avoir un enfant, ou bien de concrétiser un projet d’adoption, lisez bien ceci. Québec a déposé mercredi un nouveau volet de sa réforme très attendue et longuement réclamée du droit de la famille1, dans laquelle il crée un nouveau régime d’« union parentale » qui vous concerne et qui prévoit de nouveaux droits et obligations, à moins de vous en exclure.

De quoi s’agit-il ?

Dans le projet de loi 56, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, crée un nouveau régime conjugal, l’« union parentale ». Il vise les personnes vivant en union libre et qui auront des enfants ou qui en adopteront, une fois la loi adoptée.

Avec ce nouveau régime, qui entrerait automatiquement en vigueur dès l’arrivée d’un enfant dans la vie de deux conjoints de fait, les parents non mariés détiendraient un patrimoine d’union parentale constitué de la résidence familiale, des meubles de celle-ci et des voitures servant à l’usage de la famille. En cas de séparation, le partage des biens inclus dans ce patrimoine serait effectué entre les conjoints.

Les couples non mariés ayant déjà des enfants au moment de l’adoption de la loi ne seraient pas inclus dans ce nouveau régime, à moins d’en faire la demande en remplissant un formulaire simplifié. Les couples en union libre qui prévoient avoir un enfant et qui souhaiteraient s’exclure entièrement ou en partie du nouveau régime pourraient aussi le faire, mais devraient procéder par l’entremise d’un notaire.

Pour les conjoints de fait sans enfant et les gens mariés, la réforme déposée mercredi ne change rien aux règles du Code civil qui les concernent.

En l’absence de testament

Avec le projet de loi 56, le ministre Jolin-Barrette modifie également le Code civil pour qu’un conjoint de fait puisse hériter en l’absence de testament « au même titre qu’un conjoint marié » s’il est en « union parentale » (c’est-à-dire le nouveau régime conjugal) et qu’il fait vie commune depuis au moins un an avant le décès.

À l’heure actuelle, si une personne en union libre meurt sans qu’elle ait fait de testament, 100 % de ce qu’elle détient va automatiquement aux enfants. Avec la réforme proposée, en l’absence de testament, un conjoint de fait qui meurt et qui formait avant sa mort une union parentale verrait le tiers de ce qu’il possède aller vers son conjoint toujours vivant, et les deux tiers iraient aux enfants.

Compenser un appauvrissement économique

La réforme déposée par Simon Jolin-Barrette prévoit aussi accorder « aux conjoints [de fait], après la fin de l’union parentale, le droit de faire une demande de prestation compensatoire au tribunal s’ils estiment s’être appauvris après avoir contribué à l’enrichissement du patrimoine de l’autre conjoint ». Le montant de la compensation serait alors calculé « en fonction de la valeur marchande des biens et des services reçus », précise-t-il.

En matière d’obligations alimentaires, les couples formant une « union parentale » après l’adoption de la loi n’auraient pas d’obligations l’un envers l’autre en cas de séparation. Par contre, « les parents – sans égard à leur situation conjugale – doivent subvenir aux besoins de leurs enfants et pourraient être tenus de payer une pension alimentaire pour enfants ».

Pour contrer la « violence judiciaire en cas de séparation », le projet de loi 56 prévoit également des mesures pour éviter que « certains ex-conjoints […] multiplient les procédures judiciaires devant le tribunal afin d’étirer la durée du litige en matière familiale [et maintiennent] une forme de contrôle sur l’ex-conjointe ou l’ex-conjoint ».

Le Québec, distinct sur le plan du couple

Selon Simon Jolin-Barrette, « le statu quo n’est plus possible » dans le contexte où le pourcentage d’enfants nés hors mariage au Québec est passé de 14 % en 1980, lors de la dernière grande réforme, à 65 % en 2021. Sur cette même période, les couples vivant en union libre ont bondi de 8 % à 42 %, alors que la proportion de couples mariés a fondu de 92 % à 58 %. Aucun autre État dans le monde n’affiche à ce jour une proportion aussi élevée d’unions libres (le pays le plus proche est la Suède, avec 33 %).

« Lorsqu’un enfant vient au monde, la dynamique familiale change. Tous les parents s’entendront pour dire qu’il y a un avant et un après les enfants. Dès lors, la question ‟qu’advient-il si nous nous séparons ?” prend une tout autre dimension », a-t-il justifié.

Le ministre de la Justice a également affirmé que le nouveau régime d’union parentale ne s’applique pas pour les parents en union libre qui ont déjà des enfants parce qu’il ne peut « pas refaire le passé », que ces personnes « ont organisé leur vie et c’était un choix au moment où ils ont eu des enfants », mais aussi parce que « l’autonomie décisionnelle est au cœur de notre droit civil » et qu’il est « hors de question de marier les gens de force au Québec ».

Le contexte

Cette nouvelle étape charnière de la réforme du droit de la famille, qui n’a pas été révisé en profondeur depuis 1980, est entamée plus de 10 ans après le célèbre jugement Éric c. Lola de la Cour suprême. Elle vise à moderniser le Code civil sur les enjeux de conjugalité, dans le contexte où les conjoints de fait n’ont actuellement aucun droit ni aucune obligation au Québec.

À l’époque, Lola avait contesté le régime québécois pour les conjoints de fait. Elle alléguait que celui-ci était discriminatoire, comparativement aux dispositions prévues pour les gens mariés. Dans un jugement extrêmement serré à cinq juges contre quatre, le plus haut tribunal du pays avait finalement jugé que les dispositions du Code civil n’étaient pas inconstitutionnelles, mais invitait tout de même le législateur québécois à corriger la situation.

1. Lisez « Québec veut créer un nouveau régime d’union parentale »