La récente histoire de ce harceleur à qui l’IVAC a versé des indemnisations⁠1 en a choqué plus d’un. Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, s’est d’ailleurs empressé de qualifier cette situation d’inacceptable. Une faille tout aussi inacceptable est celle de la SAAQ qui indemnise des automobilistes reconnus criminellement responsables d’un accident. La différence ici, c’est qu’on ne parle pas de fraude, mais d’un système public, en place depuis 1978.

Le 17 août 2022, en début d’après-midi, je roulais tranquillement sur un chemin longeant le fleuve en Montérégie. Dans cette zone de 50 km/h, près de chez moi, je n’étais pas pressée. Tout le contraire d’un jeune automobiliste, en sens inverse, dont l’odomètre oscillait entre 100 et 148 km/h. Il fuyait la police⁠2.

Dans une courbe assez prononcée, que j’ai prise à 36 km/h, selon le rapport d’enquête, il a dévié dans ma voie et m’a percutée de plein fouet.

Sa voiture a pris feu. J’ai été prisonnière de la mienne 30 minutes, inconsciente, brisée de partout. Dans un état critique tous les deux. Il a écopé d’une peine de deux ans et deux mois. La mienne, comme celle de beaucoup d’autres victimes, est indéterminée : une carrière d’enseignante au secondaire encore impossible à pratiquer, un corps endolori, des séquelles d’un traumatisme crânien, un trouble anxieux généralisé découlant d’un stress post-traumatique, mais, également, une envie de mordre dans la vie et de prendre un nouveau départ. Je l’ai échappé belle, somme toute.

Le non-sens du no fault

Si j’ai fait la paix avec l’auteur de l’accident, il en va autrement du régime « no fault ». Le gouvernement ne tolérerait jamais qu’une personne qui se blesse en commettant un crime reçoive une indemnité ; si elle est en voiture, oui. Un non-sens.

Par ailleurs, quand la vraie victime n’est plus considérée comme un « cas aigu », adieu le remboursement des frais pour la psychothérapie, la physio, etc., alors que les besoins peuvent se prolonger, voire perdurer.

S’ensuit une bataille pour prouver la nécessité des traitements et espérer récupérer une partie des dépenses pour ceux qui n’ont pas d’assurance privée. La plupart du temps, l’issue est négative. Ne reste plus que le tribunal administratif vers lequel se tourner. Plusieurs abdiqueront, faute d’énergie ou de moyens.

Dernièrement, j’ai dû me battre pour qu’on me rembourse une plaque occlusale censée diminuer la tension sur les articulations temporo-mandibulaires. L’argument invoqué pour refuser ? Mon antécédent d’arthrose à la mâchoire. Les frais ne sont pas reliés à l’accident, m’a-t-on répondu. Vraiment ? Et ma tête, qui a été projetée vers l’avant, puis vers l’arrière avec suffisamment de force pour fracturer l’os occipital ? Et le fait que je vivais très bien sans plaque avant ce brutal évènement ? Les critères sont les critères. Retenez ceci : mieux vaut être en parfaite santé avant un accident.

À quand un gouvernement qui éliminera le dédommagement aux criminels pour offrir une meilleure couverture aux vraies victimes ? Marc Bellemare, avocat et ancien ministre de la Justice, l’espère depuis bon nombre d’années. Ce serait déjà un bon pas en avant pour tous ces gens qui luttent pour se reconstruire, pour retrouver un sens à leur vie. Pour l’heure, j’ai troqué le tribunal administratif pour le tribunal populaire. Probablement une goutte d’eau dans l’océan, mais un exutoire nécessaire dans mon processus de guérison. En attendant que les décideurs politiques corrigent cette injustice, j’apprivoise ma nouvelle réalité en célébrant chaque petite victoire, la tête haute.

1. Lisez « Victime de l’IVAC »

2. Un autre débat serait celui des poursuites policières en milieu résidentiel.

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