Le déficit budgétaire de 11 milliards de dollars annoncé par le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, pour 2024-2025 a provoqué des clameurs de déficit « record », « en explosion » et « historique ». Au point où le premier ministre François Legault s’est senti obligé d’intervenir lui-même afin de soutenir son ministre des Finances et de calmer les esprits.

Nous désirons soutenir ici deux affirmations sur le déficit annoncé. Premièrement, le premier ministre a eu raison de relativiser la taille du déficit. Deuxièmement, bien que gérable, le rééquilibrage budgétaire va néanmoins être particulièrement exigeant dans les années à venir.

Le déficit n’est pas excessivement élevé

Il y a deux choses à préciser sur la taille du déficit annoncé. Tout d’abord, selon la norme comptable universellement reconnue et appliquée par toutes les provinces canadiennes, le vrai déficit budgétaire est simplement égal à l’excédent des dépenses courantes sur les revenus du gouvernement. Selon cette norme, le déficit prévu par le ministère des Finances du Québec pour 2024-2025 est de 7,3 milliards de dollars, et non pas de 11 milliards.

Le chiffre de 11 milliards ajoute aux 7,3 milliards les « provisions pour éventualités » (une épargne de précaution) et les revenus versés au Fonds des générations (un placement financier), comme si des épargnes équivalaient à des dépenses.

Cette pratique comptable singulière du Québec, qui consiste à gonfler ainsi son déficit budgétaire officiel, sert à le rendre conforme à une prescription de sa Loi sur l’équilibre budgétaire. Mais elle a malheureusement pour effet de semer partout la confusion. En bon comptable, le premier ministre a eu raison de clarifier la situation.

Une seconde précision est essentielle. Quand on veut juger du fardeau que la dette ou le déficit impose à une personne ou à une organisation, le bon sens commande de présenter la dette ou le déficit en pourcentage de sa capacité de payer les intérêts et de rembourser le capital emprunté. Or, dans le cas d’un gouvernement, la capacité de payer se mesure par le revenu total de ses contribuables, c’est-à-dire le PIB.

Ainsi, le fardeau estimatif du déficit de 7,3 milliards supporté par le Québec en 2024-2025 va équivaloir à 1,2 % de son PIB, qui est prévu à 590 milliards en 2024. Ce fardeau n’est pas négligeable, mais il est gérable et en partie passager. Il est deux fois moins important que le déficit encaissé en moyenne par le gouvernement du Québec au cours des 20 années de 1978 à 1997, et en particulier quatre fois moins important que celui de 1980.

Rééquilibrer le budget va cependant être exigeant

Le ministre Girard a dit vouloir non seulement éliminer le déficit budgétaire d’ici à 2028-2029, mais aussi aller plus loin en visant un niveau de revenus qui dépasserait celui des dépenses courantes de 2,7 milliards. Ce dernier montant, qui est une épargne, servirait à financer les versements au Fonds des générations qui sont prescrits pour alléger le poids de la dette. C’est donc ni plus ni moins une inversion de 10 milliards de dollars du solde budgétaire courant, soit d’un déficit de 7,3 milliards à un surplus de 2,7 milliards, que le ministre envisage pour 2028-2029.

Pour réaliser cet objectif, deux conditions seront nécessaires. D’une part, il devra s’appuyer sur un bon contrôle de ses dépenses et espérer une remontée de ses revenus avec le retour de l’environnement économique à la normale. Sur cette base, le ministère des Finances estime que le déficit budgétaire courant pourrait diminuer à 1,8 milliard d’ici 2028-2029. D’autre part, pour transformer ce déficit restant de 1,8 milliard en surplus de 2,7 milliards, il aura inévitablement besoin de mesures budgétaires additionnelles de l’ordre de 4,5 milliards (1,8 plus 2,7).

Il lui faudra combiner un « ménage » dans les dépenses, une hausse des recettes fiscales et, Dieu aidant, une hausse des transferts fédéraux. Rien de tout cela n’est gagné d’avance, surtout si on part avec l’idée qu’on ne plongera pas les dépenses dans une nouvelle ronde d’austérité et que le poids des impôts et taxes ne doit pas augmenter.

Une façon élégante de s’en sortir serait de mettre fin aux versements annuels obligatoires au Fonds des générations et au ciblage de la dette qui, lui, est constamment reporté.

Il ne resterait alors qu’à éliminer le déficit budgétaire de 1,8 milliard et à laisser la dette évoluer de manière à financer un programme responsable d’accélération des investissements en infrastructures. Léguer à nos enfants des actifs infrastructurels en bon état est, bien évidemment, absolument essentiel.

Nous estimons donc que le budget Girard est un budget responsable dans les circonstances et que, oui, le rééquilibrage budgétaire sera exigeant, mais que les épouvantails hissés par les Cassandre n’ont pas leur raison d’être.

*Jean-Pierre Aubry, ex-cadre de la Banque du Canada, et David Dupuis, responsable des études de premier cycle en économie, Université de Sherbrooke

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