« On doit effectivement regarder pour continuer à baisser, dans un troisième mandat, les impôts des Québécois parce que les impôts au Québec sont dans le plafond et ça nuit à l’économie. » — François Legault

En marge du budget déposé la semaine dernière, le premier ministre François Legault s’est fait demander s’il avait toujours l’intention de baisser les impôts au cours d’un troisième mandat caquiste s’il est réélu en 2026.

Oui, a-t-il répondu. « Parce que les impôts au Québec sont dans le plafond et [que] ça nuit à l’économie », a-t-il dit en point de presse.

Premièrement, ça dépend de quel plafond on parle.

C’est vrai, le Québec a le fardeau fiscal le plus élevé parmi les 10 provinces canadiennes. Mais à l’international, le fardeau fiscal québécois n’est pas « dans le plafond », il arrive plutôt au 11e rang sur 32 États développés de l’OCDE (incluant le Québec), selon le classement de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.

Mais c’est la deuxième partie de l’affirmation de M. Legault, sur les impôts qui « nuisent à l’économie », qui est la plus intéressante.

François Legault n’est pas le premier politicien à vouloir baisser les impôts parce qu’il estime qu’un fardeau fiscal élevé nuit à l’économie.

Il y a un problème avec cette affirmation : c’est faux.

Contrairement à ce qui est souvent véhiculé par ceux qui prônent des baisses d’impôt, un fardeau fiscal moins élevé ne signifie pas nécessairement une plus grande croissance économique.

Au contraire, les pays avec un fardeau fiscal plus élevé sont généralement plus riches et ont connu une meilleure croissance économique depuis 2000.

« La preuve de cette théorie [baisse d’impôt = croissance économique] est extrêmement faible. Ce qui stimule la croissance, ce sont les investissements. La fiscalité n’est pas un facteur déterminant des investissements tant que les taux d’imposition sont raisonnables et non répressifs », m’expliquait le réputé économiste Tim Besley, professeur à la London School of Economics, en entrevue il y a un an dans le cadre d’un reportage sur les impôts et le bonheur publié dans La Presse1.

Les résidants de pays avec un fardeau fiscal plus élevé sont généralement plus heureux, entre autres parce qu’ils ont un meilleur filet social. Mais ce n’est pas tout : en moyenne, ils sont aussi plus riches et vivent dans des pays avec une plus grande croissance économique, ai-je constaté en analysant, aux fins du même reportage, les données économiques de 25 pays séparés en trois groupes selon leur fardeau fiscal (lourd, moyen et léger).

Si vous avez un fardeau fiscal plus lourd, vous pouvez financer davantage d’investissements publics qui sont importants pour la croissance économique, comme le système d’éducation, les infrastructures et le système judiciaire.

Tim Besley, professeur à la London School of Economics

Bien sûr, il y a des pays de tous les niveaux de fardeau fiscal qui sont riches avec une économie florissante. Sur un groupe de 24 pays similaires, le Danemark (fardeau fiscal le plus élevé sur 24 pays), les Pays-Bas (9e fardeau fiscal, soit près du milieu) et les États-Unis (fardeau fiscal le moins élevé) sont tous parmi le top 5 des pays les plus riches.

Mais en moyenne, les pays plus riches ont un fardeau fiscal plus lourd.

Dans une étude publiée en 2016, les économistes William Gale (Brookings Institution) et Andrew Samwick (Darmouth College) se sont aussi demandé si les baisses d’impôt favorisaient la croissance économique. Leur conclusion : « l’impact net [des baisses d’impôt] sur la croissance économique est incertain, et beaucoup estiment que l’impact est soit petit ou négatif », écrivent-ils⁠2. Ces deux économistes ont chacun agi comme conseiller économique auprès d’un président républicain, George H. W. Bush et son fils, George W. Bush.

Un politicien voulant baisser les impôts dira aussi souvent que les baisses d’impôt se paient toutes seules grâce à la croissance économique qu’elles génèrent.

Ça aussi, c’est faux.

Quatre économistes viennent de publier une recherche détaillée sur les baisses d’impôt aux entreprises accordées par Donald Trump aux États-Unis en 2017. Les républicains prétendaient que ces baisses d’impôt se paieraient toutes seules grâce à la croissance économique. Ce n’est pas ce qui s’est produit : le gouvernement a renoncé à 41 % des contributions fiscales des entreprises visées par les baisses d’impôt, et la croissance économique générée par les baisses d’impôt a ajouté 2 % de contributions fiscales. En fin de compte, le gouvernement a renoncé à 39 % de l’assiette fiscale des entreprises visées⁠3 4.

En conclusion, le fardeau fiscal semble avoir seulement une influence modeste sur la croissance économique. Et ce sont généralement les États avec un fardeau fiscal élevé qui sont les plus riches et qui bénéficient d’une meilleure croissance économique.

Rappelez-vous-en la prochaine fois qu’on vous dira qu’il faut baisser les impôts parce que ça va aider l’économie.

Diminuer les impôts n’est pas une stratégie de développement économique. C’est un choix de société.

Si on diminue les impôts, on aura un État et des programmes sociaux moins importants.

Diminuer les impôts tout en maintenant les services publics, c’est impossible à long terme, à moins d’augmenter le déficit et la dette.

Le gouvernement Legault est en train d’en faire la démonstration.

1. Lisez le dossier « Des impôts qui font votre bonheur », de Vincent Brousseau-Pouliot 2. Consultez l’étude des économistes William Gale et Andrew Samwick (en anglais) 3. Consultez l’étude de quatre économistes américains (en anglais) 4. Lisez un article du New York Times (en anglais ; abonnement requis) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue