Il y a maintenant trois ans, le 7 mars 2021, je célébrais dans les pages de La Presse la bienveillance des gens qui travaillaient auprès de ma mère dans un CHSLD, pendant la pandémie1. Ces derniers avaient mis à notre disposition des masques à travers lesquels on voyait notre bouche. Quelle délicatesse ! Un petit plus qui me permettait de mieux communiquer avec ma mère, atteinte d’alzheimer et qui avait des problèmes de surdité.

Je croyais alors, à tort, qu’il ne lui resterait plus beaucoup de temps à vivre ainsi. Dans cette réalité entre deux eaux, entre deux mondes. Et je prenais toutes ces petites attentions comme autant de miracles de bonté. Des anges gardiens d’un milieu en périphérie du monde hospitalier, sans issue autre que la mort.

Or, aujourd’hui, ma mère est toujours au même endroit, toujours entourée des soins d’une équipe extraordinaire.

En cette date du 7 mars de l’an 2024, trois ans plus tard, de nouvelles dispositions du projet de loi 11 entrent en vigueur aujourd’hui et rendent maintenant accessible l’aide médicale à mourir (AMM) dans le cas de déficiences physiques graves… C’est un pas de plus dans la bonne direction et dans le traitement humain que nous avons la possibilité d’offrir à nos proches qui souffrent.

Mais… Mais on ne saura vraisemblablement pas avant 2025 si les personnes atteintes de la maladie qui touche ma mère pourront bel et bien faire une demande anticipée d’AMM.

Une aide qui n’est pas accessible aux gens comme ma mère, déjà trop avancés dans la maladie pour pouvoir demander l’AMM parce que dans l’incapacité à donner un consentement éclairé. 2025, ce n’est pas loin, direz-vous.

Au contraire. Il y a urgence d’agir.

On n’a qu’à penser au combat que mène avec beaucoup d’éloquence et de dignité Sandra Demontigny pour avoir accès à une fin de vie respectueuse alors qu’elle se sait condamnée, souffrant elle-même d’alzheimer précoce. Comme son père avant elle.

S’éteindre à petit feu

Je vois ma mère s’éteindre à petit feu depuis plus de cinq ans déjà. Cinq ans. Je la nourris maintenant à la petite cuillère, tous les week-ends, en compagnie de mon père… Je la vois avaler de plus en plus difficilement chaque cuillerée de purée de pâtes à spaghetti épaissie pour en faciliter la déglutition.

Je l’ai vue passer d’une marchette à un fauteuil roulant à un lit/fauteuil roulant… Je l’ai vue fondre et s’éteindre littéralement. Un glissement sans fin vers sa fin, au ralenti.

Quelle tristesse, alors que Lucie, ma maman, a toujours été une femme d’un grand dynamisme. Une femme qui en menait large et qui était appréciée de tous, pour sa vitalité justement. Une enseignante à l’école primaire qui a tout donné aux « petits cocos » qu’elle affectionnait tant. Elle a enseigné à tous les niveaux, de la maternelle à la sixième année.

Elle a appris à « ses » enfants à compter, à lire, à dessiner, à jouer… Elle les a portés et convaincus qu’ils pouvaient déplacer des montagnes.

Lucie, descendante irlandaise au tempérament bien trempé, qui m’a aimée comme seule une maman sait aimer.

J’ai hâte qu’on trouve une solution pour guérir cette maladie ignoble et crève-cœur. On y parviendra, j’en suis certaine ! Mais d’ici là, il faut apprendre à vivre avec. Avec cette longue descente vers l’inéluctable. Avec ce deuil blanc qui fend le cœur et l’âme de ceux qui restent…

J’ai essayé tant bien que mal de me convaincre qu’elle est heureuse malgré tout dans sa nouvelle réalité. Je suis entrée dans son monde, pour la rejoindre là où elle erre mentalement. Une nouvelle dimension qui change au gré des pertes et des écueils qui viennent avec cette compagne non sollicitée qu’est cette fatalité de l’oubli.

Mais la vérité c’est que je n’y parviens pas. Je sens, à travers ses quelques moments trop rares de lucidité, qui traversent son regard bleu pâlissant, qu’elle souffre.

Pouvons-nous, collectivement, avancer en priorité vers un accès facilité à l’AMM anticipé ?

Trop tard pour elle, j’en conviens. Mais qu’importe, on peut et on a le pouvoir et les connaissances de changer les choses. Pour les personnes atteintes et pour leur famille.

Parce qu’en bout de piste, c’est aussi eux qui souffrent. N’ayons pas peur de le nommer et de faire évoluer les mentalités.

1. Lisez « Photoreportage : votre année en pandémie » 2. Lisez « Je perds la mémoire, mais je ne veux pas perdre ma dignité » Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue