Au milieu des batailles linguistiques qui déchirent le Québec, une vérité financière désagréable est souvent perdue de vue : le Québec ne peut prospérer dans l’économie mondiale si les Québécois d’expression anglaise – environ 15 % de sa population – ne trouvent pas pleinement leur place sur le marché de l’emploi.

Pourtant, dans le budget provincial présenté la semaine dernière, une omission flagrante menace de miner l’avenir économique de la province : une absence de nouveau financement pour améliorer le niveau d’emploi de 1,2 million de Québécois d’expression anglaise.

À l’heure où la communauté d’expression anglaise se sent assiégée par des lois linguistiques de plus en plus sévères et par la suppression du financement des universités anglophones, investir dans l’employabilité des Québécois d’expression anglaise pourrait permettre d’améliorer considérablement les relations avec la communauté, de favoriser l’accroissement de la diversité sur les lieux de travail et de renforcer la performance économique du Québec dans le Canada et sur la scène internationale. Cela contribuerait également à accomplir la mission existentielle principale du Québec : assurer l’avenir de la langue française.

La prospérité des Québécois d’expression anglaise est essentielle pour l’avenir de l’économie de la province. Ils représentent environ 16 % de la population active du Québec, et presque le quart de la population en situation de chômage.

Pourtant, dans son budget 2024-2025, le gouvernement n’a pas alloué de nouveaux fonds aux services d’emploi pour environ 700 000 Québécois d’expression anglaise sur le marché du travail, une occasion manquée de stimuler la productivité du Québec et de renforcer une population qui pourrait devenir un moteur de croissance.

Malgré le stéréotype erroné de l’anglophone aisé vivant dans son isolement doré à Westmount, la grande majorité des Québécois d’expression anglaise sont favorables à la protection de la langue française et sont désireux de participer de façon productive à l’économie québécoise. Néanmoins, leur situation se détériore dans presque tous les indicateurs économiques.

Lors du recensement de 2016, le taux de chômage des Québécois d’expression anglaise était d’environ 7 %. En 2021, il avait grimpé à près de 11 %, soit 4 points de pourcentage de plus que chez les francophones. Les Québécois d’expression anglaise sont aussi disproportionnellement plus précaires : 10 % d’entre eux vivent dans la précarité, contre environ 6 % des francophones. Leur revenu médian d’emploi annuel – 32 000 $ – est inférieur de 5200 $ à celui des francophones.

Selon nos calculs des données extraites du recensement de 2021, la Table ronde provinciale sur l’emploi estime que la réduction de l’écart du chômage entre les Québécois d’expression anglaise et les francophones ajouterait près de 28 000 travailleurs à l’économie du Québec. Cela aiderait à pourvoir une partie des emplois vacants dans une province caractérisée par un taux de natalité en déclin et une population vieillissante.

Diversité des milieux de travail

La valorisation de la communauté d’expression anglaise en emploi contribuerait également à améliorer la diversité sur le lieu de travail. Contrairement à l’idée que cette communauté consiste en un groupe homogène descendant des colons britanniques, un tiers représente en fait des minorités visibles comme les Noirs et les Asiatiques, et comprend également une importante population autochtone. Il s’agit là aussi d’un avantage économique pour le Québec. De fait, une étude récente⁠1 du cabinet de conseil mondial McKinsey démontre que, dans un monde de plus en plus globalisé et numérique, les entreprises qui intègrent la diversité culturelle dans leur main-d’œuvre obtiennent de meilleurs résultats financiers.

Pourtant, en dépit de l’intérêt économique du Québec à orienter les Québécois d’expression anglaise vers le marché du travail, les programmes d’enseignement du français sur les lieux de travail sont inadéquats pour les aider à entrer et à rester sur le marché du travail.

Parallèlement, le Québec fait face à un défi de rétention de milliers de diplômés d’expression anglaise dans les domaines des sciences, de la santé, de la technologie et d’autres secteurs recherchés, qui risque de les faire fuir la province, par le fait qu’ils craignent les obstacles liés à la maîtrise du français.

Dans son budget, le gouvernement du Québec prévoit d’investir 320 millions de dollars sur cinq ans afin de bonifier Francisation Québec pour mieux répondre à la demande croissante en francisation et financer l’apprentissage du français, notamment en offrant aux adultes des services d’apprentissage du français en personne, en ligne et sur les lieux de travail.

Néanmoins, les services offerts présentent encore de grandes lacunes, en particulier un manque de coordination entre la formation en français et les programmes ciblés de soutien à l’emploi. L’adoption de ces programmes par les employeurs et les ordres professionnels s’est avérée également très longue.

Des fonds pour les services d’emploi

Le gouvernement devrait également consacrer davantage de fonds aux services d’emploi qui ciblent la communauté d’expression anglaise, par exemple, la préparation aux entrevues d’emploi en français. Le gouvernement du Québec ne consacre qu’environ 3 % de ses fonds en services d’emploi, soit 7 millions de dollars, pour les fournisseurs de services d’emploi qui soutiennent directement la communauté d’expression anglaise. En outre, si les prestataires de services d’emploi avaient la capacité d’offrir des conseils en matière d’emploi dans plusieurs langues et de les combiner à une formation en français, un plus grand nombre de travailleurs potentiels seraient en mesure d’accéder au marché du travail.

Les talents des Québécois d’expression anglaise devraient être mis à profit pour aider la province à réussir. S’ils échouent, le Québec échoue aussi.

L’année dernière, le gouvernement du Québec a établi Francisation Québec et a financé l’apprentissage du français, notamment en offrant aux adultes des services d’apprentissage du français en personne, en ligne et sur les lieux de travail.

Dans le présent budget, le gouvernement prévoit un investissement additionnel de 320 millions de dollars sur cinq ans pour répondre à la demande croissante en francisation. Cependant, sans un plan d’action en emploi ciblé pour les Québécois d’expression anglaise, ces investissements ne suffiront pas pour améliorer l’employabilité de ces derniers.

1. Lisez l’étude « Delivering through diversity » (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue