La grande question à laquelle le nouveau budget du Québec ne semble pas vouloir répondre

Mardi soir, à la suite du dépôt du budget du ministre Eric Girard, j’étais dubitatif.

Les mesures concrètes pour le développement du logement social et la lutte contre la pauvreté semblaient absentes ou insuffisantes, malgré les besoins criants. Je me suis aussi rappelé que le très attendu plan de lutte contre la pauvreté de la ministre de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire doit être déposé bientôt. Il faudra évidemment attendre la fin de l’étude des crédits pour mieux comprendre les engagements gouvernementaux, ainsi que le dévoilement des plans d’action en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale et d’habitation.

Mais en ce lendemain de veille, ma réflexion se situe ailleurs.

En bon économiste, le ministre Girard a fait des choix marqués en grande partie par des compromis qu’on imagine douloureux.

Mais si je me fie à ce que j’entends sur le terrain, le secteur communautaire vit une situation très problématique : les revenus n’augmentent pas au même rythme que les besoins, et les dépenses explosent. Dans le cas du budget déposé mardi, ce qui m’inquiète le plus est aussi structurel : sans une hausse substantielle de ses revenus, le gouvernement aura des décisions difficiles à prendre, au cours des prochaines années. Lire ici : faire des coupes dans les dépenses de l’État.

Sans trop anticiper l’avenir, je dois prévenir immédiatement que nous devons tout faire pour ne pas accroître encore davantage la pression sur le secteur communautaire. Les investissements du gouvernement dans le secteur communautaire devront être augmentés ou à tout le moins maintenus, et non pas réduits.

Ce matin, je relisais mes notes de rencontres récentes avec des dirigeants d’organismes communautaires. Je vous en cite quelques passages pour vous donner une idée :

« La moitié des employés de ma banque alimentaire en sont devenus des utilisateurs. »

« Nous avons rencontré, dans le cadre de nos interventions, une dame de 67 ans qui venait de se faire évincer de son loyer. Si nous n’avions pas été là, elle se serait retrouvée à la rue. »

« J’aimerais bien que quelqu’un m’explique ce que fait un demandeur d’asile dans un refuge pour personnes itinérantes. »

« Mon organisme a un budget de 350 000 $. Avec ça, je dois payer mon local et les salaires. J’ai quatre employés à temps plein et deux à temps partiel. Fais le calcul… En pleine pénurie de main-d’œuvre, penses-tu que je suis compétitif avec mon offre salariale ? »

« J’ai embauché une personne qui me demandait 3 $ l’heure de plus que ce que j’avais budgété. Cette embauche aura un impact sur l’équité salariale, car je devrai ajuster les salaires des autres intervenants. J’ai dit à mon C.A. : c’est ça ou ma santé mentale. »

« On aide de plus en plus de demandeurs d’asile, à LaSalle et à Lachine. Je dirais que les gens s’y sont déplacés dans le but de trouver un logement plus abordable que dans les quartiers centraux. L’impact pour nous est une augmentation significative des demandes de dépannage alimentaire. »

« Je dirige un organisme qui fait de la francisation, pas un organisme de recherche d’emploi ou de logement, ou encore spécialisé dans le remplissage de formulaires pour obtenir la carte d’assurance maladie ou d’autres services gouvernementaux. »

Il est tout de même instructif de comprendre la réalité du secteur communautaire. Nous devons y ajouter des données quantitatives afin de bien comprendre la situation actuelle, nous fixer des objectifs, nous mesurer et ajuster les politiques publiques. Bref, ces indicateurs nous aideront à comprendre de quel côté l’aiguille de la dignité se déplace.

Ce qui me tracasse, c’est que les revenus des ménages sont en croissance. À l’exception des personnes assistées sociales, les revenus de presque tous les types de ménages ont augmenté plus rapidement que l’inflation, depuis cinq ans.

L’énigme est la suivante : comment se fait-il, alors, qu’environ 20 % de la population se retrouve pourtant en situation de vulnérabilité ?

Ce pourcentage, qui vaut autant pour le Grand Montréal que pour l’ensemble du Québec, soit dit en passant, est à la hausse depuis des années.

Voici donc un premier indicateur qui démontre que nous ne sommes pas sur la bonne voie. C’est un appel à dénouer les systèmes générateurs de pauvreté, d’exclusion et d’inégalités sociales. Dans cette lutte, le saupoudrage d’investissements ne permettra que d’affronter les crises, pas de s’attaquer à leurs causes profondes.

Alors, on fait quoi ?

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