L’hiver semble déjà sur le point de se terminer mais pour plusieurs les difficultés se poursuivront dans les mois à venir : insécurité et endettement face au coût élevé de la vie, activités plus restreintes et isolement, en particulier pour les personnes nouvellement arrivées au Québec ou à mobilité réduite, une crise du logement et des évictions qui ne s’amenuisent pas.

Pour beaucoup, le soutien offert par les membres de leur famille, amis et voisins constitue un des seuls remparts contre ces difficultés, jusqu’à l’arrivée de jours meilleurs.

Pour plusieurs Montréalaises, la seule personne qui brisera l’isolement au quotidien est Hélène Bertocchi, intervenante offrant du soutien aux femmes ayant quitté la maison d’hébergement Logifem dans les deux dernières années.

De temps en temps, Hélène passera chez elles pour jaser, les aidera à remplir le formulaire nécessaire pour obtenir des soins de santé, les accompagnera dans les démarches pour conserver leur logement.

À Montréal, plusieurs dizaines de maisons d’hébergement accueillent les femmes qui, pour une raison ou une autre, n’ont plus d’endroit sécuritaire où aller, de même que les enfants et les adolescents qui les accompagnent. Les ressources d’hébergement permettent aux femmes et à leurs enfants de répondre à leurs besoins de base dans un milieu de vie sécuritaire. Toutefois, pour plusieurs, la sortie d’une ressource d’hébergement représente un moment de transition important pouvant fragiliser leur situation et entraîner un retour vers l’instabilité résidentielle, l’itinérance ou la violence.

Situation de vulnérabilité

Plusieurs études indiquent qu’entre 23 % et 46 % des femmes quittant un milieu d’hébergement se retrouvent dans une situation résidentielle dangereuse ou temporaire, ce qui les place à nouveau en situation de vulnérabilité. Environ la moitié des femmes qui quittent une maison d’hébergement retournent dans ce milieu dans l’année qui suit leur départ. Le soutien post-hébergement offert par toutes les « Hélène » améliore la probabilité que ces femmes conservent une situation en logement stable et sécuritaire.

PHOTO FOURNIE PAR LOGIFEM

L’intervenante Hélène Bertocchi offre du soutien aux femmes qui ont quitté la maison d’hébergement Logifem.

Un déménagement à la fois, Hélène est aux côtés d’une femme pour accueillir la camionnette qui déposera ses boîtes et ses effets personnels dans son nouveau chez-soi.

La présence bienveillante de cette intervenante, son écoute devant les émotions que fait inévitablement surgir un déménagement, les conflits qu’elle réussit à apaiser avec leur propriétaire, son aide pour faire valoir leurs droits ou pour retourner aux études, voilà un service vital qui ne se retrouve pourtant dans aucun plan d’action en matière de lutte contre l’itinérance ou la violence.

Cette absence est le fruit de politiques publiques et sociales ne tenant généralement pas compte du genre et de tous ces petits gestes qui font une réelle différence – politiques souvent rédigées sans prise en compte de la voix et des priorités des femmes en situation de précarité. Il est impératif de reconnaître, de développer et de financer le soutien post-hébergement comme une pratique à part entière qui permet de prévenir l’itinérance et la violence faite aux femmes.

En 2024, le travail d’Hélène et de toutes les autres intervenantes en post-hébergement est menacé. Le financement des maisons d’hébergement, par programmes et non récurrent, ne leur permet pas d’assurer un contrat à long terme à toutes les Hélène de Montréal et du Québec. L’adoption du projet de loi 31 diminuera encore la capacité des femmes qui quittent un milieu d’hébergement à trouver un logement qu’elles puissent se payer.

Le travail des Hélène, silencieux, invisible, loin des projecteurs ou des salles d’opération, sauve tout de même des vies. Il éloigne la violence et la rue du quotidien des femmes. Il désengorge les urgences et les centres de crise. Reconnaissons ce travail immense et nécessaire en le finançant adéquatement.

*Cosignataires : Marie-Eve Desroches, Table des groupes de femmes de Montréal ; Georges Ohana, directeur, prévention de l’itinérance, Mission Old Brewery ; Larissa Meira Spinelli, coordinatrice administrative de programmes, L’Abri d’espoir ; Annie Savage, directrice du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) ; Brigitte L’Hérault, directrice du suivi post hébergement, La Maison Marguerite de Montréal ; Neila Ben Ayed, directrice générale, Logis Rose Virginie ; Jacinthe Rivard, École de travail social, Université de Montréal/CREVAJ (ENAP) ; Martine Lévesque, École de réadaptation, Université de Montréal/CREMIS/RAIV ; Ana Eliza Bonilha, faculté de médecine et des sciences de la santé, Université McGill ; Hélène Bertocchi, intervenante pivot, services post-hébergement, Logifem ; Vanessa André, intervenante psychosociale des services résidentiels, Y des femmes de Montréal ; Imene Segueni, coordonnatrice clinique, Logifem, Réseau Habitation Femmes et La Chrysalide ; Alix Langlois, intervenante psychosociale au post-hébergement, Le Chaînon ; Anne Bergeron, responsable des communications et bénévoles, Logifem ; Gina Clergé, intervenante psychosociale au post-hébergement, Le Chaînon ; Danielle Rouleau, directrice clinique, La Maison grise de Montréal ; Vanessa Seto, École de physiothérapie et d’ergothérapie, faculté de médecine et des sciences de la santé, Université McGill ; Aline Nadro, femme avec expérience vécue