Au printemps 2021, le gouvernement du Québec s’engageait à déployer un ensemble de mesures en matière de violence conjugale en réponse à une vague de féminicides sans précédent. Parmi ces mesures figurait la création de places d’hébergement afin que toutes les femmes du Québec puissent avoir accès à de tels services.

En tant que directrices, nous nous étions alors posé la question suivante : sommes-nous prêtes à relever ce défi et à ouvrir de nouvelles maisons d’hébergement ?

Sans attendre, nous avons retroussé nos manches, mobilisé nos conseils d’administration, rédigé des demandes de financement et sollicité la collectivité, car nous savions que boucler le montage financier de projets de cette ampleur allait constituer un défi.

Malheureusement, ce qui était alors un défi est devenu, trois ans plus tard, un enjeu majeur.

Malgré tous nos efforts, nous arrivons au constat qu’il sera difficile, voire impossible de concrétiser la construction de nouvelles maisons d’hébergement si le gouvernement ne se décide pas à lever les embûches sur notre chemin.

Le blocage principal vient du fait que les programmes dans lesquels la Société d’habitation du Québec nous demande de déposer nos projets sont conçus pour financer du logement social. Ce qui n’est pas notre mission.

Dans une maison d’hébergement, les mesures de sécurité sont élevées pour éviter toute intrusion. On y trouve des salles de jeux pour les enfants, un lieu consacré à la cuisine collective et des bureaux où se déroulent des rencontres essentielles à l’accompagnement des femmes et des enfants victimes de violence conjugale. Ces espaces ne sont pas prévus dans le financement du logement social et font en sorte que nos projets ont des manques à gagner importants.

Aujourd’hui, on nous répond que ces éléments, qui sont au cœur de ce qu’est une maison d’aide et d’hébergement et qui la définissent, coûtent trop cher. Et une des solutions proposées est de financer nos projets par des dons. Combien faudra-t-il de soupers spaghettis pour réunir des sommes manquantes allant de 1 à 2 millions de dollars, selon nos projets ? Qui a la responsabilité ultime de s’assurer que les victimes accèdent à des services d’hébergement ? Ce n’est pas à la philanthropie de payer la brique et le mortier.

L’autre solution serait de contracter une hypothèque, mais le financement que nous recevons du ministère de la Santé et des Services sociaux pour offrir des services aux femmes et aux enfants est insuffisant. Par conséquent, nous obtenons du financement pour offrir des services, mais nous n’avons pas de lieux où les donner.

Le logement social vient avec une logique de coût à la porte. Nos « portes » coûtent cher, car elles ne constituent pas du logement social, mais bien de l’hébergement en contexte de violence conjugale.

Nous dirigeons de petits organismes avec une grande mission, soit celle d’accueillir et d’offrir un environnement sécuritaire aux femmes et aux enfants victimes de violence conjugale. Nous sommes habituées à faire des miracles avec peu, mais il y a des limites à notre créativité quand ce que l’on nous demande est irréaliste et dangereux pour la sécurité des victimes.

Il est temps de mettre fin à l’incohérence des programmes, de nous sortir du financement du logement social et de mettre en place un programme adapté qui nous permettra de réaliser nos projets afin d’offrir ces nouvelles places d’hébergement si nécessaires aux femmes qui fuient la violence de leur conjoint.

Depuis le début de l’année, quatre femmes ont été assassinées au Québec en contexte conjugal. Pouvons-nous réellement retarder la réalisation de ces projets en raison de l’incohérence des programmes gouvernementaux de financement ?

Il est temps que le gouvernement passe de la parole aux actes et arrête de mélanger les pommes, les bananes et les oranges.

*cosignataires :

Fannie Roy (La Maison d’Ariane), Myriam Tison (L’ombre-Elle), France Racicot (Maison Simonne-Monet-Chartrand), Roxane Prénovost (Passe-R-Elle des Hautes-Laurentides), Annick Brazeau (Maison d’Hébergement pour Elles Des Deux Vallées), Nathalie Guay (Missinak), Luce Bellavance (PasserElle), Denise Tremblay (La Séjournelle), Cathy Allen (Alternative pour Elles), Guylaine Dubuc (La Gitée), Guylaine Simard (Refuge pour les femmes de l’Ouest de l’île), Monic Caron (Le Centre Louise-Amélie), Sabrina Bernier (Maison De Connivence), Caroline Caron (La Traverse), Christiane Bourgault (Centre-Femmes La Jardilec), Blandine Tongkalo (Transit 24), Marie-Hélène Bourque (La Source), Hélène Vandette (Maison Blanche Morin), Carolyne Boutin (La Méridienne), Kimberly Plante (L’Égide), Geneviève Lévesque (La Débrouille), Julie Croteau (La Volte-Face), Karène Landry (L’Émeraude), Claudia Fradette (Maison d’Ingrid), Sandrine Iceta (Maison Flora Tristan)

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