Injuste, moi ? Rares sont les gens qui répondront oui à cette question. Nous avons pourtant inconsciemment tendance à favoriser ceux qui nous ressemblent. Et à percevoir le reste de l’humanité de façon moins indulgente. Voici le troisième volet de notre série sur les biais.

Le biais pro-groupe d’appartenance

Sa manifestation

Croyez-le ou non, si des chercheurs vous demandaient de remplir une tâche en équipe avec de purs inconnus, vous continueriez sans doute de privilégier vos coéquipiers une fois l’activité terminée. « Nous avons en général une préférence pour les membres de notre groupe d’appartenance, sans même nous en rendre compte », explique Émilie Gagnon-St-Pierre, cofondatrice du guide sur les biais cognitifs Raccourcis et doctorante en psychologie cognitive et sociale à l’Université du Québec à Montréal. Une étude a montré que ce favoritisme apparaît avant même l’entrée à l’école. Nous avons aussi une propension à considérer que notre communauté (qualifié d’« endogroupe » en recherche) est supérieure, même quand la réalité est tout autre.

Sa raison d’être

Au cours de l’évolution, les humains ont dû créer des alliances pour augmenter leurs chances de survie. Or, le sentiment d’appartenance renforce la cohésion d’un regroupement et favorise la loyauté de ses membres. D’après Raccourcis, les partis pris restreignent par ailleurs l’éventail des choix possibles – et donc, l’effort cognitif requis – quand nous déterminons comment distribuer nos ressources (temps, argent, etc.).

Ses répercussions

Dans de nombreuses situations sociales, afficher ce biais est injuste et même illégal, puisqu’il défavorise les minorités ou les gens extérieurs à une communauté. Des lois interdisent, entre autres, le népotisme. Voir notre groupe avec des lunettes roses – par exemple, en refusant de croire qu’il promeut le racisme – peut de plus nous empêcher de régler les problèmes. Et tout cela « peut mener à des conflits avec d’autres groupes », prévient Émilie Gagnon-St-Pierre, dont les recherches portent sur les relations entre groupes.

Un exemple québécois

Après les meurtres rapprochés d’un adolescent blanc et d’un adolescent noir – Thomas Trudel et Jannai Dopwell-Bailey –, à Montréal en 2021, le premier ministre François Legault et la mairesse Valérie Plante ont publiquement rendu hommage au premier, mais non au deuxième. Cela a envoyé le message que la vie d’un enfant blanc est plus valorisée que celle d’un enfant noir, ont dénoncé de nombreux experts des relations raciales. D’après ce qu’ils ont dit à CBC, bien que les deux politiciens s’en soient défendus, ils ont également pu être influencés par les « stéréotypes très durs sur la déviance et la délinquance, associant les enfants noirs à la criminalité et aux gangs » (ce qui serait alors la marque des deux autres biais présentés ci-dessous).

Son antidote

Reconnaître notre penchant pour les membres de notre cercle peut nous aider à combattre le favoritisme. Mais les biais étant souvent inconscients, des mesures – comme l’évaluation anonyme des candidats à certains postes – servent à éviter que notre cerveau nous joue des tours.

Les biais d’essentialisme et de l’homogénéité des groupes autres

Leur manifestation

De nombreuses blagues – sur les femmes, les comptables, etc. – trahissent une vision réductrice de certains groupes. Cette perception simpliste infiltre également la publicité… Deux biais très communs l’expliquent. Nous tendons tout d’abord à sous-estimer la disparité des individus issus de communautés autres (baptisées « exogroupes » en recherche) et à les imaginer « tous pareils ». Nous croyons aussi trop souvent que les groupes sociaux diffèrent les uns des autres de façon essentielle et immuable. Ce présupposé serait plus répandu chez les personnalités autoritaires, qui voient le monde de manière rigide et hiérarchique, précise Émile Gagnon-St-Pierre.

Leur raison d’être

Présumer qu’on peut prédire les caractéristiques des membres d’autres communautés nous protège contre la fatigue mentale, en nous dispensant de traiter une déferlante d’informations complexes sur chaque individu. Ce qui nous permet de consacrer plus d’énergie cognitive aux interactions avec notre groupe d’appartenance. Et explique en partie pourquoi distinguer les visages de gens d’origine différente apparaît plus difficile. Les stéréotypes et préjugés peuvent par ailleurs agir comme un ciment social, car ils semblent malheureusement rapprocher ceux qui les partagent.

Leurs répercussions

Les stéréotypes réduisent l’empathie, indique le guide Raccourcis. Observer une aiguille piquant la main d’une personne provoque une réaction physiologique plus faible quand cette main est d’une autre couleur que la nôtre. L’essentialisme conduit aussi au racisme, au sexisme, à l’âgisme, etc. Quantité de gens se voient ainsi refuser l’accès à un emploi ou à un logement pour des motifs discriminatoires. Et les tribunaux sont peuplés de suspects ayant fait l’objet de profilage, des préjugés voulant que leurs origines les rendent intrinsèquement délinquants. Les stéréotypes font par ailleurs accepter les inégalités. Ils peuvent même mener « à excuser des crimes sexuels » ou à « justifier les génocides », prévient Raccourcis.

Un exemple canadien

En 2019, la Cour suprême a dû ordonner la tenue d’un nouveau procès en Alberta, car la victime d’un meurtre – Cindy Gladue – morte au bout de son sang – avait été décrite à répétition comme la « fille autochtone » par les témoins et les avocats des deux camps. La défense de son agresseur reposait en prime sur de multiples préjugés à l’égard des Premières Nations et des travailleuses du sexe, laissant entendre qu’elle avait consenti aux sévices. Le juge avait malgré tout omis d’indiquer aux jurés que les origines et le gagne-pain de cette femme n’étaient pas pertinents et ne devaient pas influencer le verdict.

Leurs antidotes

Les préjugés peuvent « mener à une diminution de l’intérêt à interagir ou à créer des amitiés au sein de groupes différents du nôtre », mais nous devons combattre ce réflexe, indique le guide Raccourcis. Car moins les échanges interpersonnels avec les membres d’autres communautés sont fréquents, plus les préjugés se manifestent. Le guide suggère donc de diversifier notre réseau et de mieux nous informer pour réduire ces biais.

À lire demain

« Ces biais qui contaminent les intelligences artificielles »

Consultez le guide pratique des biais cognitifs Raccourcis Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue