Notre attention et notre mémoire sont beaucoup plus sélectives que nous le pensons. Ce qui nous facilite la vie, mais peut finir par nous dresser les uns contre les autres et nous faire croire des faussetés. Voici le deuxième volet de notre série sur les biais.

Lisez le premier volet de notre série

Le biais de confirmation

Sa manifestation

Les informations qui soutiennent nos attentes et notre vision du monde nous sautent aux yeux et s’impriment dans notre matière grise. Tandis que celles qui les contredisent nous échappent ou s’évaporent. Inutile de visiter un laboratoire de psychologie cognitive pour le constater. « Dans les journaux, bien des gens lisent seulement les textes des chroniqueurs avec lesquels ils sont en accord », souligne Cloé Gratton, coéditrice du guide pratique des biais cognitifs Raccourcis et doctorante en psychologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Nous avons souvent le même réflexe sur le web, où nous cliquons surtout sur les informations qui confortent notre point de vue. Et ignorons ou discréditons fréquemment celles qui le mettent en péril.

Sa raison d’être

Notre cerveau se met sur le pilote automatique et simplifie la réalité pour prendre des décisions plus rapides. Or, compter sur nos expériences et connaissances passées requiert moins d’effort que les confronter à tout ce qui pourrait les contredire, soulignent les auteurs de Raccourcis. Être sélectifs nous protège aussi contre les informations qui menacent nos croyances fondamentales et risqueraient par conséquent de provoquer de la peur, de l’anxiété, de la colère ou un état de tension psychologique inconfortable appelé dissonance cognitive. Les deux tiers des participants à une étude canado-américaine ont ainsi renoncé à recevoir une petite somme d’argent tellement la perspective d’entendre le point de vue du camp politique adverse les rebutait.

Ses répercussions

Des murs d’incompréhension peuvent se dresser lorsque nous nous coupons des points de vue opposés et finissons par croire qu’ils n’ont aucune valeur. La certitude d’avoir raison contribue à nous rigidifier – et parfois même à nous radicaliser. Elle risque aussi de nous rendre plus vulnérables à la propagande et à la désinformation. Les communautés virtuelles – où tous se font écho et s’influencent – renforcent ce biais, prévient Cloé Gratton. Tout comme les réseaux sociaux, avec leurs algorithmes qui filtrent les contenus de manière invisible et masquent à quel point la réalité est complexe.

Son antidote

Surmonter notre malaise et nous exposer avec curiosité à d’autres façons de voir la vie et le monde – que ce soit par nos lectures ou nos fréquentations – nous empêche de perdre contact avec une partie de la réalité. Mais puisque ce qui contredit notre vision peut être perçu comme une menace, cet exercice peut difficilement être imposé de l’extérieur. Nous risquerions alors de rejeter les informations soumises – en les jugeant biaisées ou fautives – et de durcir notre position au lieu de la nuancer.

L’effet de répétition

Sa manifestation

Entendre la même affirmation à répétition peut nous faire présumer qu’elle est partagée par un grand nombre de personnes et qu’elle reflète la réalité… même lorsque nous savons très bien qu’elle est fausse, révèlent de nombreuses recherches. Les nouvelles virales font donc des dégâts. « Le contexte numérique est un terreau fertile pour les biais, parce qu’il y a beaucoup de répétitions et beaucoup trop d’informations, dont on ne connaît pas souvent la provenance », observe Émilie Gagnon-St-Pierre, cofondatrice du guide Raccourcis et doctorante en psychologie cognitive et sociale.

Sa raison d’être

La répétition nous permet de ménager nos efforts, car notre cerveau traite plus facilement les informations qui deviennent familières.

Ses répercussions

Scander sans relâche les mêmes faussetés ou théories permet de manipuler l’opinion publique. C’est ce qu’ont réussi à faire l’ex-président américain Donald Trump et ses alliés, en réitérant sur toutes les tribunes que sa défaite était le résultat d’élections truquées. « Aux États-Unis, on enquête de plus en plus pour savoir à quel point des robots disséminent de l’information sur Twitter, sur Facebook, etc. », rapporte par ailleurs Cloé Gratton, dont la thèse porte sur le traitement des fausses informations.

Son antidote numéro 1

Même quand les médias traditionnels dénoncent ou démolissent une fausse nouvelle ou une théorie du complot, ils peuvent paradoxalement contribuer à augmenter sa crédibilité et à l’ancrer dans les esprits, prévient Émilie Gagnon-St-Pierre. « Notre cerveau n’est pas un ordinateur, il ne peut pas effacer ni faire abstraction d’une information reçue. Elle continue donc d’influencer notre raisonnement. » Seule solution : combler le « trou » laissé par son retrait en présentant des explications autres, qui prendront sa place.

Son antidote numéro 2

« Il faut s’intéresser à l’arrière-scène des informations et prendre le temps de consulter d’autres sources crédibles avant de les partager », conseille Cloé Gratton. Redoubler de vigilance s’impose quand des affirmations éveillent des émotions fortes, comme la peur ou le dégoût. Car ces sentiments propulsent la propagation des fausses nouvelles, d’après une étude publiée dans le magazine savant Science, après analyse de milliers de partages faits sur Twitter. « Le mensonge se diffuse nettement plus loin, [six fois] plus vite, plus profondément et plus largement que la vérité », ont conclu ses auteurs.

Et les biais des journalistes ?

Les journalistes relaient des informations – en couvrant, par exemple, une conférence de presse ou une manifestation – et mettent au jour des situations nouvelles ou occultes – par exemple, en faisant un reportage d’enquête. Comme les policiers, les juges, les médecins, les employeurs, etc., ils ne sont pas à l’abri des biais inconscients. C’est pourquoi, si le public soupçonne un manquement, il peut porter plainte au Conseil de presse du Québec, qui peut blâmer les médias et reporters ou chroniqueurs fautifs. Le Guide de déontologie du Conseil de presse leur intime de produire de l’information fidèle à la réalité, impartiale, équilibrée et complète. Il leur interdit par ailleurs de laisser les « intérêts commerciaux, politiques, idéologiques ou autres primer sur l’intérêt légitime du public à une information de qualité ». Et prohibe les « représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés ».

Marie-Claude Malboeuf, La Presse

Consultez le Guide de déontologie du Conseil de presse du Québec
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