La situation en Ukraine est dramatique. Deux ans après le début de l’invasion tous azimuts lancée par la Russie, le président Vladimir Poutine ne démord pas de son désir de contrôler l’Ukraine et d’anéantir son peuple. Ses objectifs demeurent les mêmes qu’en février 2022 : « La dénazification et la démilitarisation de l’Ukraine. »

La dénazification signifie non seulement un changement de régime et l’installation d’un gouvernement fantoche favorable à Moscou, mais également l’extension à l’ensemble du pays des politiques répressives, dont des actes de génocide, que la Russie mène dans les territoires occupés.

La démilitarisation, quant à elle, priverait les Ukrainiens des moyens de se défendre. À voir les atrocités commises par l’armée russe dans les territoires occupés, on peut comprendre pourquoi une vaste majorité d’Ukrainiens refuse de céder aux assauts russes.

Mais l’Ukraine fait face à une pénurie de troupes et d’armes. Kyiv cherche à mobiliser un demi-million de soldats pour venir en renfort aux troupes déployées au front. De son côté, Moscou entend recruter 400 000 personnes supplémentaires pour prêter main-forte aux 470 000 autres déployées actuellement en Ukraine.

La Russie a également mis son industrie militaire sur un pied de guerre : elle livre 1500 chars d’assaut et 3000 véhicules blindés par année et a significativement accru sa production de missiles balistiques et de croisière, qui s’abattent régulièrement sur l’ensemble du territoire ukrainien. Plus encore, la Russie entend produire plus de 2 millions d’obus d’artillerie cette année pour épuiser l’Ukraine sur le champ de bataille.

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Un soldat ukrainien sort d’un abri de fortune près de la ligne de front à proximité de Klishchiivka, dans l’est du pays.

De son côté, l’industrie de défense ukrainienne ne peut rivaliser avec celle de son voisin russe, dont la taille de l’économie est 20 fois plus grande. L’Ukraine doit donc se tourner vers l’aide internationale pour se donner une chance de résister, d’exister. Or, cette aide est en déclin constant depuis le printemps 2023.

Certes, l’Allemagne s’est engagée à fournir de l’aide militaire à l’Ukraine d’une valeur de 8 milliards d’euros cette année, auxquels s’ajoutent les engagements respectifs de 3 milliards de la France et du Royaume-Uni. Cela est toutefois bien peu comparativement à l’enveloppe américaine de 60 milliards de dollars américains actuellement bloquée par les républicains à la Chambre des représentants. Et ce ne sont pas les 318 millions de dollars prévus par le Canada pour cette année qui feront une grande différence.

Si l’Occident faisait preuve de solidarité et de clairvoyance, il cesserait d’offrir une aide lente, graduelle et parcellaire et accorderait à Kyiv les moyens dont il a besoin pour repousser l’invasion russe.

Si, avec une aide modeste apportée par l’Occident, l’Ukraine a réussi à libérer plus de la moitié du territoire capturé par la Russie depuis 2022, une aide soutenue et décomplexée pourrait changer le calcul stratégique russe et permettre une victoire ukrainienne.

Pour l’instant, Moscou estime que le temps joue en sa faveur, puisque l’aide à l’Ukraine s’estompe et que les industries de défense occidentales ne permettent pas de fournir à l’Ukraine ce dont elle a besoin pour se défendre. Si l’Occident ne peut rivaliser avec la Russie à court terme en matière de production militaire, il peut cependant s’engager dans le temps et fermement aux côtés de l’Ukraine et lui fournir des armes pouvant lui conférer un avantage qualitatif – comme des avions de chasse, des drones et des missiles de longue portée. Autrement dit, une défaite russe en Ukraine est possible si l’Occident demeure solidaire et mise sur la supériorité technologique de ses équipements militaires.

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Moscou a annoncé dimanche avoir repris le contrôle de la ville Avdiïvka, dans la région de Donetsk.

Deux arguments fréquemment mobilisés pour s’opposer au soutien de l’Ukraine, que cela coûte trop cher et prolonge la guerre, sont infondés. Le coût de l’aide à l’Ukraine doit être comparé aux coûts de ne pas l’aider. Une victoire russe nécessiterait le déploiement considérable de troupes et d’un arsenal militaire colossal afin de rassurer les pays limitrophes qu’ils ne seront pas à leur tour la proie des velléités impériales russes.

Il est particulièrement troublant, par exemple, que la première ministre de l’Estonie soit l’objet d’un avis de recherche du ministère russe de l’Intérieur pour avoir retiré des monuments historiques soviétiques en Estonie. Les ministres de la Défense de l’Allemagne et du Danemark préviennent quant à eux de la possibilité que la Russie attaque un pays membre de l’OTAN d’ici trois à huit ans.

Face à une Russie enhardie de sa victoire et mobilisée pour une guerre de longue durée, un affrontement similaire à la guerre froide s’imposerait en Europe de l’Est.

Au plus fort de la guerre froide, 435 000 soldats américains étaient déployés en Europe, alors que le Canada y déployait une brigade mécanisée (près de 7000 soldats) et trois escadrons d’avions de combat. Un déploiement équivalent aujourd’hui coûterait bien plus que l’aide apportée à l’Ukraine.

Une défaite russe en Ukraine pourrait au contraire amener Moscou à revoir ses ambitions impériales, tout comme les défaites américaines en Irak et en Afghanistan ont amené Washington à se désengager militairement.

Face à une résistance trop coûteuse et permanente, Moscou n’aurait d’autre choix que d’accepter une Ukraine hors de son contrôle, poursuivant son désir d’intégrer l’Union européenne et l’OTAN. Une paix durable pourrait ainsi être ratifiée sur la base du respect de l’intégrité des frontières et mener à un désengagement militaire de part et d’autre. Autrement dit, c’est la présence de troupes russes en Ukraine qui prolonge la guerre, et non le refus des Ukrainiens de vivre sous occupation.

Soutenir l’Ukraine en ces temps sombres n’est pas seulement la stratégie la plus efficace pour atteindre la paix, elle est également moralement juste. Accepter la partition territoriale de l’Ukraine équivaudrait à cautionner le colonialisme et à dénier les principes d’autodétermination des peuples et de souveraineté des États.

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