En février, c’est le Mois de l’histoire des Noirs. Je profite généralement de ce moment pour mener une introspection sur mes privilèges en tant que Québécoise. Je réfléchis également aux défis rencontrés par les personnes racisées dans notre société, étant moi-même née d’une mère afro-américaine et d’un père beauceron.

Cette année, la santé, l’environnement et l’engagement citoyen ont été les points d’ordre de mes réflexions.

Ayant grandi dans un milieu rural où les activités en plein air ne manquent pas, j’ai longtemps tenu pour acquis que tous les Québécois avaient accès à la nature.

Or, avec du recul, je constate n’avoir rencontré que très peu de personnes issues de groupes minoritaires lors de mes sorties de randonnée faites un peu partout au Québec.

Pourtant, près de 18 % de la population québécoise est issue de minorités visibles, selon le gouvernement provincial. Les principaux groupes minoritaires sont les personnes noires, suivies de celles arabes, latino-américaines, sud-asiatiques et chinoises.

Dans un rapport de 20 21⁠1, les chercheuses Jacqueline Scott et Ambika Tenneti révèlent que cette tranche de la population fréquente peu les grands espaces verts, surtout ceux nécessitant des déplacements sur de longues distances. Elle habite en grande proportion les centres urbains pour des raisons de familiarité, d’emploi et d’accessibilité aux transports en commun. Bien que ces résultats soient basés sur le cas de la ville de Toronto, ils peuvent aisément s’appliquer à la réalité des grandes villes du Québec. Notre province affiche un manque criant d’études sur les questions de diversité et d’accessibilité à la nature.

J’ai eu la chance de m’entretenir avec Roxanne Ruiz, conseillère-experte en diversité culturelle au sein de l’OBNL Option-Travail, qui confirme qu’il existe fort probablement des enjeux de sous-représentation et d’accessibilité à la nature pour les groupes de minorités visibles au Québec. Elle constate que les espaces du quotidien de ces personnes se limitent bien souvent au lieu de résidence et aux services de proximité (ex. : épiceries, écoles et centres communautaires), ce qui m’apparaît aberrant.

Un enjeu de santé publique

Il s’agit à mon sens d’un enjeu de santé publique, considérant qu’une fréquentation régulière des espaces naturels apporte des bienfaits tant pour la santé mentale que physique, en plus de contribuer à rompre l’isolement social.

Rappelons-nous les recommandations de la Santé publique pendant la pandémie de COVID-19. Pour atténuer les effets de l’isolement sur la santé mentale, les Québécois étaient invités à pratiquer quotidiennement des activités en plein air ou en pleine nature. Le gouvernement du Québec est donc bien au fait des liens entre bien-être psychologique et proximité avec la nature.

Les connexions à la nature ne sont néanmoins pas accessibles à tous.

En ville, les quartiers occupés par les minorités visibles présentent généralement une carence en végétation par rapport aux autres quartiers habités.

Les services de navette vers les parcs nationaux se raréfient ou sont sujets à l’augmentation de leurs tarifs, en plus d’être restrictifs dans leur horaire. La voiture est bien souvent le seul moyen d’accéder à ces endroits. Les coûts d’équipements peuvent aussi expliquer une faible fréquentation des milieux naturels.

Initiation à la randonnée

Souhaitant faire partie du changement que je souhaite voir dans le monde, j’ai développé l’année dernière un projet d’initiation à la randonnée, en sollicitant l’aide de l’organisme Forum Jeunesse Afro-Québécois. Une douzaine de personnes racisées de la région de Québec, âgées de 20 à 30 ans, ont pu profiter gratuitement de l’évènement tenu sur trois jours à Petite-Rivière-Saint-François.

L’un des objectifs de cette activité était d’établir des pistes de solution pour augmenter la présence des personnes racisées dans les sentiers de randonnée du Québec. Un besoin de se familiariser avec la culture hivernale, dont ses loisirs sportifs, de même que la nécessité de développer une communauté de pratique pour échanger des conseils et organiser du covoiturage sont les éléments ressortis des discussions avec les participants.

Au-delà des obstacles socioéconomiques, c’est toute une culture d’appartenance qui doit être bâtie pour surmonter les appréhensions liées à la nouveauté et à la peur d’être la seule personne racisée dans un espace en plein air.

Il reste encore beaucoup à faire pour garantir que tout le monde puisse bénéficier des bienfaits de la nature. Les personnes issues des milieux défavorisés mériteraient également de faire partie de la discussion. La santé publique est une affaire qui concerne plus d’un public.

1. Lisez « L’équité raciale et la nature urbaine : mobiliser les jeunes de couleur dans des activités dans la nature » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue