La question de la rémunération des hauts dirigeants est une invitée permanente du débat public, agissant comme un thermomètre de l’accroissement des inégalités et de la répartition des richesses. Dans cette optique, les réactions suscitées par l’annonce du salaire du PDG de Santé Québec ne font pas exception. Ainsi, la question de l’heure est la suivante : le salaire annuel de base de 543 000 $ attribué à la personne qui sera chargée de redresser le système de santé québécois est-il excessif ou équitable ?

Pour aborder cette question, admettons d’abord qu’il n’existe pas de chiffre magique. La détermination d’une politique de rémunération est un art plus qu’une science, impliquant trois éléments clés : 1) un marché de talents ; 2) une analyse comparative et 3) une évaluation de la performance.

Un marché dévalorisant et trop étroit

En cherchant à recruter des top guns du secteur privé, le gouvernement semble souscrire à la thèse des dirigeants superhéros dotés de compétences rares et de pouvoirs de transformation organisationnelle élevés. Cette vision individualiste du succès organisationnel génère mécaniquement un impact inflationniste sur la rémunération. La rareté du talent, même lorsqu’elle est imaginaire, se paie toujours plus cher sur le marché de la main-d’œuvre.

Dans les circonstances, l’intention affichée de confier Santé Québec à une équipe dirigeante issue du secteur privé est doublement problématique.

D’une part, elle produit un effet dévalorisant sur les employés du secteur public, comme si les dirigeants les plus talentueux, et donc nécessairement les mieux payés, ne travaillaient habituellement pas pour l’État.

D’autre part, elle réduit arbitrairement le marché de talents disponibles. L’application des méthodes du secteur privé est pourtant loin d’être une garantie de succès dans le secteur public. Comment des dirigeants formés à créer de la valeur financière pour leurs actionnaires et habitués à pouvoir imposer leurs décisions vont-ils réussir dans une agence dont la mission est la production d’un bien public, où l’expertise en santé surpasse souvent l’application de principes de gestion et où l’exercice du pouvoir se partage à égalité avec des syndicats d’employés, des fédérations de médecins et l’ombre tutélaire du ministre de la Santé ?

Sans préjuger de la réponse à cette question, l’on peut penser qu’une solide expérience du secteur public ou du réseau de la santé ne serait pas nécessairement un handicap pour le futur PDG de Santé Québec.

À la recherche de comparables

Le deuxième élément clé de toute politique de rémunération consiste à déterminer une base de comparaison à partir de laquelle justifier une offre salariale. Avec 325 000 employés, Santé Québec deviendra le plus grand employeur de la province. En comparaison, Metro compte 66 000 employés, et Desjardins, près de 55 000. Le PDG de Metro a reçu une rémunération de base d’environ 1 million de dollars l’année dernière. En comparaison, le salaire de base de 573 841 $ du PDG de l’agence de santé de l’Alberta est presque deux fois moins élevé.

Cependant, ces comparaisons sont limitées. Les activités d’un épicier et d’une banque n’ont rien à voir avec celles d’une agence de santé. Par ailleurs, la logique de performance financière du secteur privé ne s’applique pas à la mission de service public de Santé Québec.

L’agence de santé de l’Alberta offre un comparable organisationnel plus pertinent. Bien qu’elle soit de plus petite taille que Santé Québec, elle a une mission similaire.

Le salaire de base de son PDG était jusqu’en 2023 de 573 841 $. En comparaison, le salaire de 543 000 $ offert au PDG de Santé Québec semble raisonnable.

Jusqu’en 2022, le dirigeant de l’agence de santé de l’Alberta était une néphrologue pédiatrique. Si un médecin venait à être nommé PDG de Santé Québec, un salaire de 543 000 $ serait dans la fourchette de rémunération des médecins spécialistes au Québec.

Mesurer la performance

Le troisième pilier d’une politique de rémunération concerne les objectifs de performance qui lui sont associés. Plus ces objectifs sont difficiles à atteindre, plus le dirigeant peut envisager une rémunération élevée.

Les objectifs de performance imposés au PDG de Santé Québec ne sont pas connus dans le détail. À en croire les ambitions du gouvernement, ils seront élevés et nombreux. Considérant les échecs successifs des réformes de la santé, la prise de risque professionnelle du candidat retenu sera considérable. Reste à savoir comment sa rémunération sera affectée dans l’hypothèse où les objectifs de performance ne seraient pas atteints.

La variabilité constitue un élément capital d’une rémunération axée sur la performance. Elle peut être complexe à opérationnaliser, particulièrement en santé où la performance du système peut être mise à rude épreuve par des évènements exogènes incontrôlables.

Comment, par exemple, tenir compte de l’impact d’une pandémie qui viendrait déstabiliser subitement l’ensemble des services de soin ?

Comment également tenir le PDG de Santé Québec responsable des effets d’une pénurie de main-d’œuvre alors qu’il n’exerce pas directement le contrôle budgétaire des salaires offerts au personnel de la santé ? Ces limitations démontrent les difficultés à vouloir transposer sans adaptation des principes de politique de rémunération du secteur privé à celui de la santé.

Convaincre le public

Le futur PDG de Santé Québec mérite de commencer son mandat sous les meilleurs auspices. Sa mission s’en trouvera facilitée si le public est convaincu que la recherche de talents a été exhaustive, que la comparaison salariale est raisonnable et que sa rémunération sera liée à des objectifs réalistes et évolutifs.

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