Qui sera le top gun de Santé Québec ?

On devrait connaître ce printemps le nom du premier PDG de Santé Québec, cette nouvelle agence gouvernementale qui gérera le mammouth qu’est notre système de santé. L’appel de candidatures commencera la semaine prochaine.

De mémoire, on ne se rappelle pas une nomination gouvernementale où la personne choisie aurait autant de pression.

L’expression top gun, inspirée du film Top Gun avec Tom Cruise et qui fait ici référence à un gestionnaire auréolé du secteur privé, a collé dans l’opinion publique.

Résultat : ce top gun, qui gagnera au moins 540 000 $ par an, comme l’a révélé Radio-Canada (un salaire amplement justifié, par ailleurs), aura l’air d’arriver comme un sauveur pour notre système de santé fort amoché. Le taux d’occupation des urgences (134,9 %) n’a jamais été aussi élevé en cinq ans1. C’est à se demander si le top gun n’héritera pas d’une mission impossible, pour reprendre le titre d’une autre franchise de films à succès de Tom Cruise.

Car je me méfie du mythe du PDG sauveur.

De façon générale, dans le milieu des affaires, on exagère souvent l’importance des PDG. Qu’on me comprenne bien : un PDG compétent, apprécié et efficace est essentiel pour toute organisation. Ses valeurs percolent au sein de son organisation. Ses bonnes et ses mauvaises décisions ont des conséquences concrètes.

Mais on a tendance à glorifier un peu son rôle. Si Apple a survécu au décès du PDG le plus important de son époque, Steve Jobs, on peut conclure qu’aucun PDG n’est indispensable…

Prenons le gestionnaire le plus scruté au Québec : l’entraîneur du Canadien, Martin St-Louis.

L’entraîneur joue assurément un rôle important dans le succès d’une équipe de hockey. Un entraîneur incompétent ou en guerre avec son vestiaire n’obtiendra pas de bons résultats. Mais son influence sur les résultats de l’équipe n’est pas infinie. Si le CH remplaçait Martin St-Louis (un bon entraîneur) par Jon Cooper ou Jim Montgomery, les deux meilleurs entraîneurs du circuit Bettman, l’équipe serait toujours loin de faire les séries…

Comme Martin St-Louis, qui a hérité de l’une de pires équipes de la LNH, le top gun de Santé Québec héritera de l’un des systèmes de santé les moins efficaces au monde pour l’accès à un médecin. Même s’il est l’un des systèmes les mieux financés2.

Dans ces circonstances, personne ne peut faire de miracles à court terme. D’autant que le top gun aura souvent les mains liées.

Ce n’est pas lui qui déterminera le nombre de médecins formés, leur rémunération et les mesures incitatives pour qu’ils voient davantage de patients. C’est le gouvernement du Québec.

Ce n’est pas lui qui décidera du financement. C’est le gouvernement du Québec (et le fédéral).

Ce n’est pas lui qui décidera des grandes orientations du réseau, de la place à faire aux soins à domicile et à la médecine préventive. C’est le gouvernement du Québec.

Au seuil de sa sixième année au pouvoir, la Coalition avenir Québec fonde beaucoup d’espoirs sur cette réforme administrative qui centralisera davantage le système de santé. Les PDG des 34 CISSS et CIUSSS auront désormais un seul véritable patron, Santé Québec. L’intégration aura lieu l’automne prochain.

En théorie, ça pourrait fonctionner. Il faut espérer que Santé Québec, qui deviendra le plus important employeur au pays avec 300 000 employés3, rendra le réseau plus efficace, que les meilleures pratiques et les réformes seront appliquées systématiquement à l’échelle provinciale. Mais il y a beaucoup de sceptiques dans la salle. Avec raison : les Québécois ont entendu beaucoup de promesses du genre depuis des décennies.

« Ce qui est le plus facile, c’est de changer la structure. C’est très rare qu’on ait vu un changement de structure transformer en profondeur la culture d’une organisation », dit Marie-Soleil Tremblay, professeure à l’École nationale d’administration publique, qui cosigne une lettre que nous publions dans La Presse.

Lisez la lettre de Marie-Soleil Tremblay et de Bertrand Malsch

En entrevue jeudi chez Paul Arcand, au 98,5 FM, le ministre de la Santé Christian Dubé a quelque peu précisé sa pensée. Il n’y aura pas un seul top gun chez Santé Québec. Il y aura plusieurs top guns du privé dans la nouvelle équipe de direction, qui comprendra aussi des gestionnaires chevronnés du réseau.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de la Santé du Québec, Christian Dubé

« Je cherche une équipe de top guns, ou plutôt une équipe de bons gestionnaires », a aussi dit à La Presse M. Dubé, qui cite l’exemple de Top Gun : Maverick. Dans ce film sorti l’été dernier, le personnage de Tom Cruise entraîne une équipe de plusieurs jeunes pilotes talentueux pour une mission particulièrement périlleuse.

Quand on lit entre les lignes, on comprend que le futur PDG de Santé Québec devrait être issu du secteur privé, et le numéro deux (le chef des opérations) du réseau de la santé (ou vice versa, mais ce serait étonnant). Le PDG aura un contrat de cinq ans. Il ne faut pas qu’on change de top gun à tout bout de champ, comme c’est le cas avec l’agence de santé de l’Alberta.

Il faudra aussi veiller à ce que cette nouvelle agence ne permette pas au gouvernement du Québec de se décharger de la responsabilité des problèmes du réseau, d’utiliser Santé Québec comme paratonnerre.

Christian Dubé jure qu’il ne veut pas se déresponsabiliser. « Le ministre va toujours rester responsable et imputable », dit-il.

Tant mieux.

Car l’ultime top gun, celui qu’on jugera sur les résultats, ce sera toujours le gouvernement élu par les Québécois.

1. Lisez l’article « Taux d’occupation des urgences : un sommet en cinq ans » 2. Lisez l’éditorial « Réformer la santé sera plus long que remporter la Coupe Stanley »

3. Le gouvernement fédéral compte environ 357 000 employés au total à travers le pays, mais ça inclut 86 000 employés dans différents organismes fédéraux.

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