Forte d’une croissance vigoureuse à la sortie de la pandémie et d’un taux de chômage carrément enviable, l’économie du Québec montre aujourd’hui quelques signes d’essoufflement inquiétants. Parmi ceux-ci, la pénurie de main-d’œuvre devenue structurelle et le pessimisme des consommateurs face à une forte inflation.

Plus encore, le Québec traverse une crise de l’habitation inégalée se manifestant, entre autres, par une hausse fulgurante des loyers, de plus en plus déconnectés des revenus des Québécoises et Québécois. Cette hausse creuse davantage le portefeuille des ménages et étouffe leur pouvoir d’achat. Pour les PME québécoises, cette réalité se traduit par des défis considérables en matière de recrutement et de rétention des employés, les attentes salariales des travailleurs ne cessant de croître. Tout augmente à un rythme insoutenable.

La fausse bonne affaire

En fait, l’immobilier est le secteur dans lequel les consommateurs acceptent le plus docilement les hausses de prix. Faute de choix face à cette dépense essentielle, les gens n’ont pas d’autre option que d’encaisser ces hausses. Ce n’est pas une surprise que les indices d’abordabilité dans le marché sonnent l’alarme : les prix en habitation, que ce soit celui des maisons, des hypothèques ou des loyers, sont de plus en plus déconnectés des moyens des familles du Québec.

Mais plutôt que de prendre le taureau par les cornes, on le laisse tout saccager.

Il est douloureux d’observer qu’on ne s’émeut pas des maisons qui ont doublé de valeur au cours des 10 dernières années, ou des immeubles à revenus qui sont vendus à des prix complètement déconnectés de leurs revenus réels.

On compte sur les consommateurs pour absorber la hausse… quelqu’un doit le faire, n’est-ce pas ?

Dans tous les autres domaines d’affaires, acheter un fonds de commerce à un prix gonflé en disant que les revenus pourront être optimisés pour essuyer le prix de vente ne serait jamais pris au sérieux comme proposition. Pourquoi tolère-t-on cette fausse bonne affaire en immobilier, sachant très bien qu’il n’y a pas de bonne manière de se sortir d’une bulle spéculative ?

Mettre le feu et appeler les pompiers

Aujourd’hui, nous sommes témoins d’une multiplication des mesures d’aide pour le marché de l’habitation, sous forme de subventions, de prêts, de mesures exceptionnelles et d’interventions directes du politique dans des dossiers courants. On ne peut pas se désoler de voir les gouvernements agir ainsi en pompiers, mais à dessein d’inviter un sain débat à propos des finances publiques : qui tolère, même nourrit, le feu de la spéculation ?

Nous n’avons pas à continuer à jeter de l’huile sur le feu d’une main et à appeler les pompiers de l’autre.

S’assurer de dompter les prix dans le marché de l’habitation et de cesser de pousser le problème vers l’avant est une étape essentielle au soutien de la croissance économique du Québec. Il faut arrêter de s’attendre à ce que la population cède et s’improvise pompière volontaire.

Prendre l’innovation au sérieux

À raison, le gouvernement du Québec axe plusieurs de ses initiatives autour de l’innovation et de la productivité du secteur privé. On se souvient d’ailleurs des engagements de la CAQ en matière d’allégement administratif : donner un beau coup de dégraissage à la bureaucratie et à la sclérose administrative pour améliorer la qualité des services offerts aux Québécoises et Québécois. Cependant, en matière d’habitation, une solution répondant justement à ces critères – simple, efficace et à coût presque nul – est écartée en nous faisant croire que d’autres solutions – plus coûteuses, plus compliquées et moins efficaces – pourraient remédier aux mêmes problèmes.

Comment expliquer la réticence du gouvernement à se saisir de l’opportunité historique proposée par le Registre des loyers ? La ministre responsable de l’Habitation le reconnaît désormais : il est inacceptable que les dispositions encadrant les loyers au Québec soient systématiquement ignorées.

Le Registre des loyers est l’outil idéal pour répondre à ce problème : il rend automatiquement disponible le montant du loyer précédent, allège les procédures au TAL et aide à améliorer les relations des parties prenantes en retirant le fardeau de la tâche à celles-ci.

De simples dommages et intérêts punitifs ne seront jamais suffisants sans un encadrement comme le propose le Registre. De plus, Vivre en Ville, l’organisme à but non lucratif derrière l’outil, l’offre gratuitement ! Qu’est-ce que nous attendons, alors ? Testons-le !

Si le gouvernement du Québec ne se donne pas la peine de profiter de telles aubaines, quel appétit démontre-t-il réellement pour l’innovation ? Quel signal envoie-t-il aux acteurs de changement qui veulent investir pour améliorer le portrait économique, social et environnemental du Québec ?

Nous appelons le gouvernement à faire preuve de rigueur et à ne pas tomber dans le piège de ce qu’il dénonce pourtant à juste titre dans d’autres circonstances. Stimuler le marché exige d’intervenir pour faire cesser la surenchère et la spéculation. Nous sommes reconnus en Amérique du Nord pour notre exemplarité en politique d’habitation, ne nous laissons pas terminer en arrière-file.

*Cosignataires : Leila Ghaffari, professeure adjointe, département de géographie, d’urbanisme et d’environnement, Université Concordia ; Gérard Beaudet, professeur titulaire, faculté de l’aménagement, École d’urbanisme et d’architecture du paysage, Université de Montréal ; Simon Barnabé, conseiller scientifique en chef de Victoriaville et professeur, Université du Québec à Trois-Rivières ; Pietro Violo, doctorant en démographie, à l’Université de Montréal

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