Forte de ses quatre ans d’expérience dans le réseau de la santé et des services sociaux, Marie est déjà considérée comme un pilier dans son équipe d’évaluation des signalements à la protection de la jeunesse. Dans son bureau, les murs sont tapissés de notes et de rappels sur divers dossiers. Spécialisée dans le domaine de la jeunesse en difficulté, elle a toujours été animée par le désir d’aider les enfants et familles. Pourtant, aujourd’hui, elle fait face à plusieurs défis qui affectent lourdement son travail et la qualité des services qu’elle peut offrir.

En effet, de nombreux collègues expérimentés ont pris leur départ et les plus jeunes ne restent pas plus d’un an ou deux avant de se rediriger vers d’autres secteurs d’emploi. Marie reste convaincue que le travail en protection de la jeunesse est unique et qu’il requiert une expertise particulière. Elle sent qu’elle fait une différence dans la vie des jeunes et de leur famille. Néanmoins, comme plusieurs de ses collègues, elle ressent un manque de reconnaissance de la part de son organisation et l’importance sociale de son travail passe souvent inaperçu.

Depuis la réforme de 2015, la spécificité de son travail a semblé se perdre dans l’organigramme des CISSS/CIUSSS.

Elle a parfois l’impression que les nouveaux gestionnaires sont peu sensibilisés à la complexité des cas qui font partie de son quotidien, résumant ses tâches à de simples fréquences de contact avec les familles.

Chaque matin, Marie plonge dans ses nombreux dossiers. Certains sont d’une grande complexité, tel celui qui vient de lui être attribué. Cette famille de trois jeunes enfants est ébranlée par la négligence, les problèmes de santé mentale des parents et la violence conjugale. Marie aimerait les accompagner, mais les problèmes sont complexes et le temps manque, tout comme les ressources. Elle se demande si ces enfants ne devraient pas être placés, mais il manque de familles d’accueil partout. Tellement de décisions paraissent être prises dans l’urgence. Est-ce que la meilleure décision pour ces enfants pourra vraiment être prise ? Le manque de temps et de soutien clinique l’empêche d’approfondir la situation comme elle le souhaiterait.

Pression médiatique

La pression médiatique sur les services de protection de la jeunesse est un autre poids sur ses épaules. La moindre erreur pouvant avoir des conséquences dramatiques, Marie est pleinement consciente des risques courus par les intervenants en contact direct avec les familles. Malgré ces obstacles, elle reste fidèle au poste, consciente de l’impact significatif qu’elle peut avoir sur la vie des enfants et des familles. Elle garde espoir en des jours meilleurs, ceux où les conditions de travail s’amélioreront pour elle ainsi que ses collègues.

Actuellement au Québec, les employés du secteur public, en particulier ceux qui œuvrent dans les domaines de la santé, des services sociaux et l’éducation, revendiquent non seulement de meilleurs salaires, mais aussi de meilleures conditions de travail. Le manque de personnel et les besoins croissants des usagers mettent une très forte pression sur celles et ceux qui œuvrent dans ces domaines.

Dans le cadre de ces négociations, on semble oublier que de mauvais services coûtent beaucoup plus cher à moyen et long terme que les bons services, au bon moment.

C’est une vérité qui a maintes fois été démontrée dans les domaines qui touchent la famille, l’enfance et la jeunesse.

Ce moment fort de notre vie collective exige donc qu’on fasse le point sur de nombreuses années de restrictions budgétaires ainsi que sur des réorganisations de services tout aussi controversées que décevantes. Plus spécifiquement dans les domaines de la santé, des services sociaux et de l’éducation, notamment de la protection de la jeunesse, il s’avère que les intervenants et professionnels sont désormais confrontés à une lourde charge de travail, des difficultés à recruter de nouveaux collègues et un taux élevé de roulement du personnel. En tant que chercheurs universitaires dans le domaine de la jeunesse en difficulté et partenaires de longue date de ces milieux, nous observons quotidiennement ces difficultés, auxquelles il nous faut ajouter l’intensité de la pression médiatique ainsi que le manque de formation continue et de supervision clinique.

Pourtant. Tous conviendront qu’investir dans les domaines de la santé, des services sociaux et de l’éducation est essentiel, tant pour le bien-être de tous que pour le développement économique. Les enfants qui grandissent dans des environnements sûrs et stimulants ont plus de chances de devenir des adultes épanouis, créatifs et productifs. En revanche, les enfants qui grandissent dans des milieux caractérisés par la négligence et la violence sont plus à risque d’une multitude de problèmes, y compris des troubles de santé mentale et comportementaux, la délinquance juvénile, l’abus de substances et autres. Les intervenants ont la possibilité d’aider ces jeunes à construire des trajectoires de vie plus positives et, par conséquent, de contribuer significativement à la cohésion et à la sécurité de la société.

De ce fait, en cette période de négociations, il nous paraît crucial que le gouvernement fournisse les meilleures conditions de travail possibles aux éducateurs, enseignants et tous les autres professionnels travaillant auprès des enfants dans ces secteurs cruciaux. Il s’agit également de retenir les personnes les plus compétentes et expérimentées, d’attirer les meilleurs talents et de prévenir l’épuisement professionnel de toutes et tous. Cela implique non seulement d’offrir des salaires compétitifs, mais aussi de créer un environnement de travail qui permet à ces femmes et ces hommes de se consacrer à leur mission première : la santé, la sécurité, le développement et l’éducation des jeunes.