L’auteur, politologue, revient dans cette lettre sur l’imposition du confinement pendant les premiers mois de la pandémie. Avec le recul, aurions-nous pu, ou même dû, faire les choses autrement ?

Il n’y a pas de politique sans choix. Pourtant, les acteurs du jeu politique, qu’il s’agisse d’élus, de représentants d’intérêt ou d’experts, affirment régulièrement qu’une seule option est possible. Cette rhétorique est particulièrement présente lorsque les enjeux font appel à la science et elle a été abondamment utilisée lors de la pandémie de COVID-19.

Combien de fois a-t-on entendu lors de cette période difficile que la science dictait la voie à suivre ? Que le public ne pouvait faire autrement que d’accepter les solutions indispensables mises de l’avant par la science ?

Cette rhétorique déplaît naturellement aux politologues, sans doute parce qu’une décision qui relèverait d’un impératif, scientifique ou autre, tomberait hors de leur champ d’études. Je le dis sans gêne, je suis de ces politologues pour qui toute décision de politique publique engage un choix de valeur, un choix entre gagnants et perdants et donc un choix politique. Et pourtant, lors de la pandémie, la rhétorique de l’impératif scientifique m’a ébranlé.

Experts et décideurs étaient alors nombreux à affirmer qu’un vaste confinement des personnes, qu’elles soient malades ou non, n’était pas une affaire de choix, mais une affaire de vie ou de mort. Avant que la vaccination ne devienne possible, le confinement, selon les experts et les décideurs, était le seul moyen de freiner la propagation d’un virus particulièrement mortel parmi les personnes âgées et celles ayant une santé plus fragile. Imposer le confinement, c’était donc mettre la vie humaine en premier et protéger les personnes les plus vulnérables. Face à une telle rhétorique, comment croire que le confinement puisse avoir été autre chose qu’un impératif scientifique ?

Le recul face à la pandémie de COVID-19, cependant, me ramène vers mon intuition de politologue. Les décisions prises à ce moment ont exigé des choix de valeurs, des choix entre gagnants et perdants et donc des choix politiques.

La vie et la mort sont rarement au cœur des débats de politiques publiques, bien que celles-ci, peu importe le domaine, soient toutes susceptibles de sauver des vies et de provoquer des morts. Une décision gouvernementale qui donne un répit aux consommateurs désespérés par l’inflation des prix de l’alimentation, par exemple, ne risque pas de susciter des discussions de vie ou de mort. Pourtant, si elle réduit le revenu des agriculteurs, cette décision pourrait aggraver les problèmes de suicide auxquels ils font déjà face. Et si pour éviter cette fâcheuse conséquence le gouvernement décidait de faire reposer le poids de sa décision sur les contribuables, la solvabilité de certains de ceux-ci, riches comme moins riches, pourrait être mise en péril, ainsi que leur goût de vivre. Difficile de ne pas placer la vie humaine au-dessus de tout, bien que la lutte contre l’inflation, ainsi que bien d’autres enjeux, risque moins d’être abordée en ces termes que la santé publique. L’exemple montre néanmoins que prioriser la vie ne crée pas un impératif en faveur d’une décision plutôt qu’une autre, toute décision pouvant causer la mort de personnes.

Assurer une distance entre individus ralentit bien sûr la propagation d’un virus. C’était la logique épidémiologique derrière le confinement que des experts estimaient impératif pour sauver des vies. Mais le confinement a aussi coûté des vies. Des personnes âgées sont mortes dans leur logement, incapables de se nourrir et de s’abreuver par elles-mêmes. Souffrant de solitude, des personnes en bonne santé physique ont mis fin à leurs jours. D’autres, atteintes de maladies plus mortelles que la COVID-19, sont restées chez elles, retardant les traitements dont elles avaient besoin.

Est-ce que les confinements ont sauvé plus de vies qu’ils n’en ont coûté ? On ne le saura probablement jamais avec certitude. Mais comme le montrent certaines enquêtes, la surmortalité attribuable à la COVID-19 n’est pas corrélée avec la sévérité des confinements qui ont été mis en place dans différents pays.

L’absence de corrélation soulève la question du confinement en tant qu’instrument de santé publique. Le confinement, lorsque rendu obligatoire pour une large proportion de la population, est une mesure d’une sévérité rare en démocratie. La mesure peut néanmoins sembler aller de soi en contexte de crise sanitaire.

Lors de la pandémie, à chaque nouvelle hausse des cas de COVID-19, des experts en vue rappelaient que confinements sévères et efficacité allaient de pair, sans que cela ne fasse débat. Encore là, il ne semblait pas y avoir de choix.

Pourtant, avant la pandémie, des spécialistes en santé publique vantaient les mérites de mesures plus permissives, plus respectueuses des droits de la personne et moins dommageables pour la vie sociale en s’appuyant sur des études sérieuses des épidémies passées. Avant la pandémie, ils étaient nombreux en santé publique à penser que leur discipline s’était renouvelée en s’éloignant des anciens instruments coercitifs et en promouvant des approches plus permissives dont l’efficacité avait été démontrée par des recherches scientifiques.

Pourquoi n’a-t-on pas entendu ces spécialistes lors de la pandémie ? Parce que le débat démocratique a pour ainsi dire été suspendu pour tout le monde, y compris ces spécialistes. C’était comme s’il n’y avait pas de choix : pour sauver des vies, le gouvernement devait se montrer sévère et toute personne dissidente se rendait coupable d’atteinte à la vie humaine.

La prochaine fois, car on dit qu’il y en aura une, je ne me laisserai pas ébranler devant la rhétorique de l’impératif scientifique. J’espère que je ne serai pas le seul et qu’en tant que société, nous pourrons discuter sereinement des choix différents qui s’offrent à nous.

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