Les médecins se pressent au chevet de la Chine, l’un pour prendre son pouls, l’autre sa température, un troisième pour examiner la langue. Mais la Chine, qui n’est pas mourante, chasse les docteurs qui l’importunent.

N’empêche qu’elle ne va pas bien. Elle doit relever de grands défis structurels, mais le régime refuse les réformes qui menacent son hégémonie.

L’économie chinoise souffre d’une COVID longue, affirme Adam Posen, président du Peterson Institute of International Economics, qui a lancé le débat avec un article choc dans Foreign Affairs : « The End of China’s Economic Miracle ».

Selon lui, le président Xi Jinping a rompu l’entente tacite avec les entrepreneurs chinois : « pas de politique, pas de problème ». D’abord en coupant les ailes des oligarques de la tech, en 2020, puis en imposant un confinement long et draconien.

Comme dans l’aventure de Sherlock Holmes, c’est le chien qui n’a pas aboyé – l’absence de rebond de l’économie chinoise après la COVID – qui a alarmé les observateurs.

Les symptômes du mal chinois sont nombreux : faible confiance des entreprises et des consommateurs, qui épargnent comme des écureuils, surendettement des gouvernements locaux, fuite des capitaux étrangers qui affaiblit la Bourse et le renminbi, mais surtout déroute de l’immobilier résidentiel dans les villes de seconde importance.

Lors de la grande crise financière de 2008, la Chine avait évité la récession et même soutenu l’économie mondiale en accordant un crédit facile pour construire des logements et en investissant massivement dans ses infrastructures. Cette recette, utilisée à maintes reprises, a entraîné une bulle immobilière et un essoufflement de la productivité. Trop, c’est trop.

Bien sûr, il y a des secteurs privilégiés par Xi qui vont bien, par exemple les panneaux solaires, les voitures électriques, les TI et l’électronique.

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Les technocrates éduqués dans les meilleures universités ne sont plus aux commandes, remplacés par des fidèles du président Xi Jinping, qui préfère la stabilité politique et la sécurité nationale à la croissance.

Mais l’immobilier, qui a généré jusqu’à 30 % du PIB et qui représente les deux tiers de la richesse des citoyens, cale la moyenne. Xi, qui répète que « les maisons, c’est pour y habiter, pas pour spéculer », ne veut surtout pas relancer le bâtiment et fragiliser davantage un système financier bourré de mauvaises créances.

Après son ouverture au capital étranger, en 1978, la Chine a connu trois décennies de croissance à deux chiffres. Durant les cinq ans qui ont précédé la pandémie, le rythme avait ralenti autour de 6 %. Depuis, l’économie roule à une cadence de 3 %. Le chômage chez les jeunes a bondi à 21 % et le pays frôle la déflation.

Les technocrates éduqués dans les meilleures universités ne sont plus aux commandes, remplacés par des fidèles de Xi Jinping, qui préfère la stabilité politique et la sécurité nationale à la croissance.

Le politologue Ian Bremmer qualifie de « Maximum Xi » les politiques publiques de plus en plus centralisées, opaques et capricieuses.

N’espérez pas d’assouplissement, avertit George Magnus, spécialiste de l’économie chinoise, « c’est comme demander à un léopard de changer ses taches ; ça n’arrivera pas ».

Michael Pettis, professeur de finance à l’Université de Pékin, est en désaccord avec la thèse de Posen. Les problèmes ont commencé bien avant Xi, avec une politique économique qui a réprimé la consommation, qui ne pèse que pour 38 % du PIB, au bénéfice de l’investissement et des exportations.

Cette politique mercantiliste, qui a permis d’accumuler d’énormes réserves de change, a sa réciproque aux États-Unis, où on a plutôt favorisé les emprunts pour mousser la consommation, qui représente 70 % du PIB. Dans les deux pays, il en a résulté de grandes inégalités de revenus, sources de tensions politiques.

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Le ralentissement chinois pourrait reporter aux calendes grecques le moment où l’économie de la Chine dépasserait celle des États-Unis.

Le ralentissement chinois pourrait reporter aux calendes grecques le moment où l’économie de la Chine dépasserait celle des États-Unis. Mesuré en dollars américains, son PIB représentait l’an dernier 71 % du PIB américain. Mesurée en parité des pouvoirs d’achat, la Chine dépasse les États-Unis depuis plusieurs années.

Pour autant, note Martin Wolf, chroniqueur au Financial Times, même calculé en pouvoir d’achat, le PIB par habitant équivaut à seulement 28 % du niveau américain ou à la moitié de la Pologne⁠1. Rattraper la Pologne voudrait dire doubler la production de biens et services.

Pour ne pas rester coincée dans ce qu’on appelle la middle income trap, où languissent de nombreux pays ni pauvres ni riches, la croissance de la productivité chinoise doit se rapprocher des plus petits dragons asiatiques que sont Taiwan et la Corée du Sud, ce qui suppose toutefois de sérieuses réformes.

Autrement, avec sa démographie défavorable, la Chine deviendra vieille avant de devenir riche. Xi donnerait alors raison au proverbe chinois qui dit que le poisson pourrit toujours par la tête.

1. Le PIB chinois est divisé par 1,4 milliard de personnes, alors que celui des États-Unis est divisé par 340 millions, soit quatre fois moins de gens.

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