La crise du logement fait beaucoup parler d’elle partout au pays. Pour s’y attaquer, les gouvernements ont multiplié récemment les coûteuses annonces. Or, une partie de la solution réside dans une approche moins mercantile de l’immobilier.

Une des causes de la crise du logement est l’idée qu’une habitation n’est pas un foyer avant tout, mais un investissement, une marchandise. C’est un problème fondamental pour lequel une solution déjà existante prend de plus en plus d’importance.

Depuis toujours, l’immobilier est le lieu par excellence de la spéculation. Chaque vente et revente de maison est une occasion pour le propriétaire de maximiser son profit. Quand on parle d’immeuble de logements, l’augmentation du prix d’achat va de pair avec l’augmentation des loyers : le nouveau proprio doit pouvoir payer le nouveau prix d’achat. C’est un cercle vertueux pour l’investisseur et vicieux pour la personne qui ne veut que se loger, propriétaire ou non.

En 2023, l’écart moyen entre les loyers d’Interloge, un organisme à but non lucratif (OBNL) de Montréal, et ceux du marché était de 43 %. Vous avez bien lu, 43 %. Pourquoi ? Parce que ses logements sont « hors marché ». Interloge ne spécule pas, il ne veut pas s’enrichir en revendant ses immeubles. Il ne veut même pas s’enrichir grâce aux loyers qu’il reçoit, il veut offrir un service au meilleur prix possible, et ce, pour toujours. Ses logements ne sont pas des marchandises.

Interloge est une vraie entreprise qui doit faire ses frais pour survivre. Alors, comment arrive-t-elle à maintenir des loyers si bas ? L’entreprise est à but non lucratif, elle n’augmente ses loyers qu’en fonction de sa capacité de rembourser son prêt hypothécaire et de payer les frais d’entretien du bâtiment. Avec le temps, l’hypothèque prend de moins en moins d’importance, l’entreprise réinvestit ses économies dans ses immeubles, ce qui rend le modèle pérenne.

Les OBNL d’habitation ont aussi des avantages secondaires non négligeables : transparence dans la gestion des hausses de loyers, locataires mieux protégés, pas de rénoviction, etc.

Ce modèle d’affaires permet aussi de constituer un parc immobilier qui répond à un besoin précis, à un endroit précis. Par exemple, il y aura toujours un besoin pour des logements abordables autour des cégeps et des universités, et les municipalités, petites ou grandes, auront toujours intérêt à avoir un parc de logements abordables adaptés aux aînés.

À Joliette, le projet PAX Habitat, un organisme à but non lucratif, a aménagé un monastère pour que les religieuses de deux congrégations puissent continuer d’y habiter, avec des aînés de la communauté. Le modèle à but non lucratif permet donc de pérenniser une résidence qui ne sert que les intérêts de la communauté, car l’investisseur est cette même communauté. C’est du capitalisme avec une âme ou, autrement dit, de l’économie sociale.

À Métis-sur-Mer, le groupe CMétis, un OBNL lui aussi, est partenaire de la municipalité pour le développement d’un écoquartier. À titre d’entrepreneur général, il construit lui-même ses logements à but non lucratif, mais également des unifamiliales privées traditionnelles. Les locataires, par leurs loyers, et les propriétaires, par contrat, paient pour les espaces communs : potager, ateliers, cuisine, voitures électriques partagées, etc.

Le propriétaire étant un OBNL, toutes les économies réalisées sont réinvesties dans le quartier, dans la réduction des coûts pour tout le monde ou encore dans de nouveaux projets. En 2025, CMétis lancera la construction d’un autre écoquartier de 250 logements abordables, cette fois à Rimouski.

Quand un gouvernement subventionne un locataire ou un acheteur, il aide une personne à court terme, il ne change pas le système. Dès la revente, dès le déménagement, le logement s’inscrit à nouveau dans le marché et de nouveaux acheteurs et de nouveaux locataires ont besoin d’aide. L’action gouvernementale devrait plutôt porter sur le système lui-même.

En appuyant l’achat d’immeubles existants ou encore la construction de nouveaux bâtiments sous l’égide de cette nouvelle génération d’OBNL, les gouvernements s’assureraient que les logements concernés restent abordables. Ce faisant, ils ne se contenteraient pas de donner de l’aide à court terme, ils changeraient le système lui-même : ils augmenteraient, pour toujours, le nombre de logements abordables dans le marché tout en consolidant la capacité de développement autonome des OBNL.

En effet, les OBNL d’assez grande taille pourraient avec le temps accumuler assez de revenus pour construire eux-mêmes de nouveaux logements avec beaucoup moins d’aide gouvernementale. L’existence d’entreprises d’une certaine taille permet aussi une professionnalisation des activités et des économies d’échelle importantes (emprunter leur coûtera moins cher, par exemple). Pour l’instant, les plus gros acteurs sont à Montréal, mais, à terme, toutes les régions pourraient en mettre sur pied. L’écosystème québécois de l’économie sociale, unique au Canada, a tout ce qu’il faut pour que ce mode de développement soit un succès.

Béatrice Alain, du Chantier de l’économie sociale – qui a inspiré cette chronique –, estime que lorsque 20 % du parc immobilier est à but non lucratif, l’impact des prix se fait sentir sur l’ensemble du marché. Ce modèle économique devient donc rapidement à l’avantage de toutes les personnes qui veulent se loger à bon prix.

Il devient urgent de sortir un grand nombre de logements de la logique marchande. Le marché s’y adaptera, il restera toujours des investissements à faire, mais les logements seront traités un peu moins comme des marchandises et un peu plus comme des biens essentiels.

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