Je vous parlais récemment des nouveaux « superpouvoirs » accordés aux villes par Québec.

Magog, en Estrie, a été la première à les utiliser pour autoriser la construction d’un immeuble résidentiel qui risquait d’être bloqué par un référendum citoyen1. La mesure est controversée, mais elle vise un seul objectif : augmenter l’offre de logements, insuffisante dans la province.

Préparez-vous à entendre parler de plus en plus d’un autre outil pour accélérer les mises en chantier : le zonage incitatif. Ce concept, introduit l’an dernier au Québec, devrait être poussé un cran plus loin à la suite d’un projet de loi tout juste déposé à l’Assemblée nationale.

En gros : les villes seront autorisées par la loi à « vendre » à des promoteurs le droit d’ériger des édifices plus hauts, ou plus denses, que ce qu’autorise leur zonage habituel. En contrepartie, les constructeurs devront contribuer à un fonds pour financer des logements sociaux ou abordables.

Cette nouveauté, proposée par la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, et accueillie à bras ouverts par Québec, représente un développement important dans la crise actuelle du logement.

J’ai rencontré Catherine Fournier pour la première fois à l’hiver 2023, dans son bureau de l’hôtel de ville de Longueuil. Elle m’avait présenté une ébauche de la nouvelle stratégie d’habitation de sa ville de 262 000 habitants.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La mairesse de Longueuil, Catherine Fournier

Le plan incluait une palette de mesures, dont cette idée de zonage incitatif.

Ce que propose Longueuil va à l’inverse de la tendance récente observée au Québec. De plus en plus de villes imposent des redevances aux promoteurs pour chaque nouveau logement construit, afin de financer des infrastructures souterraines ou du logement social.

Plusieurs perçoivent ces redevances comme un frein au développement, dans un contexte où les coûts de construction ont explosé depuis la pandémie2.

À l’opposé, la mesure suggérée par Catherine Fournier sera « facultative ».

Un promoteur qui a le droit de construire 10 étages en vertu du zonage actuel, par exemple, pourra payer une compensation et bâtir 50 % plus haut, soit 15 étages. Rien ne l’y forcera, mais la possibilité de faire davantage d’appartements – et de profits – en encouragera plusieurs à sauter dans le train, croit la mairesse.

« Permettre un zonage incitatif, ça vient offrir une plus grande rentabilité aux projets, m’a-t-elle fait valoir en entrevue. Même si une partie [de cette rentabilité] est partagée avec la Ville, c’est quand même du profit “gratuit” par rapport à ce qui était prévu au départ, quand le promoteur a fait l’acquisition de son terrain. »

Longueuil tend la main aux promoteurs privés, en somme, plutôt que de leur tordre le bras. Elle sort la carotte avant le bâton.

La mairesse Fournier fait le pari que cette mesure donnera un électrochoc à la construction sur le territoire longueuillois. La cible est ambitieuse : ajouter 30 000 habitations, dans toutes les gammes de prix, d’ici à 2041.

L’idée n’est pas de planter des gratte-ciel de 30 étages partout en ville, mais surtout de densifier autour des axes de transports collectifs. Dans les quartiers à plus faible densité, un ou deux étages supplémentaires pourraient être ajoutés grâce aux nouvelles règles.

La municipalité espère récolter des millions grâce à la nouvelle contribution des promoteurs privés. Toutes les sommes recueillies seront réinvesties dans un fonds destiné au logement communautaire.

Ce fonds sera surtout utilisé pour acheter des immeubles déjà habités par des locataires à faibles revenus. Ils seront ensuite revendus à des organismes à but non lucratif (OBNL), afin de « pérenniser » leur loyer abordable. À terme, Longueuil souhaite ainsi faire passer de 4 % à 20 % la portion des logements « hors marché spéculatif » sur son territoire.

Une solution « pragmatique », croit la mairesse Fournier, dans un contexte où les fonds de Québec et d’Ottawa destinés à l’habitation ne sont pas illimités. « C’est le privé qui contribue, pas les gouvernements. »

La formule de calcul précise, pour la contribution des promoteurs, n’a pas encore été déterminée. Mais les sommes en jeu pourraient être considérables : Vancouver a recueilli 92 millions de dollars en 2022 grâce à des bonus au zonage similaires, m’a fait remarquer Catherine Fournier.

La ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, qui a inclus la proposition longueuilloise dans son projet de loi 57 déposé la semaine dernière, espère que plusieurs villes du Québec emprunteront la voie du zonage incitatif. Un moyen parmi d’autres pour doper l’offre de logements, croit-elle.

Il y a fort à parier qu’il y aura un effet d’entraînement. À tout le moins dans la région métropolitaine, où des dizaines de villes sont en concurrence pour attirer les promoteurs immobiliers. Car on l’a vu récemment : les formules trop contraignantes pour forcer l’inclusion de logements sociaux, comme le « Règlement 20-20-20 » de la Ville de Montréal, ont montré leurs limites.

La méthode longueuilloise sera-t-elle la clé ?

1. Lisez la chronique « “Superpouvoirs” aux villes » 2. Lisez l’article « Multiplex à Terrebonne : le coût des permis de construction “explose” »