Pour une promesse brisée, ça en est toute une. À son arrivée au pouvoir, François Legault promettait d’éliminer 5000 postes dans la fonction publique.

« C’est tout à fait réaliste. Ça aurait dû être fait depuis longtemps », disait le premier ministre en 2018.

Cinq ans et demi plus tard, la cure minceur promise s’est transformée en gain de poids. Loin d’avoir été délestée de 5000 postes depuis l’élection de la CAQ, la fonction publique compte plutôt 10 624 employés de plus (en équivalents temps plein). En comptant l’ensemble des employés de l’État, comme ceux des réseaux de la santé et de l’éducation, la hausse atteint 72 806 équivalents temps plein.

Ce n’est pas rien.

J’ai voulu voir qui sont les nouveaux employés qui ont grossi les rangs de l’’État. Parle-t-on de profs dans les classes, d’éducatrices dans les garderies et de préposées aux bénéficiaires dans les CHSLD ? Ou plutôt d'employés dans les bureaux ?

Il me semble que la population pardonnerait davantage à M. Legault d’avoir brisé sa promesse si c’était pour engager des gens qui livrent directement des services.

Or, ce n’est pas le cas.

La catégorie d’emploi qui a augmenté le plus rapidement sous le règne de la CAQ est celle des professionnels (+ 16,4 %, selon des chiffres compilés par l’Institut économique de Montréal). Il est difficile d’en tirer des conclusions puisqu’il y a là-dedans toutes sortes de corps d’emploi, dont certains livrent des services à la population (on peut penser aux psychologues ou aux orthophonistes).

Plus préoccupant à mes yeux est le fait que le nombre de cadres (+ 14,8 %) et d’employés de bureau (+ 11,9 %) a augmenté plus vite que celui des enseignantes (+ 5,9 %) ou des infirmières (+ 7,6 %).

La population du Québec a augmenté d’environ 5 % pendant la même période.

Gabriel Giguère, chercheur à l’Institut économique de Montréal, affirme qu’il aurait été plus rassuré si Québec avait engagé des employés qui livrent directement des services aux citoyens plutôt « qu’une armée de fonctionnaires dans les organismes et les ministères ».

Je suis loin d’être toujours d’accord avec l’Institut économique de Montréal, niché résolument à droite. J’estime aussi qu’il faut faire preuve de prudence quand on plaide pour un État minceur tout en réclamant des services. Une fonction publique trop dégarnie doit se tourner vers le privé pour combler ses lacunes. Ce n’est pas toujours mieux, surtout quand le manque d’expertise du public l’empêche de bien cerner les besoins et d’évaluer les propositions du privé.

Je suis toutefois d’accord avec M. Giguère pour dire que le rythme d’augmentation actuel des employés de l’État suscite des questions.

Quand on voit le nombre de cadres augmenter plus vite que le nombre d’employés, on peut en déduire que ces gestionnaires supervisent de moins en moins de gens. Ça devrait lever un drapeau rouge.

« Ce qu’on voit avec les appareils d’État et la bureaucratie non seulement au Québec, mais partout dans le monde, c’est qu’il y a une tendance à rajouter des cadres intermédiaires – des coordonnateurs, des conseillers stratégiques qui n’encadrent pas grand monde », me dit Marie-Soleil Tremblay, professeure à l’École nationale d’administration publique.

Il faut se demander si le phénomène n’est pas en train de gagner l’administration publique québécoise.

Dans quels ministères sont allés ces nouveaux employés ? Selon le Conseil du Trésor, plus de 80 % d’entre eux se sont joints aux réseaux de la santé et l’éducation, deux secteurs « fortement sollicités dans le cadre de la crise sanitaire ».

Ailleurs, Québec prétend avoir atteint ses cibles d’attrition et ainsi généré des économies de 381 millions. C’est une curieuse façon de voir les choses. Parce que si des coupes ont eu lieu, elles ont été plus que compensées par les embauches. Au net, les effectifs de l’État ont donc bel et bien augmenté, même hors des réseaux de la santé et de l’éducation. Parler d’attrition dans ce contexte est pour le moins particulier.

Le Conseil du trésor justifie cette augmentation par la modernisation du système de justice, par le renforcement de la Sûreté du Québec, par le tristement célèbre plan de transformation numérique de la Société de l’assurance automobile du Québec et par des mesures en immigration, notamment pour les réfugiés et les Ukrainiens.

Il faut bien dire que le gouvernement cherche à recruter des enseignantes et des infirmières, mais n’y parvient pas. Lors de la dernière rentrée scolaire, la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement calculait que 5000 postes d’enseignant à temps plein et à temps partiel étaient vacants. Quant aux infirmières, ma collègue Fanny Lévesque a révélé que contrairement aux objectifs du gouvernement, leur nombre est en diminution dans le réseau depuis deux ans. Québec parvient toutefois à faire augmenter le nombre de préposées aux bénéficiaires et d’infirmières auxiliaires⁠1.

La professeure Marie-Soleil Tremblay me souligne qu’en 2014, le gouvernement libéral de Philippe Couillard a fait adopter la Loi sur la gestion et le contrôle des effectifs des ministères, des organismes et des réseaux du secteur public ainsi que des sociétés d’État.

Le hic : les articles qui obligent les organismes publics à effectuer une planification de leurs effectifs… ne sont toujours pas en vigueur ! Disons qu’il serait temps de les activer.

Si l’inertie amène naturellement les gouvernements à grossir, l’art de dégraisser est beaucoup plus délicat, souligne Mme Tremblay. Personne n’a gardé de bons souvenirs des compressions paramétriques (croissance des budgets limitée de la même façon pour tout le monde) du gouvernement Couillard.

En dévoilant le dernier budget, François Legault a annoncé un « examen » complet des « dépenses des ministères et des organismes ».

« Ça va prendre une vraie vision de l’évolution des besoins du système sur 15, 20 ans », souligne la professeure Tremblay.

Le comptable en M. Legault vient peut-être de trouver là un défi aussi immense que nécessaire. C’est certes moins spectaculaire que d’inaugurer des usines ou de harnacher des rivières. Mais réussir à optimiser l’État québécois tout en améliorant la prestation de services représenterait un legs tout aussi important pour le Québec.

1. Lisez « Deux ans du Plan santé : encore loin du compte » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue